Intervention de Virginie Beaumeunier

Réunion du 8 juillet 2015 à 18h00
Commission des affaires économiques

Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence :

Effectivement, l'Autorité de la concurrence apparaît souvent comme le Père Fouettard, mais c'est évidemment bien plus complexe que cela.

La concurrence pour le consommateur, ce sont les prix mais c'est aussi la qualité. Il ne faut jamais oublier cette dimension. En tout cas, nous y veillons. Si le nombre d'acteurs diminue trop fortement, on peut craindre pour l'innovation et l'amélioration de la qualité des produits.

Nous avons souvent fait preuve de pragmatisme en ce qui concerne les produits agricoles et agroalimentaires, y compris lorsque nous avons sanctionné, parce que nous avons parfaitement conscience de la spécificité de ces produits, notamment leur caractère périssable et la volatilité des cours. Les actions contentieuses n'ont pas été de notre initiative : nous avons toujours été saisis. En matière de produits agricoles, nous ne nous sommes jamais autosaisis, ce qui n'est pas le cas pour d'autres secteurs.

Le rapport de force entre les producteurs et les distributeurs est très souvent au coeur de notre analyse. Par exemple, lorsqu'il y a eu des concentrations dans le secteur agroalimentaire – je pense à la volaille – on a généralement pris en compte le contre-pouvoir de la grande distribution pour autoriser l'opération ou en tout cas réduire la portée des engagements nécessaires.

J'en viens aux centrales d'achat. À l'origine, trois d'entre elles n'étaient pas soumises à notre contrôle. Le renforcement du rapprochement entre Système U et Auchan est en train de se transformer en opération contrôlable qui, à ce stade, va être notifiée à la Commission européenne. Elle fera très probablement l'objet d'un renvoi à l'autorité française puisqu'elle concerne presque exclusivement le marché français. Nous aurons très probablement à examiner cette opération et à procéder, comme nous l'avons fait pour Casino et Monoprix, à un examen à la fois de l'effet de la concentration sur l'amont, donc sur les producteurs, et bien évidemment sur les zones de chalandise.

Nous avons eu également une activité importante en matière de produits agricoles de manière consultative. Vous l'avez dit Monsieur le président, les commissions des deux assemblées peuvent nous saisir, et elles l'ont déjà fait. Effectivement, la ligne jaune peut parfois être franchie. Il y a de mauvais accords, mais il y en a aussi de bons et nous avons beaucoup oeuvré pour la contractualisation dans le secteur agricole, ce qui a même été intégré dans le code rural. En droit national, il y a même une sorte d'exception au droit de la concurrence pour le secteur agricole. Mais l'exception qui existe dans le droit de l'Union n'est sans doute pas aussi large. Il faut donc faire attention aux accords qui pourraient être signés. Si l'Autorité de la concurrence n'enquête pas sur ces affaires, il est toujours possible que la Commission européenne le fasse, voire qu'une plainte d'un distributeur soit déposée. Néanmoins, l'Autorité de la concurrence a plaidé auprès de la Commission pour qu'il y ait une adaptation du droit de la concurrence à ces secteurs. Vous savez qu'avec la révision du règlement « OCM unique », un certain nombre de secteurs, dont le lait et la viande bovine, bénéficient d'aménagements qui permettent aux organisations de producteurs, même sans transfert de propriété, d'avoir des accords pour se présenter vis-à-vis de l'aval de manière unie, avec une négociation de prix unique.

Nous avons également plaidé pour que la reconnaissance des organisations de producteurs n'exige plus la condition d'absence de position dominante. Certes, il y a des critères en termes de volumes concernés, mais cette possibilité a été considérablement allégée.

Nous pensons que la bonne réponse, même si cela ne se fait pas du jour au lendemain, c'est la concentration de l'offre, soit par organisation de producteurs même sans transfert de propriété, soit par regroupement au sein de coopératives, voire de fusion de coopératives. J'ajoute que depuis la création de l'Autorité, nous avons examiné beaucoup de fusions de coopératives. Nous avons toujours accompagné ces fusions et regardé ce qui se passait en aval. Lorsque nous avons demandé des engagements, c'était pour protéger les agriculteurs adhérents de ces coopératives, notamment sur les achats des intrants, pour leur laisser la possibilité d'avoir un minimum de choix.

Vous me répondrez qu'il faut que la contractualisation soit mise en oeuvre et respectée. Vous avez raison. La contractualisation sera d'autant plus facile qu'il y aura eu une concentration de l'offre en amont. On peut imaginer d'autres mécanismes, par exemple des clauses de révision dans les contrats. Lorsque nous avons émis des avis, nous avons eu l'occasion de dire que ces clauses étaient possibles, qu'elles n'étaient pas contraires au droit de la concurrence et qu'elles permettaient une plus grande confiance sans doute dans les relations contractuelles. On peut aussi imaginer des mécanismes d'assurance contre la volatilité, mais c'est sans doute plus marginal.

Comme l'a dit M. Chalmin, un certain nombre de produits de base sont devenus en quelque sorte des commodités. Ils sont vendus directement au consommateur mais aussi à l'industrie, à la restauration hors foyer. Ce sont des produits pour lequel le prix est un critère essentiel. Sans une compétitivité suffisante de ces produits français, ce type d'acteurs se tournera vers l'importation. Nous l'avons constaté dans le secteur de la volaille. Le consommateur veut manger du poulet français. Mais en ce qui concerne la restauration hors domicile, il s'agit majoritairement d'importations. Les difficultés de certains producteurs français par rapport au poulet brésilien, allemand, etc. portent principalement sur le segment de la restauration hors foyer. Les mauvais accords, même si l'on fait abstraction du droit de la concurrence, sont souvent une mauvaise réponse.

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