Mais il existe un domaine où l’appel à la législation déléguée s’entend aisément. C’est justement celui qui nous rassemble : l’actualisation du droit applicable aux outre-mer. En effet, ce droit se caractérise par de nombreuses et originales dérogations au droit commun. Dans ces territoires de la République, les lois et règlements, le droit communautaire et les conventions internationales ne sont pas toujours applicables de plein droit, au point que l’une des principales difficultés rencontrées par les citoyens, les opérateurs économiques, les administrateurs et les juges réside d’abord dans la connaissance de la norme applicable localement.
Pour recourir à ces ordonnances, le Gouvernement peut se référer à deux articles de la Constitution : l’article 38 et, depuis une révision constitutionnelle de 2003, l’article 74-1, pour lequel, contrairement à l’article 38, le Gouvernement n’a pas besoin de demander une habilitation spécifique. L’article peut être appliqué sans réserve, sous réserve que la loi n’ait pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure.
La seule véritable contrainte est l’obligation de les ratifier dans un délai de 18 mois suivant leur publication, sous peine de caducité. Et c’est justement sur ce point de la ratification que le bât blesse. Ainsi que plusieurs parlementaires l’ont souligné lors des débats en commission, dans le cadre de l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est nettement moins prompt dans cette seconde phase de la procédure que dans la première.
Il est évidemment difficile de disposer de statistiques, car les habilitations à prendre des ordonnances figurent dans des textes très épars. Mais, pour ne prendre que les lois votées lors la session ordinaire de 2014 et 2015, votre gouvernement a déposé plus de 60 demandes d’habilitation, qui se démultiplient parfois, puisqu’à chaque occurrence le Gouvernement est habilité à prendre trois, quatre, voire cinq ordonnances. Sur l’ensemble de ces habilitations, 17 ont été prises sur le fondement de l’article 38 et portaient sur des adaptations concernant les outre-mer. Si je considère l’ensemble de la législature, ce sont plus de 110 ordonnances qui ont été prises sur la base de l’article 38 de la Constitution, et 4 sur celle de l’article 74-1.
Près de 45 projets de loi de ratification ont été déposés à la seule Assemblée nationale, et seuls quatre d’entre eux ont été adoptés définitivement. Et il faudrait sans doute y ajouter d’autres textes impliquant de telles ratifications, mais portant sur d’autres dispositions.
J’en conclus que cette situation est, pour tout dire, un peu confuse et qu’elle altère la lisibilité de notre droit dans les outre-mer. On finit par se perdre entre les ordonnances de l’article 38 ratifiées, les ordonnances prises en application du même article de la Constitution qui ne sont pas ratifiées, les ordonnances ratifiées dans des textes consacrés à cet objet au détour d’un autre texte et les ordonnances de l’article 74-1. J’y ajoute la procédure d’homologation des dispositions pénales privatives de liberté que la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie peuvent édicter pour sanctionner le non-respect de leur propre législation.
Dans ce cas, le législateur doit homologuer ces dispositions pénales pour qu’elles puissent entrer en vigueur. Or il faut souvent attendre plusieurs années pour que ce soit le cas. Heureusement, grâce à la vigilance de ces deux territoires – je rends ici hommage à leurs parlementaires –, les dispositions sont prises. C’est notamment le cas dans l’actuel projet de loi, grâce aux amendements de Maina Sage, députée de Polynésie, et de Philippe Gomes, député de Nouvelle-Calédonie.
On peut sans doute se féliciter de leur démarche proactive, et je ne doute pas que leurs électeurs sauront leur rendre aussi hommage mais, à mes yeux, cela souligne surtout un défaut auquel nous devrions apporter une réponse plus systématique. Il n’y a aucune raison pour que nos concitoyens des outre-mer ne puissent pas bénéficier des principes de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité du droit.
Cela implique donc des efforts de rationalisation des procédures interministérielles et parlementaires auxquels je nous invite à réfléchir. Sans doute aurai-je l’occasion de prendre des initiatives, en lien avec votre administration, madame la ministre, mais aussi avec le secrétariat général du Gouvernement et avec la délégation aux outre-mer, si elle accepte que nous menions ce travail de concert.