Intervention de Philippe Chalmin

Réunion du 8 juillet 2015 à 18h00
Commission des affaires économiques

Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires :

Non, tout ne va pas bien. Comme l'a dit l'un des membres du comité de pilotage de l'Observatoire, en vérité « il y a des blessés, des morts et quelques survivants ».

Je vous ai fait distribuer deux documents qui sont des extraits du rapport annuel que nous avons remis au mois d'avril dernier au Parlement. C'est une somme d'informations, qui a peu d'équivalents en Europe, voire dans le monde, sur l'évolution des prix à tous les stades d'élaboration, du champ à l'assiette du consommateur pour la plupart des grandes filières agricoles. Ce rapport est actualisé à la fin de 2014, sachant que les marges de la grande distribution sont calculées sur 2013. Il y a parfois quelques décalages.

Le premier document reprend quelques graphiques issus du rapport. Le second, beaucoup plus dense, est une mise à jour d'un certain nombre de séries, de prix pour les principales filières. Le premier graphique de ce document montre l'évolution du prix d'entrée à l'abattoir des carcasses de la vache laitière, de la vache allaitante et de la vache moyenne. La vache moyenne est une création statistique, l'avant étant laitier et l'arrière allaitant ou l'inverse.

Le rapport que nous présentons a été adopté à l'unanimité par les membres du comité de pilotage, donc à la fois la production et toutes les familles de syndicats agricoles – Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), jeunes agriculteurs, Confédération paysanne, Coordination rurale –, les chambres d'agriculture, l'industrie, la grande distribution, les grossistes et détaillants et les consommateurs. L'une des fonctions de l'Observatoire est d'apporter un peu de transparence, d'être un lieu non de médiation mais de déminage antérieur au conflit. La médiation intervient après le conflit, tandis que l'Observatoire est censé être là avant.

Quelles conclusions peut-on formuler ? Nous sommes dans un contexte de prix agricoles par nature instables. La révolution culturelle que le monde agricole a vécue ces quinze dernières années, c'est la fin de la politique agricole commune telle que nous l'avions connue avec des prix administrés, décidés à Bruxelles. Un seul prix est encore administré par Bruxelles, celui du sucre. Or, vous le savez, les quotas sucriers disparaîtront en 2017.

Je disais donc que nous sommes sur des marchés instables. On ne peut pas raisonner uniquement marché hexagonal, on ne peut même pas raisonner uniquement marché européen. Bien souvent, on doit raisonner marché mondial. Si vous demandez quel est le facteur qui intervient dans les négociations sur le prix du lait entre les producteurs et les laiteries, on vous mentionnera le prix des enchères de Fonterra, qui est le grand producteur néo-zélandais dont les prix pour le beurre et la poudre de lait font un peu autorité au niveau mondial. Dans bien des cas, nous avons des problèmes pour avoir un bon benchmark, c'est-à-dire un bon indicateur de prix de référence au niveau mondial. C'est le cas des produits animaux. Nous n'avons pas ce problème pour les céréales ni les oléagineux sur lesquels il existe des marchés. Nous sommes donc sur des marchés totalement instables et on ne peut pas imaginer un quelconque retour à la stabilité, surtout dans le contexte d'instabilité monétaire que nous connaissons.

En 2014 et dans les premiers mois de 2015, il y a eu un décrochage assez général des prix. À l'heure actuelle, certains prix agricoles remontent en raison de conditions climatiques difficiles aux États-Unis et dans la zone du Pacifique pour les oléagineux et les céréales. Par contre, les prix de référence mondiaux sur les produits laitiers ont été divisés par deux sur les douze derniers mois. Ils sont passés de 4 000 à 2 000 euros la tonne sur le beurre ou la poudre de lait. Il est clair que nous sommes plutôt sur une tendance à la baisse sur un certain nombre de marchés. Il y a des tensions sur de petits marchés comme le blé dur ou l'huile d'olive.

Nous sommes dans un contexte général non de déflation mais de désinflation, avec une forte pression à la baisse des prix que l'on retrouvera au stade du consommateur. Ce qui est peut-être le plus frappant dans nos graphiques, c'est cette extraordinaire stabilité des prix pour le consommateur. Nous ne pouvons pas aller plus loin que le fond du panier du ménage qui est constitué de la brique de lait UHT, de yaourts, du steak haché, d'un panier de fruits et légumes, etc... C'est la limite de notre exercice. Or les consommateurs se tournent vers des produits de plus en plus sophistiqués, ceux dont la part agricole est toujours plus faible. Les grands produits de base des consommateurs que nous suivons ont des prix d'une extraordinaire stabilité. Si les prix sont stables pour le consommateur et instables pour le producteur, cela veut dire que l'appareil entre les deux, c'est-à-dire l'industrie et la distribution, jouent un rôle d'amortisseur et se répartissent avec nombre de grincements la charge de cet amortissement.

Quelles conclusions peut-on en tirer ?

Premièrement, personne ne couvre la réalité de ses coûts de production. L'année 2014 a été à peu près à l'étale pour les producteurs de lait, 2012 et 2014 ont été plutôt bonnes pour les producteurs de céréales. Au vu des prix constatés au premier semestre de 2015, tout le monde serait dans le rouge si l'on intègre un prix du travail sans excès à 1,5 SMIC ainsi que le coût du capital employé. Certaines productions sont structurellement négatives, notamment la vache allaitante. Je précise qu'une partie de la viande bovine que nous consommons provient de vaches laitières de réforme, c'est-à-dire un sous-produit du lait.

La filière qui pose problème actuellement est celle de la viande qui dégage une marge nette négative.

Je sais que nos chiffres suscitent la polémique au niveau de la grande distribution. Pourtant ces calculs sont réalisés par l'Observatoire à partir des données qui nous sont fournies par les sept grandes chaînes de distribution – hors Lidl et Aldi. La marge nette d'un certain nombre de rayons est négative parce qu'ils sont composés de produits d'appel. Il s'agit de la poissonnerie, de la boucherie, de la boulangerie. Les rayons qui sont à peu près à l'équilibre sont les fruits et légumes. Quant aux rayons des produits laitiers et la charcuterie, ils affichent des marges nettes positives. Au total, la marge nette globale d'un magasin tourne autour de 1 à 2 % suivant les années.

Je le répète, le producteur de race allaitante ne couvre pas ses coûts de production, l'industrie ne se porte pas bien et affiche des résultats moyens, plutôt négatifs, et le rayon boucherie de la grande distribution dégage une marge nette négative. Qui gagne ? Probablement le consommateur. Mais comme son mode de consommation évolue, il ne s'en rend pas totalement compte.

En France, contrairement à l'Allemagne par exemple, l'accent a été mis sur le maintien des prix à la consommation. Je suis frappé de voir l'extraordinaire stabilité des prix à la consommation. Le prix d'un pack de yaourts nature, de la plaquette de beurre, du kilo de steak haché ou encore de la tranche de jambon est quasiment stable depuis dix ans. Comme les prix ont plutôt baissé dans les premiers mois de 2015, j'imagine qu'il y a actuellement un peu de reconstitution de marges, mais cela n'a pas de grandes conséquences.

Deuxièmement, ce qui me frappe c'est que tous les maillons sont fragilisés. À cet égard, je partage l'interrogation de M. Amand sur la pérennité de certaines exploitations agricoles. Ce modèle admirable d'exploitation familiale fait face aujourd'hui à l'évolution des systèmes d'aide communautaire et, soyons honnêtes, à la montée de nombre de contraintes environnementales au quotidien. Il y a une fragilisation industrielle dans un certain nombre de filières, notamment celle de la viande où le contraste est grand entre les acteurs qui sont sur la scène européenne et les acteurs français. La grande distribution étant attaquée à la fois par le développement du commerce électronique et les grandes surfaces spécialisées dans les produits non alimentaires, elle se replie sur les produits alimentaires et elle a tendance à exacerber les promotions pour attirer le chaland. Ceci est à la racine des tensions constantes que nous connaissons aujourd'hui.

Finalement, celui qui s'en met plein les poches, c'est le consommateur. Récemment, il a profité d'un transfert de valeurs mais il ne s'en rend pas compte dans la mesure où son modèle de consommation évolue assez considérablement.

Le rôle de l'Observatoire n'est ni de punir, ce que fait l'Autorité de la concurrence, ni d'être un médiateur. Nous sommes un lieu de débat, de transparence. Nous essayons de bâtir ce qui manque peut-être le plus sur la scène française, que ce soit entre la production et l'industrie ou entre l'industrie et la distribution : la confiance.

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