Intervention de Erwann Binet

Séance en hémicycle du 20 juillet 2015 à 16h00
Droit des étrangers — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, madame, et monsieur les rapporteurs pour avis Valérie Corre et Kader Arif, chers collègues, permettez-moi d’évoquer d’abord une simple image que nous avons tous et toutes entr’aperçue à proximité de nos préfectures : celle de files d’attente de centaines de personnes, patientant pendant des heures, la nuit parfois, été comme hiver, pour accéder au guichet qui enregistrera leur demande d’un titre de séjour ou de son renouvellement.

Dans de nombreuses préfectures, les couleurs de cette image sont désormais fanées. Les conditions d’accueil des étrangers ont été très largement améliorées par les mesures volontaristes prises dès 2012 par Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, et poursuivies grâce à votre propre détermination, monsieur le ministre.

En effet, vous avez consacré de substantiels moyens supplémentaires à améliorer l’accueil en préfecture. Je l’ai constaté moi-même lors de mes visites à Bobigny, à Marseille, à Rennes ou à Grenoble. Des efforts réels sont réalisés partout, souvent par des décisions simples et peu coûteuses à mettre en oeuvre.

L’une des plus efficaces a été la circulaire du 25 juin 2013, par laquelle Manuel Valls demandait aux préfets de faire débuter la validité du titre de séjour à compter du jour de sa délivrance, et non de l’expiration du titre précédent. Dans de nombreux cas en effet, le titre n’était renouvelé que plusieurs mois après son expiration. L’étranger se retrouvait donc avec un titre dont la validité d’un an était déjà largement entamée au moment de sa remise, ce qui l’obligeait à revenir en préfecture quelques mois seulement après qu’on le lui avait délivré. Cette décision, si simple qu’on se demande pour quelle raison elle n’avait pas été prise sous le précédent quinquennat alors que le problème était criant, a permis de réduire notablement le flux des dossiers à traiter.

Cependant, même si elle s’est fanée, cette image n’a pas complètement disparu. La semaine dernière encore, alors que je me rendais à la gare de Lyon-Part-Dieu, je suis passé à cinq heures trente devant les services de la préfecture du Rhône : la file d’attente débutant rue Molière faisait déjà à cette heure très matinale le tour du pâté de maison.

Pourtant, à Lyon comme ailleurs, des efforts considérables ont été faits. Les services ont déménagé, et les effets de ce changement ont été salués par Matthias Fekl dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre en mai 2013. Notre collègue avançait d’ailleurs dans ce document un chiffre éclairant que vous avez rappelé, monsieur le ministre : la délivrance de titres de séjour a suscité cinq millions de passages dans nos préfectures. Parmi ces titres : 750 000 étaient des renouvellements.

Il faut se rendre à l’évidence : notre encadrement législatif impose aux étrangers en situation régulière un mouvement perpétuel de démarches administratives qui ne leur permet pas de se projeter dans notre pays au-delà de quelques mois, ni par conséquent de s’intégrer dans la société française.

Ces longues files d’attente devant nos préfectures disent d’abord et avant tout que la France est un pays d’immigration, ce qui est en effet le cas depuis au moins deux siècles. Il n’est pas inutile de le rappeler, comme vous l’avez fait vous-même devant la commission, monsieur le ministre, et comme l’a fait le Président de la République lors de l’inauguration du Musée national de l’histoire de l’immigration en décembre dernier.

En effet ces files d’attente interminables donnent aussi l’impression que la France ne se reconnaît pas, ne se vit pas, ne s’assume pas comme un pays d’immigration, à la différence des autres grands pays, États-Unis, Australie, Canada, Grande Bretagne, Allemagne.

Ces files interminables devant les préfectures de France portent en elles une terrible violence symbolique. Elles placent les étrangers dans une situation dégradante, humiliante. Elles leur suggèrent qu’ils gênent, qu’ils embarrassent, qu’ils encombrent la France comme ils encombrent ses trottoirs. Elles font peser des tensions extrêmes sur nos agents qui officient de l’autre côté du guichet.

Je veux saluer ici le professionnalisme et l’engagement dont ils font preuve chaque jour pour améliorer les conditions d’accueil, et que j’ai pu mesurer à chacune de mes visites. Je dois dire au surplus que beaucoup d’entre eux ont très mal vécu ces années où il leur était demandé d’endurer les tensions imposées par un engorgement permanent de leur service et de subir l’impatience compréhensible des usagers. Ces longues files d’attente, cette image dégradante, nous n’en voulons plus, ni pour la dignité des étrangers, ni pour celle de la France.

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