Il a en effet été ouvrier à Montargis : il y a même une stèle. L'année dernière, le vice-premier ministre chinois a voulu s'y rendre. Nous y recevons régulièrement des délégations, et de nombreux cars de touristes s'y rendent en pèlerinage.
J'ajoute que sur le site de Montargis, nous sommes en train de rénover un magnifique bâtiment Eiffel, un héritage industriel qui partait en lambeaux. Il est prévu d'y installer à terme le centre de formation Hutchinson.
Madame Dagoma, je vois que vous êtes une experte en arbitrage.
Personnellement, je n'aime pas beaucoup les arbitrages contre les États : c'est une mission extrêmement complexe que de devoir remettre en cause le lien qui existe entre mon entreprise et l'État.
Il se trouve par ailleurs que nous avons activé sur l'Argentine le système d'arbitrage du CIRDI – le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Eh bien, c'est l'enfer : la crise a eu lieu en 2002 ; le jugement a été rendu en 2014 ; ce jugement nous est favorable ; mais pour nous faire rembourser, il faut rentrer dans des négociations…
Quand on crée des zones de libre-échange, il est normal de prévoir des mécanismes de règlement des différends qui soient relativement efficaces. Mais en Argentine, il n'y a pas de zone de libre-échange. On nous renvoie au CIRDI, et c'est totalement inefficient.
Plus généralement, l'idée d'une zone de libre-échange est d'améliorer les échanges économiques. Il faut donc régler les éventuels conflits. Mais comment combiner la volonté des États et celle des entreprises ? Je ne sais pas, et je fais confiance au monde politique pour mettre au point une solution. Mon seul message est qu'il faut que ce soit efficace, et donc rapide. Or aujourd'hui, ce n'est pas le cas. En revanche, si les différends opposent deux entreprises, on doit pouvoir trouver le moyen d'être efficaces.
Cela dit, je ne suis pas un expert en ISDS (investor-state dispute settlement). Comme on ne l'a jamais pratiqué chez Total, on ne le connaît pas. J'espère d'ailleurs ne pas être amené à le pratiquer.
Ensuite, j'ai pris la décision de publier la liste de toutes mes filiales consolidées, parce que j'ai découvert que l'on nous accusait de ne pas être transparents. Jusqu'à ce que je prenne cette décision, on n'en publiait que 400 parce que l'on considérait que la liste était trop longue et que cela n'avait aucun intérêt. Je ne sais pas de ce que l'on peut faire des 904 filiales, qui prennent en effet dix pages dans le rapport annuel, mais cela ne nous pose pas de problème de publier cette liste.
Il est évident que l'on va vers la transparence. La demande est là. Mais il y a aussi le secret des affaires. Il faudra trouver une limite entre les deux.
Je suis un des rares patrons d'entreprise à avoir envoyé ma directrice fiscale à Bruxelles pour être auditionnée par M. Lamassoure et la Commission du Parlement européen. J'ai dit à ma directrice fiscale de répondre aux questions car nous n'avions rien à cacher. Par exemple, on nous a demandé si nous étions prêts à ce que les rescrits fiscaux fassent l'objet d'une communication entre les gouvernements. Je n'ai aucune objection à cela, si ce n'est que dans les rescrits fiscaux, il y a des secrets d'affaires qu'on ne peut pas rendre publics.
Lorsqu'on me parle d'optimisation fiscale, je réponds toujours la même chose. Nous respectons les lois des pays où nous sommes, mais nous ne sommes pas responsables du fait que la fiscalité de l'Irlande, du Luxembourg ou de la Hollande est différente de celle de la France. C'est aux États européens de se mettre d'accord entre eux.
J'ai des équipes de fiscalistes qui, bien évidemment, nous font des recommandations – que nous suivons ou pas. Mais que les États européens trouvent le moyen d'harmoniser les bases de calcul : même celles de l'impôt sur les sociétés ne le sont pas ! Je pense qu'on ne peut pas avoir une seule monnaie et laisser perdurer ces écarts de fiscalité. Après, on a beau jeu d'accuser les groupes de faire de l'optimisation fiscale. Les débats font rage, autour de Google et compagnie. Mais regardez donc les fiscalités de certains pays au Nord-Ouest de l'Europe. Pourquoi les laisser perdurer ?
De notre côté, nous menons des actions claires. Nous avons dit que nous ne nous implanterions pas dans des paradis fiscaux. Mais dans de vrais paradis fiscaux : la Hollande n'en est pas un. Il nous reste 19 filiales. Nous avons dit que nous réduirions leur nombre à une dizaine. On ne peut pas les réduire à zéro parce que malheureusement, nous ne sommes pas seuls dans nos filiales. Dans certaines, nous sommes même minoritaires, avec des partenaires qui ne suivent pas la même politique que nous.
Monsieur Grellier, vous m'avez fait part de l'inquiétude des plasturgistes. Aujourd'hui, ceux-ci se plaignent, alors qu'ils ne se plaignaient pas il y a deux ans. C'est que, comme les prix du pétrole, les prix de la pétrochimie varient beaucoup – et ils varient souvent dans le sens inverse. Ainsi, le marché européen des polymères a fait des pertes pendant plusieurs années, mais aujourd'hui les marges se sont améliorées, ce qui renchérit les produits pour les plasturgistes européens. J'en suis bien conscient.
Quand on fait des pertes, on rationalise des capacités. Il y avait des surcapacités européennes. Les rationalisations ont sans doute influé sur le marché, qui doit être plus tendu. Ensuite, notamment cette année, il y a eu d'assez nombreux incidents sur certaines lignes. En Hollande, un très gros cracker a connu de graves problèmes ce qui a retiré des capacités, au moins de façon temporaire. En même temps, ce marché, comme celui du raffinage, reste structurellement surcapacitaire en Europe.
Dans le métier de la plasturgie, comme dans le métier du pétrole, on travaille avec des matières premières volatiles. Moi-même, je ne peux pas vendre à prix fixe les matières premières que nous transformons. Mais est-ce que la situation va perdurer ? Je n'ai pas de raison de le croire. Maintenant, est-ce qu'il y a matière à discuter entre plasturgistes et pétrochimistes ? Il y a des enceintes collectives au sein de la chimie européenne, où il est possible de se mettre autour de la table – évidemment dans le respect des droits de la concurrence.
Quoi qu'il en soit, j'ai pris note de votre commentaire. Nous en avons discuté récemment entre nous. Nous sommes conscients du problème. Aujourd'hui, les marges sont bonnes pour nous, elles sont moins bonnes pour eux.
Mais on peut également s'interroger sur l'avenir de la pétrochimie européenne. Les Américains sont en train de doubler leurs capacités en pétrochimie grâce au gaz de schiste. Les marchés des plastiques américains étant complètement matures, on peut craindre une exportation massive depuis les États-Unis susceptible de mettre en danger le système européen. J'observe par ailleurs que de nombreux chimistes européens, notamment allemands, investissent aux États-Unis – BASF, par exemple, investit en ce moment plusieurs milliards de dollars dans de nouvelles unités.
Cela dit, il n'y a pas de miracle : nous vivons dans une économie mondialisée. C'est une question de compétitivité relative : seuls les actifs compétitifs subsisteront. Il n'y a pas de protection possible. Ou alors, il faut que l'Europe adopte une autre politique.
On peut se poser la question. Ce qui se passe avec le CO2 nous y incite d'ailleurs. Si l'on est en avance sur tous les autres en matière de politique de tarification du CO2 et que les autres ne progressent pas, ne faut-il pas, au bout d'un moment, trouver le moyen de créer des taxes douanières ? En tant qu'entreprise mondiale, je ne suis pas fanatique de ce genre de solution. Mais avec le système d'ETS – European trading emission – l'Europe galope tellement qu'on ne la rattrape plus, et son industrie en subit le contrecoup. Selon un rapport de Bruxelles, les raffineurs européens ont perdu en cinq ans 20 % de leurs marges, et cette perte est liée au cadre réglementaire européen qui les désavantage par rapport à leurs concurrents. Ce n'est pas anodin.
Madame Massat, la Colombie est probablement le pays d'Amérique du Sud qui, malgré les troubles qu'il a connus, a probablement la gouvernance la plus forte. Nous n'y avons pas été très successful en exploration. Nous avons considéré que les objets étaient assez petits et nous avons eu plutôt tendance à vendre. Toutefois, nous y avons encore des permis d'exploration. Ce n'est pas un pays majeur, mais il fonctionne bien.
À l'inverse, au Venezuela, nous avons une forte exposition. C'est le seul pays en quarante ans où l'on a nationalisé une partie de nos actifs – le tiers d'une grande usine dans l'Orénoque. Il n'y a pas de gouvernance économique, et c'est le seul pays où nous avons décidé d'arrêter d'investir. On ne peut pas travailler avec cinq taux de change, sans obtenir aucune réponse à rien, ni vendre ses matières premières à un pour cinq et recevoir des dollars à un pour cent.
Objectivement, la situation du Venezuela est inquiétante. Ce pays a de grandes ressources. Contrairement aux Anglo-Saxons, nous avions décidé d'y rester malgré cette nationalisation partielle. Nous y avons des actifs, nous restons. Mais nous faisons le dos rond. Faute de gouvernance, la production, qui atteignait plus de 200 000 barils par jour, est descendue à la moitié aujourd'hui. C'est dommage. Ce pays souffre fortement de la baisse des prix du brut. Mais il y a des limites à notre action. Nous ne pouvons pas prendre les décisions à la place des gouvernants.
Ensuite, madame la députée, quel sera le montant de notre impôt sur les sociétés pour l'année 2015 ? Nous ne le savons pas. Les actions que nous avons menées pour améliorer la compétitivité de notre pétrochimie n'auront pas atteint leur plein effet en 2015. En revanche, les évolutions de taux de change auront un impact sur nos comptes français – l'euro étant passé de 1,30 dollar à 1,10 dollar. Nous les avons pris en compte dans nos anticipations, et selon nos calculs, nous devrions être amenés à payer un acompte. Après, il faudra finir l'année. Si le prix du brut continue à chuter, je ne sais pas si nos résultats seront très bons.
Mais je n'ai pas de problème et je suis tout à fait prêt à payer un impôt sur les sociétés en France : cela veut dire que nos activités françaises sont rentables.
Enfin, vous m'avez interrogé sur nos cessions d'actifs. Il faut comprendre que quand on parle aux marchés financiers, il est souvent question de cessions. En effet, ceux-ci s'inquiètent de la gestion de notre cash – en particulier quand ils voient 10 milliards disparaître. Cela dit, nous ne faisons pas que vendre : nous achetons aussi. Dans les quatre dernières années, Total a vendu 28 milliards d'actifs et en a acheté 24. Il faut bien voir que nous gérons un portefeuille, que nous ne nous contentons pas de vendre et que notre objectif est de nous développer. Nous vendons en général des actifs matures anciens, et nous réinvestissons dans des actifs neufs pour faire la croissance de demain. C'est cela, la vie d'une entreprise.
L'année dernière, nous avons donc vendu 10 milliards d'actifs, avant même la chute du prix du brut, et 5 milliards cette année. Des fonds de pension, des compagnies d'assurances, etc. vont par exemple nous racheter pour environ un milliard des tuyaux qui se trouvent au fond de l'eau en mer du Nord.
Nous avons bien un programme de cession d'actifs. C'est d'ailleurs notre devoir. Nous devons en permanence vérifier si Total est le bon actionnaire à un moment de la vie d'un actif. Un de nos actifs peut prospérer entre les mains d'autres entreprises. Par exemple, j'ai vendu l'année dernière à Arkema les adhésifs Bostik. Cette filiale était passée du deuxième au troisième rang mondial, et elle pouvait devenir la quatrième, parce qu'il était compliqué pour Total de participer à la reconsolidation du monde des adhésifs. Bostik représente aujourd'hui 20 % d'Arkema. Je peux vous dire que Thierry le Henaff se préoccupe beaucoup plus du futur de Bostik que je ne pouvais le faire.
Il faut accepter l'idée que l'on n'est pas toujours les meilleurs actionnaires de tous les actifs. En général, le personnel n'est pas tout à fait d'accord parce qu'il préférerait rester chez Total. J'en suis très fier, mais c'est au futur qu'il faut penser.
Monsieur Taugourdeau, vous m'avez demandé si je pensais avoir raison dans mes prévisions. Je ne sais pas, mais je suis convaincu que le patron d'un groupe doit avoir une vision à quinze ou vingt ans. Il ne peut avancer au gré du vent, en pensant que ce sont les marchés financiers qui ont raison. Si on avait écouté les marchés financiers il y a cinq ans, on aurait coupé Total en rondelles – exploration-production, raffinage et chimie. Certains pétroliers se sont d'ailleurs divisés en deux ou trois segments. Nous avons refusé de le faire. Il faut définir une stratégie, et savoir où l'on veut aller. Bien sûr que l'on se trompe dans ses prévisions, mais il faut garder un cap tout en sachant s'adapter au court terme.
Certes, le monde évolue très vite. En 2000, personne ne parlait d'hydrocarbures non conventionnels, et personne ne pensait que le solaire représenterait aujourd'hui 5 % du mix énergétique. Voilà pourquoi il ne faut pas s'endormir. C'est le rôle du management.
Par ailleurs, j'ai pris bonne note de votre observation concernant France Labour. C'est une très mauvaise décision, compte tenu des débats que j'ai avec les agriculteurs. Je ne sais pas qui l'a prise, mais il va recevoir un message de ma part lorsque je rentrerai au bureau !
Enfin, monsieur le président, vous avez évoqué les relations entre Total et les départements d'outre-mer, et l'audition de M. de Margerie devant votre commission. Honnêtement, j'ai suivi cela de loin, n'étant pas impliqué. Je n'ai pas très bien compris toute cette agitation. Je pense que les décisions qui ont été prises ont en partie incité le P.-D.G. de Total à vendre la SARA, la seule raffinerie d'outre-mer. Celle-ci me semble d'ailleurs être l'objet de beaucoup de fantasmes. Vous pensez bien que Total ne gagnait pas des centaines de millions d'euros sur la SARA. Sinon, cela se serait su. D'ailleurs, il ne l'a pas vendue très cher.
On a donc renoncé et vendu la SARA à Rubis. Je ne suis pas sûr que cela ait été une très bonne idée. Cela ne veut pas dire que l'on se désintéresse de l'outre-mer. Nous avons des réseaux de distribution en Martinique, en Guadeloupe, à la Réunion. À la Réunion, il y avait des problèmes de concurrence ; nous avons cédé – avec Shell – une partie de nos dispositifs à Rubis.
Maintenant, il faut que la situation s'apaise. J'ai l'impression que c'était un débat assez franco français autour du thème « le grand Total étrangle les pauvres DOM-TOM ». Ce n'est pas l'attitude que nous souhaitons avoir. Nous sommes conscients de nos responsabilités. Maintenant, si nous ne sommes pas les bienvenus et que les départements d'outre-mer préfèrent travailler avec d'autres personnes, très bien. Le monde est grand. Mais j'espère que ce ne sera pas le cas.
Quoi qu'il en soit, un certain nombre de décisions ont été prises. Le point d'abcès que constituait cette fameuse SARA n'est plus chez Total. Maintenant, les élus iront voir Rubis. Encore une fois, je ne suis pas totalement sûr qu'en termes de responsabilité sociétale, on ait fait le meilleur choix. Mais on l'a fait.
En tout cas, passez le message à vos collègues : s'ils ressentent une forme de colonialisme de notre part, il faut qu'ils me le disent, parce que ce n'est pas du tout l'état d'esprit que je veux que l'on ait. Je sais qu'un groupe de notre taille peut, de temps en temps, être perçu comme arrogant. Mais nous cherchons à faire au mieux, en prenant en compte les contraintes de chacun. En même temps, notre mission, in fine, est de faire un business rentable.