Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 7 juillet 2015 à 15h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

La Commission européenne a ouvert une consultation publique relative à la législation communautaire en vigueur dans le domaine de la conservation de la nature, qui court jusqu'au 24 juillet. Il s'agit de recueillir l'avis des parties prenantes à propos du bien-fondé du contenu et de l'efficacité de la mise en oeuvre des directives « Habitats » et « Oiseaux » : ce cadre réglementaire est-il proportionné et adapté à sa finalité ? atteint-il les résultats escomptés ?

Conformément à un usage désormais bien établi, particulièrement dans le champ environnemental, la commission des Affaires européennes a décidé de participer à la consultation publique.

Adoptée en 1979 et révisée à plusieurs reprises depuis lors, la directive « Oiseaux » vise à protéger tous les oiseaux sauvages ainsi que leurs habitats les plus importants dans l'ensemble de l'Union européenne. Adoptée en 1992, la directive « Habitats » introduit des mesures similaires pour environ 230 types d'habitats rares ou menacés et 1 000 espèces d'animaux et de plantes sauvages, reconnues « d'intérêt communautaire ». Tous uniques et irremplaçables, les espèces et les sites concernés par ces deux directives méritent d'être protégés pour leur valeur intrinsèque. Mais la nature est aussi importante pour l'humanité, à travers les services écosystémiques qu'elle lui rend, à l'origine de 40 % de l'économie mondiale.

Ces deux directives enjoignent aux États membres de l'Union européenne d'instaurer un système de protection stricte de toutes les espèces d'oiseaux sauvages et d'autres espèces menacées et de désigner des zones spéciales de conservation (ZSC) au titre de la directive « Habitats » et des zones de protection spéciales (ZPS) au titre de la directive « Oiseaux ».

Ces deux catégories de sites constituent le réseau européen Natura 2000, qui couvre 18 % du territoire et plus de 4 % des eaux territoriales de l'Union européenne, à travers quelque 27 000 aires protégées, présentant une valeur irremplaçable pour la biodiversité. Ce système a donné naissance à un maillage d'une densité vraiment unique dans le monde.

Les sites Natura 2000 sont sélectionnés selon des critères exclusivement scientifiques. Chaque État membre décide ensuite des mesures de protection appropriées en fonction des besoins des espèces et des habitats, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales.

En France, un peu plus de 1 700 sites Natura 2000 terrestres ont été désignés, pour une fraction d'environ 12,6 % de la superficie nationale, ainsi qu'un peu plus de 200 sites en mer. Notre pays est sans doute l'État où le plus de personnes connaissent le réseau Natura 2000. Alors que certains acteurs s'inquiétaient des directives « Oiseaux » et « Habitats », eu égard aux risques de contraintes supplémentaires qu'elles comportaient, la démarche Natura 2000 s'avère opérationnelle, mobilisatrice et efficace.

La protection des oiseaux, singulièrement des oiseaux d'eau, a nettement progressé. Les programmes mis en oeuvre ont par exemple permis de réintroduire ou de conforter des rapaces totalement ou pratiquement disparus du ciel de France, tels le gypaète, le vautour moine, le vautour percnoptère ou encore le faucon crécerellette. Quant aux mesures agro-environnementales, qui absorbent la part principale des moyens budgétaires consacrés à la gestion des sites Natura 2000, elles ont permis de sauvegarder les habitats, même si leur efficacité pourrait encore être accrue pour restaurer aussi les habitats dégradés.

Quoique couvrant moins de 5 % des terres émergées de la planète, l'Europe abrite une faune et une flore très diversifiées, dont une bonne partie ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde, ce qui lui confère une valeur incommensurable. Si des progrès significatifs en faveur de la protection de la biodiversité européenne ont été accomplis depuis vingt ans, la tâche reste immense pour enrayer son recul car le rythme d'extinction des espèces s'avère élevé, sous l'effet de plusieurs facteurs.

Les directives « Nature » ont joué un rôle déterminant dans le rétablissement de plusieurs espèces emblématiques européennes comme le butor étoilé, le loup gris ou le lynx ibérique. Un grand nombre des sites protégés sont célèbres dans le monde entier.

Toutefois, avec l'essor des réseaux d'infrastructures, l'artificialisation des sols se poursuit, souvent au détriment des espaces naturels et agricoles. Nous peinons encore à freiner la consommation d'espace et commençons tout juste à nous investir dans les trames verte et bleue. La question des pratiques agricoles – en particulier de l'abus de produits phytosanitaires dangereux – est tout aussi préoccupante. Les contraintes, à commencer par les mesures agro-environnementales, peuvent pourtant constituer une chance. Outre la pollution et le braconnage, d'autres menaces, identifiées plus récemment, pèsent aussi sur la biodiversité : la propagation d'espèces envahissantes au détriment de la flore et de la faune indigènes, mais également le changement climatique, devenu une préoccupation majeure y compris au regard de la biodiversité.

Face à ce constat, la législation européenne sur la nature est un atout pour les États et les citoyens. Après la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique de Nagoya d'octobre 2010, l'Union européenne s'est fixé un objectif ambitieux : enrayer le recul de la biodiversité d'ici à 2020. Cette ambition est déclinée dans la stratégie de l'Union européenne pour la biodiversité. Mais nous en sommes encore loin.

Cette initiative de consultation publique intervient dans un contexte encore relativement incertain en ce qui concerne les intentions de la Commission Juncker vis-à-vis de la politique européenne de l'environnement. Rappelons en effet que les paquets « Qualité de l'air » et « Économie circulaire » élaborés par la précédente Commission européenne ont été remis en cause en vertu du sacro-saint « mieux légiférer », concept qui peut signifier le meilleur comme le pire.

À la suite de multiples initiatives prises par des organisations non gouvernementales, des autorités gouvernementales nationales et des parlementaires – dont la ministre de l'écologie et moi-même –, la Commission européenne semble avoir rectifié certaines de ses intentions. Il n'en demeure pas moins que l'établissement d'un rapport de force politique s'avère toujours aussi nécessaire pour défendre l'acquis communautaire en matière environnementale, en particulier en ce qui concerne la défense de la biodiversité. D'autant que certains lobbies économiques, soutenus par des gouvernements nationaux partisans de la dérégulation, ne baissent pas les bras.

Au cours de la présente législature, notre commission a produit de nombreux travaux portant totalement ou partiellement sur cette thématique, à laquelle elle est particulièrement sensible. Dans la droite ligne des conclusions adoptées à l'issue de ces travaux, nous devons réaffirmer que les directives « Nature » ne doivent pas être remises en cause ou affaiblies et même appeler à la consolidation de ce cadre réglementaire, afin que l'Union européenne se donne réellement les moyens d'atteindre les objectifs fixés dans sa stratégie. Celle-ci n'est en effet toujours pas parvenue à inverser le déclin de la biodiversité et de nombreux animaux et plantes sont plus que jamais menacés d'extinction en Europe.

Grâce aux directives « Oiseaux » et « Habitats », des règles identiques s'appliquent à tous les États membres de l'Union européenne. De ce fait, le niveau d'exigence en matière de biodiversité est le même pour tous les opérateurs économiques : un projet d'aménagement, quel qu'il soit, est soumis aux mêmes exigences partout. Il ne faudrait pas revenir en arrière, au risque d'introduire, au motif contestable que la souplesse est nécessaire à l'économie, de graves distorsions entre les pays dans les niveaux d'exigence posés.

Perdre notre ambition régulatrice sur ce dossier ne reviendrait-il pas à porter un coup supplémentaire à l'Union européenne, alors que la politique européenne de la biodiversité est sans doute l'une de celles qui emportent l'adhésion la plus marquée des citoyens européens ?

Cette position semble partagée par les quatre catégories de parties prenantes françaises sollicitées par la Commission européenne préalablement à l'élaboration du questionnaire de la consultation publique : le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) ; l'Office national des forêts (ONF) ; un groupe d'ONG environnementales.

Au plan européen, notons que plus de 280 000 citoyens se sont déjà ralliés à l'action en ligne « Alerte nature » lancée par BirdLife International, le Bureau européen de l'environnement (BEE), Friends of the Earth Europe, le World Wild Fund (WWF) pour peser dans la consultation publique.

Dans cet esprit, je vous suggère que, dans des conclusions, nous prenions acte de cette consultation publique, que nous rappelions notre attachement à une politique de préservation et de restauration de la biodiversité européenne, que nous appelions par conséquent l'Union européenne à réaffirmer l'importance des directives « Oiseaux » et « Habitats », que nous opposions catégoriquement à toute remise en cause ou affaiblissement de ces textes et que nous préconisions le renforcement de leur application, à travers trois mesures.

Premièrement, il est incompréhensible que les deux directives « Nature » ne s'appliquent pas aux départements et territoires d'outre-mer français – littoral et forêt guyanais, îles de l'océan Indien, du Pacifique, des Caraïbes et de l'Antarctique –, où sont concentrés 80 % de la biodiversité de notre pays et 10 % des récifs coralliens de la planète. Il importe que les dispositions de ces textes soient étendues à la totalité des régions ultrapériphériques (RUP), réservoirs extraordinaires de faune et de flore sauvages.

Deuxièmement, contrairement à ce qui se passe dans d'autres États membres, presque tous les dossiers de demande de subvention au titre de LIFE, en France, sont montés par des associations de protection de la nature ou, plus rarement, par des parcs régionaux. Il conviendrait que la Commission européenne incite les collectivités régionales à prendre leurs responsabilités et à s'impliquer dans cette démarche – par exemple en dressant un palmarès des acteurs les plus actifs dans l'action en faveur de la biodiversité –, ce qui faciliterait le bouclage des projets, en leur conférant une meilleure solidité financière.

Troisièmement, il apparaît que l'action des pouvoirs publics nationaux contre le braconnage des oiseaux pourrait être plus efficace : la Commission européenne se contente de prendre connaissance du nombre de kilomètres effectués par les services de police ou de gendarmerie pour rechercher des contrevenants, même si le nombre de procès-verbaux dressés est très faible, alors que les lieux de braconnage sont connus. La Commission européenne devrait émettre des recommandations en direction des États membres pour que ceux-ci améliorent leurs performances en matière de répression de cette pratique, délétère pour les espèces en danger.

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