Intervention de Patrick Pouyanné

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Patrick Pouyanné, directeur général et président du comité exécutif de Total :

Je m'aperçois que je n'ai pas répondu à propos de notre politique de l'emploi.

Nous avons beaucoup recruté dans le monde, y compris en France, au cours des trois dernières années. En effet, nous avons une assez forte croissance devant nous, compte tenu des investissements que nous avons effectués. Par ailleurs, dans le monde du pétrole et du gaz, il faut du temps pour former quelqu'un. Voilà pourquoi je n'ai pas voulu que l'on s'engage dans une politique de licenciements. De toute façon, comme je l'ai déjà dit, quand vous gagnez des milliards de dollars et d'euros, il est assez difficile d'expliquer que vous procédez en permanence à des ajustements en ressources humaines.

Nous avons donc décidé de baisser nos recrutements cette année. Comme il y aura des départs en retraite, cette baisse des recrutements aura un impact sur les effectifs, qui sera de l'ordre de 1,5 %. Parallèlement, nous avons privilégié le maintien des personnes que nous avons recrutées en considérant que nous avions investi sur elles. Nous n'avons donc pas annoncé de licenciements, comme beaucoup d'acteurs pétroliers l'ont fait.

Nous n'avons pas arrêté totalement nos recrutements parce que l'on ne peut pas gérer un groupe de cette taille sans recruter, mais nous les avons divisés par quatre. Nous les reprendrons lorsque le prix du baril remontera. Enfin, s'il n'y a pas eu d'ajustements d'effectifs, il n'y aura pas non plus de plans de départs volontaires.

Cela ne veut pas dire que nous ne faisons pas preuve de rigueur dans la gestion des coûts. Simplement, dans l'industrie pétrolière, qui est très capitalistique, la part de la main-d'oeuvre est faible, surtout au niveau de la production offshore. C'est moins vrai à l'aval de la chaîne, où le coût du travail est plus important ; à ce niveau en effet, on recrute beaucoup de cadres, dans lesquels on investit.

M. Blein m'a interrogé sur nos projets d'exploration-production en Europe de l'Ouest et dans le monde.

Cette année, nos investissements ont baissé de 10 %. Mais ils représentent tout de même 23 à 24 milliards de dollars, dont 20 milliards dans l'exploration-production. La stratégie reste la même. L'année prochaine, nous investirons une vingtaine de milliards de dollars, dont 17 dans l'exploration-production. Nous avons donc procédé à un ajustement d'environ 10 % sur la trajectoire, mais pas plus.

En Europe de l'Ouest, nous avons deux grandes zones d'investissement : le Royaume-Uni et la Norvège.

Au Royaume-Uni, nous sommes en train de lancer le plus grand développement d'off-shore profond à l'Ouest des îles Shetland, où l'on a découvert il y a sept ou huit ans de gros gisements de gaz. Avant la fin de l'année, nous mettrons en production ce très grand développement qui représente 6 ou 7 milliards de dollars : c'est le projet Laggan. Ainsi, au Royaume-Uni, s'il y a des champs matures qui déclinent, il y a aussi des zones de production nouvelle en grand offshore.

En Norvège, nous avons un très gros portefeuille. Nous sommes essentiellement opérés par Statoil, mais nous avons également un flux d'investissement d'à peu près un milliard d'euros par an.

Dans ces deux zones de l'Europe de l'Ouest, nous investissons dans la partie exploration-production. En Europe continentale, nous investissons plutôt dans la raffinerie et la pétrochimie.

À part l'Europe de l'Ouest, les grandes zones d'investissement du groupe se trouvent en Australie, en Russie et au Canada.

Nous avons deux gigantesques projets gaziers en Australie. L'investissement représentera à peu près 10 milliards dans les deux ou trois prochaines années. Le premier va démarrer à la fin de l'année ; c'est un projet de gaz à partir de gaz de houille (coal bed methane) près de Brisbane, dans le Queensland. Le second est à Darwin, dans le Nord de l'Australie ; c'est un gisement géant de gaz qui va alimenter le marché japonais. Dans les deux cas, il s'agira, à terme, de gaz liquéfié.

La deuxième zone où l'on investit est la Russie. Mais je vous en ai déjà parlé. La troisième zone est le Canada où je suis plutôt dans un mode de modération de l'exposition du groupe. Il est clair que les oil sands – ou sables bitumineux – canadiens ont un coût de développement très élevé. Cela ne paraissait pas évident au début, mais comme c'est un pays enclavé où il y a eu beaucoup de projets, les cours ont flambé. L'exploitation de ces oil sands pose des questions d'un point de vue du changement climatique, mais elle en pose aussi d'un point de vue économique. Voilà pourquoi, sur les quatre projets que nous avions, nous en avons gelé deux et conservé deux : le premier va démarrer cette année, et le second démarrera dans deux ou trois ans. Nous avons donc réduit la voilure sur ces oil sands par rapport aux plans dont vous aviez entendu parler. C'est probablement là qu'il y a l'inflexion la plus forte.

Maintenant, est-ce que les marges vont durer ? Non. Les marges de raffinage sont volatiles, tout comme le prix du pétrole, voire plus. Aujourd'hui, elles sont fortes, à notre grande surprise. Au début, on pouvait expliquer que les marges remontaient en raison d'un effet parachute, quand le prix du brut baisse et que les premiers produits ne s'ajustent pas au même rythme. Mais cela dure depuis quelques mois.

Cela ne remet pas en cause les fondamentaux. La réalité est qu'en Europe, il y a 15 millions de barils de capacité de raffinage, pour un marché qui fait 12 millions. Certes, il y a eu des efforts de rationalisation des capacités de raffinage, en Italie notamment, où plusieurs décisions ont été prises par les gens de l'ENI.

De notre côté, nous avions dit que nous adapterions nos capacités de raffinage, en les réduisant de 20 %. Il était normal en effet qu'en tant que leader – nous sommes le plus gros raffineur européen, et le deuxième pétrochimiste – nous prenions nos responsabilités. Et nous les avons prises : arrêts de deux vapocraqueurs en Europe, l'un à Anvers et l'autre à Carling ; division par deux de la capacité de la raffinerie britannique ; reconversion de la raffinerie de La Mède, après celle de Dunkerque ; enfin, cession d'une petite participation dans une raffinerie en Allemagne à des Russes.

Une fois que l'on aura fait tout cela, chacun de nos sites européens – et on en a encore une dizaine – sera rentable avec des marges basses, c'est-à-dire à moins de 20 dollars la tonne. Ce sont les marges que l'on a pu connaître pendant trois ans. Nous aurons donc renforcé notre dispositif européen pour résister à des marges basses.

Ce travail n'est pas facile, parce que cela suppose de demander des efforts importants aux équipes, par exemple pour reconvertir un site comme La Mède. Mais on l'aura fait, et je considère que ce sera suffisant. Après, aux autres acteurs européens de le faire aussi. En effet, dans nos métiers, quand vous réduisez vos capacités, ce n'est pas pour vous que vous le faites, c'est pour les autres, d'autant que généralement, vous n'avez pas deux raffineries côte à côte. Ainsi, quand j'arrête une capacité de raffinage dans le Sud de la France, ce sont mes deux collègues qui restent à côté qui en profitent. Maintenant, je ne suis pas sûr qu'ils en profitent longtemps parce que, malheureusement, le marché est structurellement excédentaire. En outre, le Sud de la France est ouvert aux quatre vents et il est très facile d'y importer des produits pétroliers par des traders, et de concurrencer les raffineurs.

Voilà pourquoi Total, dans toutes ses anticipations, est resté sur des marges qui, à moyen terme, seront à 20-25 dollars la tonne. Nous n'avons pas changé notre politique, et franchement, ce serait une erreur de le faire. Et puis, si les marges sont plus hautes, nous serons très heureux d'en bénéficier.

Nous avons donc fait des adaptations pour plusieurs années… sous réserve que les réglementations ne bougent pas. Je peux vous donner un exemple : nous passons notre temps à discuter de l'évolution des pourcentages de soufre dans les fuels marins qu'utilisent les bateaux de la planète. Il y a un grand débat, dans une grande enceinte, pour savoir si l'on passe en 2020 ou en 2025 à moins de 1 % de soufre. Si c'est 2025, on aura le temps de s'adapter. Si c'est 2020, je peux vous dire que cela aura à nouveau des impacts majeurs sur le raffinage. Ce n'est pas ce que je souhaite, car nous sommes en train d'investir pour durer.

J'observe que le pouvoir des législateurs est important. Dire que les bateaux sur la planète utiliseront du carburant à moins d'1 % de soufre, cela signifie l'on ne saura pas quoi faire d'une partie de ce qu'il y a dans une raffinerie, que l'on appelle le « fonds du baril », et qui se retrouve dans ces soutes marines. Je reconnais que cela pollue, mais c'est un problème d'équilibre économique et écologique. Pour l'instant, nous considérons que le délai qui sera fixé sera 2025. À cet horizon-là, nous aurons eu le temps d'adapter nos divers outils.

À propos de l'Afrique, madame la députée Marcel, vous avez tout dit, et vous avez bien suivi l'interview que j'ai donnée à RFI. Total n'est pas qu'une entreprise productrice de pétrole, le directeur général que je suis depuis neuf mois s'en rend compte tous les matins. Une entreprise de la taille de la nôtre a un impact sur son environnement, qui va au-delà de son activité économique. C'est évident, notamment dans ces pays-là. Par notre façon de travailler, nous pouvons faire progresser les choses autour de nous. C'est ce que l'on appelle la politique RSE – RSE pour responsabilité sociale des entreprises – que Christophe de Margerie avait fortement ancrée dans le groupe.

C'est ainsi que j'ai signé en début d'année, avec les syndicats d'IndustriALL – un regroupement de syndicats mondiaux – un accord mondial pour faire en sorte de propager les « bonnes pratiques » en matière de relations sociales que nous suivons en Europe, dans d'autres pays du monde où il n'y a ni contraintes ni cadre réglementaire. Par exemple, dans de nombreux pays, les femmes ne bénéficient pas de congés de maternité. Nous avons décidé nous-mêmes que nous traiterions la question de la même façon dans l'ensemble des pays où nous travaillons.

Je pense que par ce type de soft law, des groupes de taille mondiale comme Total peuvent faire bouger les lignes dans d'autres pays. Bien sûr, nous y avons aussi un intérêt collectif, qui est d'améliorer le bien-être des personnes qui travaillent dans le groupe. De cette façon, un standard s'établit à travers le groupe. On évite ainsi d'avoir des groupes à deux vitesses, où les personnes sont traitées différemment selon le pays où ils travaillent, entre les Français et les Européens, bien traités, et même surprotégés, et ceux des pays où les cadres de protection n'existent pas.

Un groupe comme le nôtre, au nom d'une éthique collective, se doit de propager les standards. Comme me le disait Pascal Lamy, l'une des contributions les plus efficaces de nos groupes est de se faire les vecteurs de ce type de pratiques.

La démarche est d'autant plus facile qu'elle est volontaire : je n'ai pas besoin d'un cadre législatif pour m'imposer de le faire. L'inconvénient du cadre législatif est de donner le pouvoir aux juristes. Et quand ils prennent ce pouvoir, le management est obligé d'être prudent. Cela se vérifie sur des questions très simples. Si vous me demandez aujourd'hui de démontrer que je contrôle toute ma chaîne de sous-traitance, je n'en suis pas capable. Je suis un donneur d'ordres de premier niveau – cela va des niveaux 1 à 6. Dire ou signer des papiers en ce sens serait illusoire. Et si on voulait nous l'imposer par la loi, nous risquerions d'adopter des politiques qui pourraient aller à l'encontre de ce que vous souhaitez : par exemple, supprimer la sous-traitance dans tel ou tel pays, parce que l'on n'est pas capable d'en contrôler la chaîne. Je ne suis pas certain que cela participerait au développement économique des zones concernées.

En conclusion, nous avons des politiques volontaires et nous sommes conscients de nos responsabilités. Mais il faut éviter les carcans juridiques. On peut également trouver les moyens de discuter entre des États et des grandes entreprises pour avancer sur ces terrains-là. Je pense qu'en plus, le management des grands groupes a beaucoup évolué au cours des quinze dernières années.

Mme Le Loch a parlé des grands fonds marins, et j'ai vu que j'avais affaire à une experte. Oui, bien sûr, il y a des conflits frontaliers marins. Il y en a même de célèbres sur la planète. Et en général, ils sont liés au fait que les gens pensent qu'il y a des ressources naturelles au fond de l'eau. Et plus ils pensent qu'il y en a, plus il y a de conflits. C'est le cas du grand conflit qui a éclaté en mer de Chine méridionale, autour des îles Spratleys, où l'on pense qu'il y a du pétrole. C'est un véritable imbroglio, qui pourrait s'envenimer entre la Chine, le Vietnam et les Philippines. Plus au Nord, il y a une autre zone de conflit entre le Japon et la Chine.

En fait, il y en a un peu partout. En général, les frontières maritimes ne sont pas aussi bien délimitées que l'on peut le croire. Dès qu'un pétrolier arrive, les conflits surgissent, avant même que l'on ait exploré. En raison d'un conflit qui est resté célèbre, entre le Brunei et la Malaisie, Total n'a pas pu explorer pendant quinze ans. Quand on a eu le droit de le faire, on s'est aperçu qu'il n'y avait rien ! Ils se sont battus pendant quinze ans, ils en sont presque venus aux armes, alors qu'il n'y avait pas de pétrole. Il faut préciser que ce n'est pas parce que l'on demande des permis d'exploration qu'il y a du pétrole. Chaque année, sur les 50 puits que l'on fore, 80 % sont secs.

Rencontrons-nous des obstacles dans nos activités d'exploration ? Oui. Par exemple, en France, on ne veut pas m'accorder de permis en Guyane. Nous sommes arrivés au bout de toutes les procédures et ces permis sont bloqués. J'ai dit au Gouvernement que je ferais au Suriname et en Guyane – où l'on vient de trouver du pétrole – ce que je ne peux pas faire en Guyane. Ce n'est pas du chantage, c'est simplement ce qui va se passer. D'ailleurs, si ce n'est pas Total, c'est une autre compagnie qui ira forer au Suriname.

J'irai mettre ailleurs les dollars d'exploration de Total. Je le regrette en tant que citoyen français et président de Total. Mais je respecte les choix qui sont faits par le Gouvernement et la Représentation nationale. J'espère simplement que ces permis ne seront pas donnés, in fine, à un concurrent !

Ensuite, nous avons des gens qui travaillent sur les écosystèmes marins. Nous nous en soucions beaucoup, surtout depuis le gigantesque accident provoqué par l'explosion de la plate-forme Macondo, dans le golfe du Mexique. Cet accident, qui a défrayé la chronique, aura coûté entre 50 et 60 milliards de dollars à BP – pénalités, remboursements, etc. Au passage, si le même accident s'était passé au Nigéria, je pense que cela ne lui aurait pas coûté autant – l'écologie est très « locale ». BP a dû mal à s'en remettre et a dû vendre de nombreux actifs.

Nous menons des recherches et nous avons fortement amélioré la sécurité de l'off-shore marin. Mais il est vrai que cela ne nous empêche pas, parce que c'est notre métier, de continuer à innover sur le plan technologique. Par exemple, l'année prochaine, nous allons forer un puits en Uruguay à 3 500 mètres d'eau. Nous avons passé une heure au comité exécutif de Total pour nous assurer que l'on avait pris en compte, dans ces opérations, tous les risques de nature écologique. Cela dit, Total est un spécialiste de l'off-shore, et nous avons confiance dans nos équipes.

Monsieur Straumann, vous m'avez interrogé sur la Grèce. L'exposition de Total y est d'un million d'euros, voire de deux millions comme on me l'a affirmé hier. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas grand-chose en Grèce.

Selon moi, la question qui est posée est autant celle de l'euro que celle de la Grèce. Et comme nous avons des activités en Europe, nous sommes concernés, d'autant plus que nous avons un risque de change important. N'oublions pas que le pétrole s'évalue en dollars, que nous vendons nos produits en dollars et que nous avons une comptabilité globale en dollars. Les questions monétaires, notamment celles qui sont liées à l'euro, nous interpellent et nous intéressent – même si, à notre niveau, on ne peut pas faire grand-chose.

Au passage, on nous demande souvent pourquoi nous implantons nos filiales dans des paradis fiscaux comme la Hollande. D'abord, la Hollande n'est pas un paradis fiscal. Ensuite, en Hollande, j'ai le droit de tenir des comptes sociaux en dollars, ce qui n'est pas le cas en France. Comme mon économie est en dollars et que je ne veux pas de risques de change, je vais donc implanter des filières dans ce pays. Ce n'est pas de « l'optimisation fiscale » du tout. C'est simplement un moyen d'éviter des risques de change. Sachez-le.

L'essentiel des motivations de nos implantations sont d'ailleurs souvent liées à des risques de monnaies. Ainsi, la plupart de nos filiales des pays africains ne sont pas locales. Par exemple, pour éviter des risques liés au naira nigérian, je travaille avec des véhicules qui sont hors du Nigéria. Le naira est une monnaie qui prend 15 % ou 20 % par an. Il n'est pas possible de travailler et d'investir des milliards de dollars en prenant un risque de change sur des nairas, ce ne serait pas sérieux de notre part. Les filiales de ces pays se retrouvent donc souvent dans d'autres pays comme la Hollande.

Mme Erhel m'a interrogé sur notre politique d'accompagnement de l'innovation, le fond Total Energy Ventures (TEV) et les start-ups.

Il y a trois ans, nous avons pris une décision à laquelle je crois beaucoup, qui nous permet de faire de la R&D autrement. Vous pouvez faire de la R&D avec vos propres équipes ; nous dépensons nous-même un milliard pour cela. Vous pouvez aussi essayer de « brancher » le groupe sur d'autres idées, à l'extérieur. En effet, entre un groupe de 100 000 personnes comme le nôtre, et une start-up, il y a de nombreux échelons. En conséquence de quoi, on ne voit pas les start-ups et on peut passer à côté de l'innovation. Et puis, surtout quand on est successful, on a tendance à être un peu arrogant et à penser que c'est nous qui avons raison. Mais il se passe des choses en dehors, dans d'autres mondes comme celui du digital ou des énergies nouvelles.

Nous avons donc décidé de créer ce véhicule, un fonds d'environ 150 à 200 millions d'euros, et de prendre des participations. Une équipe a été formée. Nous devons avoir une vingtaine de participations. On accompagne, on revend, on rachète. Évidemment, on a parfois des échecs. Le capital-risque, c'est comme l'exploration : on a 19 échecs pour un succès. Il ne suffit pas d'investir dans les start-ups pour gagner. Certes, nous accompagnons des start-ups. Mais le premier intérêt est d'avoir ainsi accès à des technologies qui ne sont pas totalement dans notre « radar », pour comprendre ce qui se passe ailleurs.

Nous avons d'autres outils d'aide au développement régional, notamment d'aide à l'innovation. Nous aidons des PME en France, plutôt dans les bassins où nous sommes implantés, et là où nous avons des actions de reconversion. Nous apportons de l'argent sous diverses formes – par exemple, prêts d'honneur ou aides à l'innovation.

Je pense que dans les domaines de l'économie d'énergie et du digital, nous avons à apprendre des autres et que nous avons besoin d'être « branchés ». Le dispositif sera maintenu, voire développé. Nous savons, notamment, que nous devons trouver le moyen d'avoir accès aux acteurs du digital : cela ne se passera pas forcément chez nous, du fait de certaines lourdeurs.

M. Daniel m'a parlé de BioTfuel, un des plus grands projets de R & D en France. Nous y participons avec l'IFP, Sofiproteol (Avril), le CEA et U.D.E., une entreprise allemande qui a amené la technologie. Il s'agit de prendre des déchets de bois de forêt, à Compiègne, et de les torréfier ; ensuite, par une technologie de carbochimie, de transformer ce bois en biodiesel et en biokérosène.

Nous sommes en train d'investir à peu près 120 millions d'euros à Dunkerque, pour faire l'unité de démonstration, sur le site de l'ancienne raffinerie. C'est un très grand projet, qui va durer quatre ou cinq ans. Mais c'est de la R&D : ce n'est pas encore gagné. Nous faisons un pilote, qui devrait démarrer fin 2016, début 2017 à Dunkerque. Ensuite, nous ferons la recherche et le développement. C'est une filière intéressante.

J'ai par ailleurs été interrogé sur le CICE et sur le CIR.

Au titre du CICE, il nous a été attribué 19 millions d'euros en 2013, et 29 millions en 2014. Pour le percevoir, il faut payer l'impôt sur les sociétés. Comme nous n'en avons pas payé jusqu'à présent, son versement sera reporté de quatre ans. Je ne sais pas si cet outil est génial. Certes, il est compliqué. Mais il est là. C'est une espèce de contrat que le Gouvernement a voulu passer avec les entreprises, et je ne peux que faire cette recommandation à la Représentation parlementaire : il vaut mieux jouer sur la stabilité et ne pas changer trop souvent d'outils.

Le CIR est beaucoup plus important pour nous. Son montant était de 71 millions d'euros en 2013, et d'à peu près 70 millions en 2014. Sans aucun doute, ce crédit d'impôt-recherche a une vraie influence sur les choix d'implantation de nos équipes de R & D dans le pays. C'est un des outils les plus efficaces, y compris pour attirer en France les équipes de recherche d'autres compagnies. J'en ai discuté avec d'autres grands groupes étrangers, qui le reconnaissent.

Nous avons beaucoup d'outils. Je ne sais pas s'il faudrait faire du tri, mais celui-là fonctionne et il est efficace. Je crois savoir qu'un groupe de parlementaires mène en ce moment une enquête sur le sujet. En tout cas, c'est comme cela que je le vis.

Mais revenons au CICE. Les montants de salaires pris en compte n'étant pas très élevés, le groupe Total, qui emploie surtout des cadres, n'est pas très concerné. Il l'est malgré tout par le biais de certaines de ses filiales : Hutchinson, un grand du caoutchouc qui emploie 10 000 personnes en France et qui ne sert pas les mêmes salaires que dans les raffineries ; les réseaux de stations-service, où les salaires sont également plus bas.

Est-ce que le CICE incite à créer des emplois ? Je pense que cela peut jouer pour Hutchinson, qui a un problème de compétitivité. Cette entreprise emploie 35 000 personnes dans le monde. Ce sont des sous-traitants automobiles qui se battent tous les jours pour maintenir les emplois en France, alors même qu'ils ont aussi développé des usines en Pologne ou au Mexique. Dans la mesure où il s'agit d'emplois manufacturiers où il y a une vraie compétition, le CICE peut avoir une certaine influence. Dans une telle entreprise, le coût du travail a son importance.

Cela dit, je sais bien que l'on a fait le choix de cibler les bas salaires, parce que l'on espère que cela aura un effet sur l'emploi. Mais pour moi, la priorité est de restaurer les marges des entreprises. Certes, pour créer des emplois, il faut être compétitif. Mais en France, la compétitivité ne passe pas par les bas salaires. On aura de toutes les façons du mal à être compétitif face à la Pologne. En revanche, on peut l'être sur des salaires un peu plus élevés, où il y a une valeur ajoutée plus forte.

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