Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 7 juillet 2015 à 15h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente :

Le contrôle de subsidiarité que les Parlements nationaux exercent sur les actes législatifs européens est aujourd'hui une prérogative importante introduite par le Traité de Lisbonne. Toutefois, ils ne peuvent, à ce titre, que dire « non » , en envoyant des « cartons » « rouges » ou « jaunes » à la Commission européenne.

C'est pourquoi, à l'initiative du Parlement néerlandais, l'idée a été lancée de créer un « carton vert » qui permettrait aux parlement nationaux de proposer des amendements aux projets européens, voire de nouveaux projets. Cette idée a été reprise par le Folketing danois puis par la Chambre des Lords.

Cette capacité d'initiative est tout à fait dans la ligne de notre commission, qui s'est toujours efforcée d'agir comme une force de propositions positive – tant vis-à-vis du Gouvernement que des institutions européennes – plutôt que de privilégier une capacité de blocage.

Une réunion interparlementaire informelle a été organisée à propos de cette idée de « carton vert » le 19 janvier 2015 par la Chambre des Lords et la Tweede Kamer néerlandaise. Notre collègue Philip Cordery s'est rendu au nom de notre commission à cette réunion, au cours de laquelle il a plaidé pour que soit engagée une démarche d'inspiration politique, sans modification des traités.

Dans la continuité de cette réunion, la Chambre des Lords a présenté une note de méthode proposant une définition plus précise de cette procédure, en soulignant qu'elle ne devrait pas avoir pour effet de remettre en cause le droit d'initiative de la Commission européenne, ni les prérogatives du Parlement européen. Elle ne viserait pas non plus à remplacer les procédures existantes – dialogue politique, subsidiarité. En pratique, le « carton vert » devrait formuler une proposition de législation nouvelle, mais également proposer de supprimer ou d'amender une législation existante, y compris un acte délégué. La proposition devra être assez détaillée pour permettre à la Commission d'y apporter une véritable réponse.

Cette proposition de méthode ne pose pas de difficulté particulière. Il importe, en tout état de cause, de ne pas formaliser à l'excès cette démarche en termes par exemple de délais.

C'est dans ce cadre que la Chambre des Lords a diffusé, 12 juin dernier, une proposition de « carton vert », sur le gaspillage alimentaire, à laquelle je vous propose de nous associer.

La lutte contre le gaspillage alimentaire constitue en effet l'une des réponses incontournables à une question essentielle pour notre avenir commun : le défi alimentaire. Nous sommes aujourd'hui 7 milliards sur Terre et serons près de 9 milliards en 2050. Selon certains chercheurs, il sera alors nécessaire, à modèle constant, de produire 70 % de nourriture en plus alors que les terres fertiles s'épuisent et se réduisent sous l'effet du changement climatique, de la pollution et de l'urbanisation. Par conséquent, il n'y a pas de plan B à la lutte contre le gaspillage alimentaire, car nous n'avons pas de planète B, comme l'a récemment affirmé le Secrétaire général de l'ONU...

Or, la FAO estime que nous gaspillons entre 30 et 50 % de la nourriture qui est produite, soit 1,3 milliards de tonnes. En Europe (UE27), selon les chiffres de la Commission européenne, le gaspillage représente 89 millions de tonnes par an et atteindra 126 millions de tonnes en 2020 si rien n'est fait.

A la perte économique que représentent ces gaspillages, il faut ajouter le coût des dommages environnementaux qu'ils entraînent. Ainsi, les 89 millions de tonnes de nourriture gaspillée dans l'UE produisent 170 millions de tonnes d'équivalent CO2, tout en impliquant l'utilisation de ressources en eau supplémentaires pour l'irrigation.

Enfin, il convient de souligner l'indécence, au niveau mondial mais également en Europe, de la coexistence entre ces gaspillages alimentaires et la détresse alimentaire de ces millions d'êtres humains. Dans l'Union européenne, 79 millions de personnes vivent encore sous le seuil de pauvreté et 16 millions d'entre elles ont reçu de l'aide alimentaire de la part d'organismes de solidarité.

Lutter contre le gaspillage alimentaire est une obligation à la fois morale, financière et environnementale. La France le sait. Dès juin 2013, elle a lancé le pacte national contre le gaspillage alimentaire dont l'objectif est de réduire de moitié le gaspillage alimentaire en France d'ici à 2025. De plus, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte a été modifié afin de prendre en compte la lutte contre le gaspillage alimentaire, conformément aux recommandations du rapport présenté en avril 2015 par notre collègue Guillaume Garot sur le gaspillage alimentaire. C'est ainsi que les moyennes et grandes surfaces non seulement ne pourront plus jeter de l'eau de javel sur leurs invendus alimentaires mais elles auront désormais l'obligation de contracter avec des associations en vue de les redistribuer à ceux qui en ont besoin.

L'Union européenne s'est également saisie du problème. À la suite de la résolution du Parlement européen du 19 janvier 2012, la Commission européenne a présenté, le 2 juillet 2014, un « paquet » relatif à l'économie circulaire visant, entre autres objectifs, à réduire de 30 % le gaspillage alimentaire d'ici à 2025. Elle l'a retiré en janvier 2015, tout en annonçant une nouvelle initiative pour la fin de l'année.

C'est dans cette perspective que s'inscrit le « carton vert » des Lords. Ils proposent que les Parlements nationaux appellent la Commission européenne à adopter une stratégie de lutte contre le gaspillage alimentaire s'appuyant sur les cinq axes suivants :

– l'établissement de lignes directrices européennes encadrant les dons et la redistribution de nourriture par les États-membres, les entreprises et les associations afin de s'assurer, notamment, qu'ils s'effectuent conformément aux règles en matière d'hygiène et d'étiquetage ;

– l'institution d'un mécanisme européen de coordination afin de partager des bonnes pratiques des États-membres en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire et promouvoir les meilleures d'entre elles ;

– le contrôle par la Commission de la chaine alimentaire européenne dans le double objectif, d'une part, d'éviter que les dons et redistribution de nourriture ne donnent lieu à des pratiques déloyales aboutissant à de nouveaux gaspillages alimentaires et, d'autre part, d'encourager la coopération entre les différents acteurs de ladite chaîne afin de les réduire ;

– la publication par la Commission européenne de recommandations concernant la définition du gaspillage alimentaire et la collecte de données ;

– l'établissement d'un groupe de travail au sein de la Commission pour évaluer la prise en compte du gaspillage alimentaire dans la définition des politiques européennes.

L'initiative de la Chambre des Lords va dans le sens d'une Union européenne plus solidaire et plus respectueuse de l'environnement, par une utilisation raisonnée de ses ressources. Pour ma part, je suis favorable à cette démarche d'autant qu'elle rejoint la volonté, exprimée par l'Assemblée nationale dans la résolution européenne du 25 juin dernier, d'un renforcement des règles relatives à la responsabilité sociétale des entreprises.

Néanmoins, je vous propose de faire part à ce propos à nos interlocuteurs britanniques de deux points importants qui me semblent devoir être mentionnés à ce sujet, ce que ne fait pas le texte proposé à ce stade :

– d'une part, la nécessité de prendre en compte l'action du FEAD (Fonds européen d'aide aux plus démunis). Nous allons d'ailleurs à ce propos désigner notre collègue Chantal Guittet, pour faire un point sur la mise en oeuvre de ce fond ;

– d'autre part l'importance d'une approche intégrée de l'ensemble de la filière concernée par le gaspillage alimentaire, de l'approvisionnement jusqu'à la distribution.

S'agissant par ailleurs de la vigilance sociétale, conformément à la résolution européenne adoptée par notre assemblée, je vous informe que je vais prochainement proposer aux commissions des affaires européennes des autres parlements nationaux un « carton vert » demandant à ce que Commission présente dans les meilleurs délais une initiative européenne en matière de RSE.

Cette démarche sera engagée à la rentrée de septembre, à travers, dans un premier temps, des contacts préliminaires avec des parlements particulièrement attachés à cette question de la responsabilité sociétale des entreprises.

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