Intervention de Francis Amand

Réunion du 8 juillet 2015 à 18h00
Commission des affaires économiques

Francis Amand, médiateur des relations commerciales agricoles :

Monsieur Benoit, mon intention n'était pas de vous blesser. Je vous prie de bien vouloir m'excuser. Le président Brottes m'avait presque reproché de tenir des propos trop diplomatiques, voire trop mièvres. Je n'imaginais pas que vous réagiriez de la sorte. En tout état de cause, votre réaction est légitime et je la respecte.

L'essentiel de mon activité de médiateur vise à sauvegarder les conditions de la poursuite de l'exploitation des agriculteurs.

La France est un grand pays agricole et les pouvoirs publics font tout leur possible pour qu'elle le demeure. Mais force est de constater qu'elle est désormais concurrencée par un grand nombre d'autres puissances agricoles. Je ne prendrai qu'un seul exemple : il y a dix ans, la France produisait environ 25 millions de porcs par an tandis que l'Allemagne en produisait 20. Aujourd'hui, la France est tombée à 20, alors que l'Allemagne en produit 40. C'est donc bien que les Allemands ont su faire valoir leur compétitivité. Les producteurs français sont excellents, mais ils sont de moins en moins compétitifs sur les marchés internationaux. Cela nous inquiète. Si ce n'était pas le cas, il n'y aurait pas d'importation de viande étrangère qui engendre beaucoup de difficultés dans les filières.

Vous ne pouvez pas contester qu'il y a beaucoup de disparités au sein d'une filière entre les agriculteurs. Il y a d'excellents agriculteurs mais aussi des moins bons. Et même au sein d'une même filière, il y a des modes d'organisation et d'efficacité économique différents. Par exemple, la filière Comté s'est organisée de manière très efficace et sophistiquée, à la fois sur le plan technique et économique. Cela permet aux agriculteurs de vivre de leur production.

Madame Erhel, vous me demandez quels sont les moyens des politiques publiques. Le ministre Stéphane le Foll ne cesse de rappeler que nous ne pouvons pas fixer les prix. Nous ne pouvons pas non plus organiser un accord entre les différents acheteurs pour qu'ils pratiquent tous les mêmes prix. Le médiateur essaie donc de trouver collectivement, au sein des filières, les moyens d'améliorer l'efficacité économique desdites filières. C'est compliqué ; cela nécessite de mobiliser beaucoup d'informations et de travailler sur le long terme.

Le problème, c'est que l'on ne travaille qu'en période de crise. C'est un travers très français. En période de crise, comme il faut aller vite, on mobilise l'information que l'on peut, on y va à la hache et on n'est pas très ambitieux car on risque de favoriser certains et d'en tuer d'autres. Cela pose donc la question de la mobilisation du travail en continu sur l'équilibre des filières. Alors que les statistiques existent, que l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a mené des réflexions, elles sont peu utilisées. Qui connaît, en France, à l'exception des chercheurs, ce que les Américains ont fait en matière de politique laitière ? Ils ont mis en place des systèmes assurantiels, de garanties de marges. C'est la même chose pour la filière porcine : ce qui est fait au Canada est fantastique.

Quand allons-nous engager une réflexion de long terme dans la filière porcine pour permettre aux éleveurs porcins de dégager des revenus complémentaires grâce à la méthanisation ? On ne le fait jamais, on nous demande toujours de réagir à chaud, cas dans lequel on ne fait jamais bien les choses. Ce sont les interprofessions qui devraient faire ce travail de long terme et d'intelligence économique. De même, les organisations de producteurs devraient réfléchir de manière collective et imposer les bonnes idées des producteurs parce qu'ils en ont beaucoup. Mais individuellement ils ne peuvent pas les soutenir car ils ne sont pas associés au débat.

Par ailleurs, il faut mutualiser les risques et créer des systèmes de solidarité entre producteurs. En la matière, des organisations de producteurs commencent à se mettre en place.

Le prix du lait est fixé selon une formule qui valorise le lait en fonction de ses débouchés sur les marchés internationaux. Les débouchés sur le marché national ne sont pas pris en compte dans le prix payé aux producteurs. Mais quand les producteurs ont-ils décidé que c'était le bon modèle de tarification ? Les producteurs, regroupés ou non, ont-ils été associés à la politique d'expansion sur les marchés internationaux de l'entreprise qui les collecte ? Non. On leur impose donc une formule tarifaire à laquelle ils n'ont pas pris part et qui ne correspond pas nécessairement à leur souhait. Les collecteurs de lait font porter aux producteurs le risque qu'ils ont pris sur les marchés internationaux. Il y a donc un transfert de risques. C'est à l'occasion de la deuxième génération de contrats qu'un dialogue commence à s'engager entre les organisations de producteurs et les collecteurs pour qu'ils fixent ensemble la formule tarifaire qui conviendra aux deux. C'est un peu ce qu'ont fait les coopératives avec le quota A, le quota B et le quota C. Le quota A apporte une garantie sur le marché intérieur tandis que la rémunération est aléatoire sur le quota B, voire le quota C. S'il ne veut pas d'aléas, le producteur sait qu'il ne doit pas prendre le quota B. C'est cette intelligence collective que l'on est en train de mettre en place.

L'obligation de contractualiser a été un outil pédagogique fantastique. C'est ce qui a permis à tout le monde de progresser. Lorsque dans un contrat on discute sérieusement des choses, on arrive à s'intéresser à l'optimum économique collectif. Il faudrait généraliser le contrat partout. Mais ce n'est pas facile. Demandez à un éleveur porcin de Bretagne s'il souhaite que les achats soient contractualisés. Il vous répondra qu'il ne veut pas se lier, qu'il veut être tout seul pour pouvoir profiter des opportunités et que par ailleurs le marché au cadran de Plérin marche bien. Mais ce n'est pas vrai, et Mme Beaumeunier en sait quelque chose. Il faut donc faire un effort de pédagogie pour changer les modalités.

Les gens ne pourront travailler ensemble que si des rapports de confiance s'instaurent. De ce point de vue, le médiateur sert de tiers de confiance entre les uns les autres. C'est à partir de cette confiance que l'on pourra bâtir un système, mais c'est difficile.

En France, nous sommes dans une culture de l'affrontement. Je comprends les colères qui sont parfois légitimes. Mais une fois que la colère est passée, il faut se mettre autour de la table et sortir de l'affrontement. Au contraire, dans les pays anglo-saxons et les pays nordiques, il y a une culture du travailler ensemble. Il faut donc passer de la culture française de l'affrontement, de l'épopée, de l'héroïsme, à une culture beaucoup plus modeste mais bien plus efficace du travailler ensemble.

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