Profondément ancrée dans la vie de notre pays, la copie privée incarne la volonté des Français de faire vivre la culture et ceux qui la nourrissent : les artistes et les auteurs. La France est le pays de l'exception culturelle et l'attachement au système de la copie privée est très largement partagé. L'Europe en reconnaît la pertinence, et de nombreux pays ont adopté un dispositif équivalent ou comparable.
La rémunération pour copie privée, mise en place par la loi du 3 juillet 1985, permet de compenser le préjudice subi par les ayants droit du fait de la reconnaissance de l'exception pour copie privée, c'est-à-dire de la possibilité pour les consommateurs de copier les oeuvres. La rémunération pour copie privée, qui tend à créer les conditions d'une juste rémunération des créateurs et des artistes, est confrontée à la transformation des pratiques de copie liée aux évolutions technologiques, qui remet de plus en plus fortement en question la rémunération des ayants droit et le partage de la valeur. L'enjeu est de taille pour les ayants droit, qui ont récolté 233 millions d'euros en 2014. Aussi devons-nous assurer la pérennité du système et réaffirmer avec force sa pertinence.
Pour autant, nous ne pouvons en ignorer les faiblesses, voire les défaillances, qui se concentrent autour de cinq problématiques : la gouvernance, le montant de la rémunération, l'assiette, les 25 % consacrés à l'action artistique et culturelle, et le remboursement de la RCP aux professionnels.
S'agissant tout d'abord de la gouvernance, la réflexion de votre rapporteur est partie d'un constat simple : depuis les années 2000, les relations entre les différents membres de la commission pour la rémunération de la copie privée sont conflictuelles. Cette commission se compose de douze représentants des ayants droit, six représentants des consommateurs et six représentants des industriels. Les industriels ainsi que certaines associations de consommateurs critiquent le mode d'établissement des barèmes, selon eux trop complexe et trop opaque. Ces tensions ont abouti à la démission de cinq des six industriels en 2012 ; depuis, la commission ne fonctionne plus. Certains en appellent à une recomposition de la commission, éventuellement accompagnée d'un changement des modalités de vote.
Les propositions du rapport d'information n'envisagent absolument pas la remise en cause du système paritaire de la commission. Cette option constituerait un changement profond de paradigme, qui nous écarterait de l'esprit de la loi de 1985 instituant la rémunération pour copie privée. Pour cette même raison, il n'apparaît pas souhaitable de recourir à une seconde délibération acquise par un vote à la majorité des deux tiers.
La mission a cherché à renforcer l'indépendance et la légitimité des travaux de la commission. Il s'agit d'apaiser les relations pour éviter une contestation qui semble devenue la règle désormais. Dans cet esprit, le rapport identifie deux pistes de solution : d'un côté, la mise en place d'un pôle public avec des représentants des différents ministères concernés, voire des grands corps de l'État ; de l'autre côté, la création d'une autorité administrative indépendante (AAI) légère chargée d'homologuer les barèmes.
L'opportunité de la première solution a été parfaitement expliquée dans le remarquable rapport parfaitement documenté de Mme Christine Maugüé, dont je vous recommande la lecture. Je m'attarderai donc seulement sur la seconde.
Confier à une autorité administrative indépendante légère un rôle d'arbitre du système, de garant de sa transparence et de sa lisibilité, permettrait à la fois de conserver le fonctionnement paritaire de la commission et de mettre fin aux soupçons d'opacité, voire de partialité, dont ses décisions font parfois l'objet.
Afin de conférer aux barèmes une légitimité incontestable, dont ils ne jouissent pas à l'heure actuelle, cette autorité doit aussi pouvoir apprécier en amont les usages de manière régulière, précise et objective. Elle doit également, en aval, pouvoir s'adapter aux cas pratiques, notamment à l'existence de mesures techniques de protection.
Cette proposition s'inspire d'un dispositif qui existe déjà pour la presse, et qui fonctionne. Dans ce secteur, afin de limiter les blocages et de surmonter les divisions sans remettre en cause la tradition d'autorégulation, le législateur a mis en place, en 2011, une gouvernance bicéphale dans laquelle les décisions du Conseil supérieur des messageries de presse doivent être validées par une autorité administrative indépendante, l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP).
L'évolution dynamique de la RCP lui a permis d'atteindre un montant de 233 millions en 2014. Doit-on considérer celui-ci comme trop élevé en France ou trop faible dans les autres pays ?
Dans le pays de Beaumarchais, ce montant manifeste certainement un attachement historique aux droits d'auteurs, mais aussi une appétence pour les produits culturels. Constitue-t-il pour autant une « exception perceptrice française », comme certains l'affirment ? La comparaison avec d'autres pays doit être faite avec précaution. Ainsi, l'Espagne a connu une diminution drastique des perceptions en 2012, à la suite de la fiscalisation de cette rémunération. En Allemagne, la baisse enregistrée ces dernières années s'explique par un mouvement de cessation des perceptions à partir de la fin des années 2000, en raison de nombreuses procédures judiciaires impliquant industriels et ayants droit. D'après les données fournies par le président de la commission pour la culture et les médias du Bundestag, M. Siegmund Ehrmann, les montants de la rémunération pour copie privée étaient supérieurs à ceux perçus en France de 2004 à 2006 ; ils s'élevaient à 380,6 millions d'euros en 2009 et à 308,7 millions d'euros en 2010. Si les contestations juridiques rendent aujourd'hui difficile l'estimation des perceptions en régime de croisière, celles-ci pourraient néanmoins atteindre des niveaux au moins équivalents à ceux de la France, d'autant plus que d'importants accords pour l'assujettissement des disques durs d'ordinateurs ont été signés en 2014. La baisse parfois constatée n'est donc ni générale ni irréversible. Ainsi, en Italie, un décret du 20 juin 2014 a introduit de nouveaux barèmes, pour un rendement projeté de 157 millions d'euros en année pleine.
Pour ce qui est de l'assiette de la RCP, l'assujettissement des ordinateurs vient naturellement à l'esprit. Si, historiquement, le non-assujettissement des ordinateurs se justifiait par la volonté de ne pas freiner l'achat de ces matériels et de ne pas créer une fracture numérique, comment l'admettre aujourd'hui alors même que la tablette est assujettie ? Les évolutions technologiques, au gré desquelles ordinateur et tablette sont devenus des produits hybrides, rendent cette distinction formelle incompréhensible.
S'appuyant sur le rapport rendu par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) relatif à l'informatique dans ce qu'il est convenu d'appeler « le nuage » (de l'anglais cloud), votre rapporteur distingue deux usages pour celui-ci : le nuage comme casier personnel et le nuage comme service couplé à un service de téléchargement légal offrant aux utilisateurs des fonctionnalités de synchronisation. Dans ce second cas, les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) seraient en mesure de veiller au respect des droits exclusifs des auteurs qu'elles représentent. À l'inverse, dans l'hypothèse où le nuage serait utilisé comme simple casier de stockage, le prestataire n'ayant aucun contrôle sur les oeuvres stockées par l'internaute, l'exercice des droits exclusifs serait a priori empêché. Dès lors, il ne serait pas illégitime que le nuage entre dans le champ de la rémunération pour copie privée. Il serait temps de poser clairement la question.
Les incertitudes demeurant sur ces sujets sont symptomatiques des problèmes liés aux études d'usage : les usages et technologies évoluent si rapidement qu'elles doivent être plus régulières.
S'agissant du versement de 25 % de la RCP au profit de l'action artistique et culturelle, globalement, le système fonctionne correctement. Il est essentiel en ce qu'il permet un accompagnement de l'action culturelle dans notre pays surtout lorsque les crédits publics se font plus rares. Ces sommes viennent soutenir et enrichir l'action culturelle. Elles n'ont cependant pas pour vocation de compenser la réduction des allocations et des subventions actuelles. Dans ce contexte, si le taux de 25 % de la RCP semble satisfaisant, la sous-consommation de la ressource disponible est préoccupante. Les SPRD devraient veiller à utiliser au moins 80 % des crédits disponibles chaque année pour l'action artistique et culturelle. Par ailleurs, il conviendrait d'éviter les effets de concentration des aides sur certaines manifestations par une meilleure coordination entre les différentes SPRD.
La transparence dans l'utilisation des fonds doit également être renforcée. Des efforts ont été faits en ce sens mais des progrès importants restent à accomplir. C'est pourquoi je propose que la nouvelle autorité administrative indépendante soit garante de la transparence effective de l'utilisation des 25 %. Concrètement, la nouvelle autorité pourrait mettre l'ensemble des flux à disposition du public en open data, réaliser des études, rendre un rapport annuel et formuler des observations.
Il serait en outre utile de réviser la circulaire Vistel de 2001 précisant le champ des 25 % : la formation des artistes et des auteurs est encore insuffisamment développée et mérite d'être davantage soutenue. De même, le champ des actions éligibles pourrait intégrer le soutien à l'éducation artistique et culturelle.
Enfin, concernant le remboursement des professionnels, le manque d'effectivité tient en grande partie à la lourdeur des démarches administratives que ces derniers doivent engager. C'est pourquoi, en l'absence de convention d'exonération, et afin de rendre plus effectifs les remboursements dans un délai raisonnable, il est indispensable d'opérer un réel travail de simplification des demandes de remboursement de RCP pour les professionnels.
Ce rapport propose des réflexions, des pistes, pourquoi pas des solutions, afin de pérenniser un dispositif utile et légitime. Certains trouvent la copie privée vieille, démodée, dépassée. Il importe que nous, parlementaires, en élaborant les conditions d'un dialogue retrouvé, nous permettions aux consommateurs, aux industriels et aux ayants droit de dépasser sereinement la crise actuelle qui pourrait bien n'être qu'une « crise de la trentaine ».