M. Lellouche a exposé une bonne partie des arguments que je défends depuis des années. En 2010, 2011 et 2012, on nous a dit qu'il fallait aider la Grèce, que l'argent donné ne serait pas perdu, que l'on allait mettre en oeuvre des réformes qui allaient produire des résultats, et qu'à défaut d'intervention, la situation s'aggraverait – et à chaque fois, je suis intervenu pour exprimer mon scepticisme.
Mme Guigou a évoqué, en des termes élégants, un accord « potentiellement récessif ». Précisément, pouvez-vous m'expliquer pourquoi ce qui a échoué deux fois devrait marcher la troisième ? Aller jusqu'au bout de la logique qui vous a inspirés aurait consisté à effacer une partie de la dette pour sortir définitivement la Grèce de la crise – si ce n'est pas ma façon de voir les choses, je lui reconnais une certaine cohérence –, mais vous ne l'avez pas fait, les Allemands vous en ayant empêchés. Quand on lit le texte de l'accord, on se rend compte que vous demandez des réformes avant de voir ce que vous pourrez donner. Or, ce sera de toute façon très insuffisant, comme le FMI l'a dit sans détours. L'accord est donc mort-né, car l'effet récessif sera tel que la Grèce ne pourra pas tenir : quelle que soit la pression que vous exercerez sur M. Tsipras, il ne pourra respecter cet engagement.
Tout ce que vous faites, c'est gagner un peu de temps. Je ne connais pas de plan d'austérité qui ait réussi sans être accompagné d'une dévaluation – dans ce domaine, les seuls exemples historiques qui me viennent à l'esprit sont ceux, dramatiques, du chancelier Brüning en Allemagne et de Pierre Laval en France. L'aide prévue par l'accord qui vient d'être conclu se situe à un niveau permettant tout juste de rembourser les créanciers durant une période très limitée, mais certainement pas de permettre la relance. Qu'on le veuille ou non, ce plan est économiquement voué à l'échec.
Sur le plan politique, comment pouvez-vous envisager sérieusement de refonder l'État grec en cinq ans, quand on sait qu'une telle entreprise nécessite des décennies, pour ne pas dire des siècles ? Comment pouvez-vous croire que vous allez changer la Grèce par décret, et imposer de l'extérieur à ce peuple fier, issu d'une histoire tragique, un programme qui est une véritable honte pour nos démocraties ? Enfin, comment avez-vous pu signer sans sourciller un plan de cette nature, consistant à mettre en place un protectorat rappelant les heures du colonialisme, et qu'aucun pays au monde n'accepterait ? En agissant de la sorte, vous allez déclencher des troubles politiques en Grèce, et ainsi gâcher la dernière carte qui restait à jouer avant le chaos.
Si le Grexit punitif, à l'allemande, n'était pas une hypothèse souhaitable, un Grexit aménagé aurait, à mon sens, constitué la seule solution durable, comme Valéry Giscard d'Estaing l'a très bien expliqué la semaine dernière dans L'Express. Alors qu'un rééchelonnement de dettes et un reprofilage auraient constitué la seule solution pour la Grèce, vous vous ingéniez à noircir toute hypothèse de Grexit, toute idée de dévaluation monétaire. Je rappelle que l'Islande, après avoir dévalué sa monnaie de 50 % et refusé de régler ses dettes, connaît aujourd'hui une très forte relance économique. Sans prétendre que ce modèle serait facilement transposable à la Grèce, j'estime que ce serait là une solution offrant davantage de perspectives que la mort lente à laquelle vous condamnez un peuple.