Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 20 juillet 2015 à 16h00
Droit des étrangers — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, madame et monsieur les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons est un texte important, qui intervient dans un contexte européen marqué par de grandes tensions migratoires. Nombreux sont ceux qui choisissent de venir en Europe, soit pour fuir la guerre et la violence, soit parce qu’ils espèrent un meilleur avenir économique, mais restent à la porte d’un continent qui leur est inaccessible, quand ils ne trouvent pas la mort en Méditerranée.

L’Europe doit faire face à ses responsabilités en matière d’accueil des migrants, de respect de leurs droits fondamentaux, de solidarité et de lutte contre l’immigration irrégulière. La commission des affaires européennes s’est prononcée sur ce projet dans un rapport dont je suis l’auteur. Nous avons rappelé à cette occasion que l’action de la France doit s’inscrire en cohérence avec celle de l’Union européenne.

Soulignons d’abord la prise de conscience par le Gouvernement des faiblesses intrinsèques du système actuel d’accueil et d’accompagnement des primo-arrivants vers l’intégration et les progrès proposés. Au contraire de ce que nous avions pu observer au cours de la précédente législature, le présent projet entend promouvoir un mécanisme centré sur l’étranger souhaitant réussir son intégration. Le nouveau dispositif personnalisé proposé est de nature à le soutenir et à l’encourager, et les amendements du Gouvernement et du rapporteur mettant l’accent sur l’intégration républicaine, vont, à cet égard, dans le bon sens.

Le présent projet se montre également novateur en consacrant la carte de séjour pluriannuelle. Celle-ci encourage la progressivité et la cohérence du parcours d’intégration entrepris par l’étranger. C’est un élément qui manifeste aux travailleurs, aux étudiants, aux investisseurs la considération que la France a pour eux.

La réforme du droit des étrangers s’inscrit aussi dans une perspective d’affirmation de l’attractivité du territoire français, au travers de la création du « passeport talent ».

La réforme reprend un certain nombre de dispositions européennes, particulièrement celles de la « carte bleue européenne » à destination des travailleurs hautement qualifiés. À cela s’ajoute une simplification des dispositions relatives au séjour de courte durée pour des raisons professionnelles, l’introduction, à l’initiative du rapporteur, d’une disposition relative au séjour temporaire des stagiaires, qui rappelle que la France, en s’inspirant des normes européennes sur le sujet, doit être un modèle pour ses partenaires européens.

Ces dispositions, par leurs implications, sont autant de progrès. Leur mise en oeuvre suscite néanmoins un certain nombre d’interrogations. La généralisation de la carte de séjour pluriannuelle, dont l’objet est de lutter contre une forme de précarité juridique, impose à l’étranger la nécessité de démontrer à tout moment qu’il satisfait aux conditions fixées lors de la délivrance de sa carte. À cela s’ajoute la multiplicité des règles de délivrance qui nuit à la cohérence de l’ensemble.

Par ailleurs, des interprétations contradictoires sont possibles, même si les interventions respectives de M. le ministre et de M. le rapporteur ont déjà apporté un certain nombre de réponses sur ce point.

En ce qui concerne l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, le projet de loi présente aussi des avancées positives. Citons le renforcement du caractère prioritaire de l’assignation à résidence par rapport au placement en rétention, la possibilité de proroger le délai de départ volontaire et la possibilité pour les journalistes d’accéder aux zones d’attente et aux lieux de rétention administrative.

Je veux aussi saluer l’adoption par la commission des lois d’un amendement tendant à exclure le placement d’un mineur en rétention, hormis dans les cas prévus par la circulaire du ministre de l’intérieur du 6 juillet 2012.

Toutefois, là encore, certaines dispositions suscitent, par leur importance sur le plan pratique, des interrogations que la discussion ne peut laisser de côté.

Est-il souhaitable de réduire de trente à sept jours le délai de recours contre une obligation de quitter le territoire français pour les personnes dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et pour celles qui se sont maintenues sur le territoire sans demander de titre de séjour ?L’adoption par la commission des lois de l’amendement visant à supprimer ce délai spécifique est positive.

La création d’une nouvelle interdiction de circulation, en cas d’abus de droit et lorsque le comportement d’une personne constitue une menace pour l’ordre ou la sécurité publique, bien qu’elle soit en théorie possible en application de la directive relative à la libre circulation des ressortissants européens, doit aussi être soigneusement soupesée.

Parallèlement, le suivi très étroit des personnes étrangères en France, prévu par l’article 25, pose la question du respect de la législation européenne en matière de protection des données personnelles. L’amendement présenté devant la commission des lois qui encadre plus strictement le droit de communication apparaît positif à cet égard.

Si la réforme va dans le bon sens, celui d’une France qui sait accueillir et se protéger, qui sait faire des différences et compétences étrangères un atout pour sa performance, nous devons veiller à ce que la rédaction de la loi garantisse l’effectivité des objectifs proclamés sans laisser la moindre marge à une interprétation erronée ou restrictive, qu’elle soit systématique ou fonction des agents en charge de l’appliquer.

C’est donc, mes chers collègues, notre capacité à construire une stratégie nationale d’immigration mêlant efficacité et bienveillance qui se trouve in fine au coeur de ce projet et de nos discussions. Là encore, il appartient à notre assemblée d’être fidèle aux valeurs de la République et d’être pour l’Europe que nous construisons un exemple à suivre dans nos relations avec l’étranger.

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