Intervention de Marcel Rogemont

Réunion du 15 juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont, rapporteur :

Différentes parties prenantes sont concernées par le sujet, industriels, consommateurs et ayants droit, mais soyons clairs, la rémunération pour copie privée est supportée par le consommateur final. Pour l'heure, les industriels sont principalement importateurs de matériels.

Lionel Tardy évoquait le développement d'un marché gris : il existe incontestablement sur les CD vierges, qui coûtent dix fois plus cher en France qu'ailleurs. Dans la réalité, ce risque n'est que théorique puisque ce genre de supports n'est presque plus vendu dans notre pays.

En réalité, il est difficile de mesurer l'impact de la rémunération pour copie privée sur le marché. Pour certains produits, il apparaît marginal. Je reprendrai l'exemple donné dans le rapport à propos des prix de vente constatés pour certains modèles de téléphone portable : 698 euros en Allemagne, où ces appareils sont assujettis à la rémunération pour copie privée, contre 699 euros en Espagne, où ils ne le sont pas.

Pour d'autres, il est plus marqué. Il en va ainsi des supports de stockage de grande capacité. Le travail effectué en 2011 en vue de la fixation des barèmes pour 2012 n'a pas permis de saisir cet enjeu. D'où l'intérêt d'une révision régulière et des barèmes et des études d'usage. Il en va de même pour les boxes, les dispositifs d'accès à Internet. Pour échapper à la rémunération pour copie privée assise sur les disques durs intégrés, les fournisseurs d'accès à Internet prévoient désormais des ports permettant à l'usager de connecter lui-même des disques durs externes.

Ces remarques ne doivent pas conduire à remettre en cause la rémunération pour copie privée. Elles démontrent plutôt l'impérieuse nécessité pour la commission pour la rémunération de la copie privée de tenir compte en permanence des évolutions technologiques.

Michel Pouzol a posé la question de la distinction entre ordinateurs et tablettes. Pour nous montrer l'absurdité qu'il y avait à assujettir à la RCP les tablettes et pas les ordinateurs, un représentant de la société Archos nous a présenté une tablette et un ordinateur de sa fabrication, qui ne différaient l'un de l'autre que par la possibilité de dissocier le clavier sur l'un des deux. On voit bien là qu'il est inconcevable d'assujettir les tablettes mais pas les ordinateurs. De manière plus rationnelle que la France, l'Allemagne a assujetti l'ordinateur à la rémunération pour copie privée et se pose la question de l'étendre aux tablettes, qui en sont un prolongement.

Frédéric Reiss a évoqué la possibilité d'une taxe sur les GAFA. Celle-ci renvoie à la question du partage de la valeur à l'heure de l'Internet, question qui diffère de celle de la rémunération pour copie privée. Créée par la loi de 1985, après que la loi de 1957 a établi l'exception pour copie privée, cette rémunération restera en vigueur tant qu'il existera des instruments de stockage numérique. À cet égard, en proposant la solution alternative d'une taxation assise sur les objets connectés, le rapport Lescure ne faisait que déplacer le problème.

Plusieurs d'entre vous se sont demandé ce que recouvrait une autorité administrative indépendante « légère ». Eh bien, c'est une AAI qui ne pèse pas mais qui éclaire, qui facilite le processus de décision mais ne le capte pas. Après tout, une telle instance a pu être mise en place pour la distribution de la presse au numéro. La création de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse a, en effet, mis fin au blocage du Conseil supérieur des messageries de presse, dont le fonctionnement était miné par des intérêts antinomiques.

Ajoutons que le rapport propose que cette autorité administrative indépendante soit financée par Copie France, pour qui une telle participation ne saurait être un poids, compte tenu de l'importance des sommes qu'elle collecte chaque année – 233 millions d'euros en 2014.

La consommation des crédits correspondant au prélèvement de 25 % mérite effectivement d'être mise en question. La Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits s'est d'ailleurs penchée dessus. Son président nous a indiqué qu'en 2014, les ressources brutes disponibles pour l'action culturelle et artistique s'élevaient à 109 millions d'euros : 52 millions au titre de la rémunération pour copie privée, 25 millions au titre d'annulations et de reports, 27 millions au titre de sommes non réparties, 5 millions au titre d'aides volontaires de certaines SPRD comme la SACD. Que les deux tiers seulement de ce total soient utilisés est très insuffisant. La commission permanente laisserait entendre que les SPRD ne feraient pas preuve de beaucoup de fougue pour dépenser ces sommes dans de brefs délais. Notez que cette hypothèse est celle des représentants de la commission permanente et non celle de votre rapporteur !

Isabelle Attard a rappelé l'importance d'instaurer un plancher de dépenses en faveur de la formation des artistes et des auteurs. Il est vrai que la plupart des SPRD ne font pas preuve du même élan que la SACD, qui consacre 4 % à 5 % de ses crédits à ce type d'action. Pour assurer la formation de nos artistes – et pas uniquement de ceux qui dépendent du régime des intermittents –, il serait bon d'instaurer une obligation minimale.

Patrick Hetzel est revenu sur les actions d'éducation artistique et culturelle. Qu'elles fassent partie des actions financées par le prélèvement de 25 % permettrait, à notre sens, précisément de mieux accompagner l'Éducation nationale en ce domaine.

S'agissant des remboursements aux professionnels, précisons tout d'abord que les chiffres cités dans le rapport portent sur les demandes de remboursement et ne tiennent pas compte des exonérations de RCP dont bénéficient les plus grosses entreprises aux termes d'une convention qu'elles passent avec Copie France. Les sommes collectées ne concernent que les petites et très petites entreprises ainsi que les professions libérales. Pour de nombreux professionnels, il n'y a aucun intérêt à demander le remboursement de sommes modestes. Nous avons donné un exemple éclairant dans le rapport : pour bénéficier du remboursement de la somme de 1,60 euro correspondant à la rémunération de la copie privée dans le prix d'une clef USB de 16 Go, il faut obtenir un extrait de Kbis coûtant 3,90 euros !

Madame Attard, monsieur Tardy, je suis d'accord avec vous : pour un meilleur remboursement des professionnels, il faut grandement simplifier les formalités administratives. C'est précisément ce que nous proposons. Celles qui sont actuellement exigées remplissent entièrement une page de notre rapport. Il faut faire en sorte qu'elles ne remplissent plus qu'une moitié, voire un tiers de page.

Monsieur Tardy, les questions écrites ont moins de chance d'aboutir que les questions orales. Lorsque vous voudrez les procès-verbaux des réunions de la commission pour la rémunération de la copie privée, adressez-vous plutôt à l'Assemblée nationale – car nous disposons de ces documents. Cela dit, il n'est absolument pas normal que vous n'ayez pas pu en prendre connaissance. De manière générale, tout citoyen doit pouvoir accéder aux informations sur ce qu'il paie. Ce type de fonctionnement, volontaire ou non de la part de la commission, n'est pas acceptable.

Christophe Premat voulait éclairer le lien entre pouvoir politique et autorité administrative indépendante : la création d'une AAI vise précisément à ce qu'il n'y en ait pas. Lors de son déplacement à Berlin, la mission a rencontré Siegmund Ehrmann, président SPD de la commission des affaires culturelles et des médias du Bundestag, et Ansgar Heveling, membre CDU de cette même commission et spécialiste des droits d'auteur. L'un et l'autre nous ont dit leur volonté de ne pas revenir au système qui prévalait auparavant, à savoir que le Gouvernement fixait les barèmes par ordonnance. Ils souhaitent que la France et l'Allemagne défendent un même principe : la rémunération pour copie privée en tant que réparation d'un préjudice subi par les auteurs. Rappelons que l'Allemagne a créé la RCP avant la France et qu'elle est à la pointe de la défense des droits d'auteur. L'homologation des barèmes issus des discussions entre industriels et ayants droit y est établie par l'Office des brevets et des marques, qui peut s'apparenter à une AAI. À mon sens, nous aurions tout intérêt à nous rapprocher, sous une forme ou sous une autre, du modèle allemand. Cela renforcera la rémunération pour copie privée, dans son esprit et dans ses modalités.

Que les données portant sur les sommes versées par les SPRD soient disponibles en format ouvert, cela me paraît aller de soi, mais ce n'est sans doute pas suffisant. La plupart de ces sociétés mettent en ligne les informations, mais sous forme de listes indigestes, comprenant des milliers de lignes retraçant l'affectation des crédits, sans analyse ni synthèse. Trop d'information tue l'information. Pour que nous puissions en tirer quelque chose, il faut que ces données soient mieux ordonnées. L'autorité administrative indépendante légère que j'appelle de mes voeux pourrait s'appuyer dessus.

Monsieur Tardy, vous nous invitez à nous attaquer frontalement aux problèmes. Mais quel serait le résultat d'une telle attaque ? Espérons qu'elle ne ferait pas trop de morts ! En tout état de cause, votre rapporteur n'aspire pas à la mort de la rémunération pour copie privée, si c'est cela que vous avez en tête.

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