Intervention de Christian Dubreuil

Réunion du 15 juillet 2015 à 14h00
Commission des affaires économiques

Christian Dubreuil :

C'est un honneur pour un serviteur de l'État et des collectivités locales depuis trente-huit ans d'être devant vous. C'est aussi un honneur pour le citoyen que je suis, impliqué dans la vie de la cité à titre professionnel et associatif. C'est enfin un honneur personnel : ni mon grand-père analphabète ni mon père titulaire du certificat d'études n'auraient pu être présents devant vous sans l'école de la République à laquelle je rends hommage.

Depuis trente-huit ans, j'ai été amené à travailler dans les services déconcentrés de l'État, en cabinet ministériel, auprès de Louis Le Pensec, et en tant que directeur d'administration centrale au ministère de l'agriculture, avec Louis Le Pensec, Jean Glavany et François Patriat ; j'ai dirigé ou co-dirigé deux établissements publics administratifs, l'un de l'État – l'Agence du médicament –, l'autre d'une collectivité locale – l'agence des espaces verts de la région Île-de-France.

J'apporterai à l'Office national des forêts, premier établissement public industriel et commercial que je serai amené à diriger, si vous en décidez ainsi, l'expérience de toute ma vie. Je suis un homme d'action et de décision. Comme l'a dit Al Gore, la volonté est une ressource renouvelable !

Je suis, depuis cinq ans, gestionnaire des forêts de la région Ile-de-France. Mais, avec l'ONF, l'échelle est tout autre. J'aborde donc cette tâche avec humilité.

L'Office est une belle maison, construite, vous l'avez rappelé, par des générations de forestiers, dont mes prédécesseurs auxquels je rends hommage, et par l'État. Il s'appuie sur des valeurs fortes et des personnels engagés qui gèrent de manière durable et multifonctionnelle les forêts publiques. Son prestige est immense, surtout au-delà de nos frontières, ce qui est une caractéristique bien française.

L'Office est le premier gestionnaire d'espaces naturels en France, plus de dix millions d'hectares en métropole et en outre-mer. Ses forêts accueillent 500 millions de visiteurs par an. Il met sur le marché 40 % du bois vendu en France au sein d'une filière forêt-bois qui emploie plus de 400 000 personnes, réalise un chiffre d'affaires de 60 milliards d'euros et représente 3 % du PIB.

Je me félicite de l'intention affichée du Gouvernement et du Parlement de maintenir pour les années à venir les règles fondamentales qui ont présidé à la création de l'Office : un régime forestier, un gestionnaire unique de la forêt publique, un établissement public industriel et commercial – chacun des quatre termes est important –, un établissement public dérogatoire dans lequel la présence de fonctionnaires est prévue, une forte présence sur tout le territoire à laquelle vous tenez beaucoup, grâce à un maillage de proximité qui doit absolument être préservé.

Vos rapports – notamment celui du président actuel de l'établissement, Jean-Yves Caullet – et la loi d'avenir sur la forêt confortent le rôle de l'institution dans les politiques publiques forestières. Le contrat d'objectifs et de performance que doivent signer cet automne l'Office, l'État et la Fédération nationale des communes forestières pour 2016-2020 ainsi que le projet de loi de finances pour 2016 que vous allez examiner, vont dans ce sens également.

Mais cette maison, vieille de cinq cents ans, doit se remettre en mouvement après les crispations internes, les réactions conservatrices et les difficultés de dialogue avec la filière ou les communes forestières qu'elle a connues. Elle doit donc évoluer pour répondre aux enjeux que vous avez identifiés dans une économie ouverte. Je veux libérer les énergies, favoriser l'innovation ainsi que la recherche forestière appliquée et donner la parole aux agents.

Notre cher et vieux pays est plutôt un pays de paysans, ce qui est tout à fait honorable, qu'un pays de forestiers ou de marins. La forêt n'est pas assez connue et reconnue, vous l'avez dit, pour son rôle économique, social et environnemental. L'Office doit donc renforcer ses liens avec nos concitoyens dans une société qui n'accepte plus comme par le passé le primat de l'expertise technique ou le respect dû aux agents de l'État, fussent-ils revêtus d'un uniforme. Il faut donc qu'il contribue à l'éducation à l'environnement des jeunes générations et explique la politique qu'il mène, en particulier en zone périurbaine, comme je l'ai constaté en Île-de-France.

L'Office doit participer au grand débat, international et national, qui se tient autour de la réunion de la COP21 que la France a la chance d'accueillir. Cette réunion et l'accord qui devrait en sortir souligneront la place fondamentale qu'occupe la forêt dans la lutte contre le réchauffement climatique. Notre pays, dont la surface est couverte de forêts à 31 % en métropole et presque intégralement en Guyane, peut donc parler haut et fort. Ce sera une occasion unique de rappeler le rôle de la forêt dans le stockage du carbone, dans le maintien de la qualité des eaux, dans la protection de la biodiversité et dans la production de biomasse renouvelable, afin de trouver des modes de vie viables dans notre civilisation devenue urbaine.

Le gestionnaire que je suis aimerait bien sûr que tous les services rendus par la forêt à la société, après avoir été reconnus et évalués, soient rémunérés. Nous n'en sommes pas là, mais il est indispensable que l'Union européenne travaille concrètement à la rémunération de ce que l'on appelle les « aménités positives » de la forêt pour ses trois fonctions – économique, sociale et environnementale.

En effet, si ces fonctions ne sont pas équilibrées et financées, la fonction marchande prendra le pas sur les autres. À court terme, la possibilité de mobilisation du fonds chaleur du ministère de l'écologie par l'Office en 2016 serait une première étape utile. Dans cette perspective, l'établissement doit renforcer sa collaboration avec le Conservatoire du littoral et l'Agence française pour la biodiversité qui doit être créée.

La fonction de production de la ressource bois est évidemment fondamentale puisque toute une filière industrielle en dépend. J'inscrirai mon action dans le cadre du contrat de filière bois, signé le 16 décembre 2014, qui fixe à tous les acteurs, dont l'Office, des objectifs de participation à la consolidation et au développement d'une industrie qui transforme une même ressource, renouvelable et recyclable.

Puisque les forêts publiques représentent 25 % de la surface forestière mais apportent 34 % de la récolte de bois, on peut dire qu'à ce stade, l'Office joue pleinement son rôle de producteur. Toutefois, familier depuis dix-huit ans du haut niveau d'organisation et d'intégration de la filière agricole et agroalimentaire française, je considère qu'il faut, au sein de la filière forêt-bois, surmonter les divisions, coopérer et probablement aller vers une seule interprofession de l'amont à l'aval, du plan national au plan régional. En tant que membre de Francîlbois au titre de l'agence régionale que je dirige depuis cinq ans et de France Bois Forêt au titre de l'Office, je m'engage à y contribuer car je sais l'importance de la coopération entre les entreprises et les institutions pour avancer.

L'ONF produit en 2015, et doit produire entre 2016 et 2020, un volume de bois fixé par le contrat d'objectifs et de performance à un niveau soutenu mais réaliste. Je constate que le chiffre d'affaires bois de l'Office a été divisé par deux entre la fin des années 1970 et aujourd'hui et qu'il n'a jamais retrouvé le niveau observé avant les tempêtes Lothar et Martin. La situation de l'établissement est donc plus fragile que par le passé. Si le cours du bois sur pied s'améliore depuis quelques années, il cède cette ressource rare à un prix lui aussi divisé par deux depuis les années 1970. Dans sa relation avec les industriels de l'aval, il doit développer la contractualisation, produire du bois façonné et développer les contrats d'approvisionnement. Il faut, bien sûr, se préoccuper des industriels qui traitent le chêne dont la situation est rendue très difficile par la rareté de la ressource et l'envolée des prix. Pour être viable, l'Office doit capter une part plus importante de la valeur ajoutée de la filière. J'envisage, en sus de la certification PEFC – programme européen des forêts certifiées –, d'expérimenter la certification de certaines forêts domaniales avec le label FSC – Forest Stewardship Council –, comme je l'ai fait à l'agence régionale que je dirige. Cette certification, souhaitée par les industriels, permettrait de mieux valoriser le bois et mobiliserait les personnels de l'établissement, qui démontreraient une fois de plus la qualité de leur gestion.

Je souhaite insister sur la relation de l'Office avec les communes forestières et sur son rôle de gestionnaire des forêts de collectivités. Le fait que la Fédération nationale des communes forestières ait signé le contrat d'objectifs et de performance 2012-2016 et s'apprête, je l'espère, à en faire de même pour le contrat 2016-2020 est une bonne chose.

Les communes forestières apportent une contribution financière significative à l'Office. Je regrette la crispation entre l'État et les collectivités dans le débat financier de 2014. Il faut désormais surmonter cette tension et s'accorder sur le contrat pour les cinq années à venir.

Le rapport de la mission interministérielle sur le coût du régime forestier, notamment dans les forêts des collectivités, rend le débat plus objectif. Mettons en oeuvre ces principales recommandations et nous agirons ainsi dans le bon sens.

Pour que l'Office rende, à financement constant par l'État, le service attendu par les collectivités territoriales, il faut augmenter la surface de forêts couverte par des plans d'aménagement, inciter au regroupement des forêts des collectivités, envisager des programmes triennaux de coupe et de travaux, s'assurer de l'application du régime forestier sur toutes les surfaces qui en relèvent, et rationaliser la répartition entre forêts domaniales et forêts des collectivités en procédant à des cessions, acquisitions et échanges, comme je l'ai entrepris en Ile-de-France.

Je souhaite que vous puissiez user de votre influence, qui est grande, à Paris et sur le terrain, pour que l'Office, les communes, les départements et les régions retrouvent un haut degré de coopération. Cela permettrait à l'établissement de consolider son maillage territorial, fort de 300 unités territoriales que je m'engage à conserver sur la durée du contrat, et de réaliser les travaux que vous souhaitez dans des conditions économiques soutenables pour lui. Je suis conscient que les communes ne peuvent guère contribuer davantage au financement de l'Office compte tenu de leur contribution au redressement des comptes publics. Mais, parallèlement, l'établissement public doit pratiquer la vérité des prix et ne peut pas exercer son activité dans des conditions déficitaires.

L'État, heureusement, s'engage à stabiliser le montant du versement compensatoire et à poursuivre le financement intégral des missions d'intérêt général. L'Office a acquis une grande expertise dans ces missions, au profit de tous ; la restauration des terrains en montagne, la protection des forêts contre l'incendie, notamment en zone méditerranéenne, le maintien des dunes littorales, la défense de la biodiversité, l'action outre-mer sont fondamentales.

Nous savons que le changement climatique va augmenter les risques. Il faut s'y préparer, par exemple en prévoyant le renouvellement des peuplements forestiers en montagne. S'agissant de la rénovation des terrains en montagne, l'Office apporte aux préfets son expertise ainsi que sa maîtrise d'oeuvre, et réalise les travaux décidés localement. Les objectifs fixés au plan national par l'État, à moyens constants – 105 postes – sont difficiles à concilier avec les attentes locales. Il faut poursuivre l'investissement dans ce domaine. Quant à la protection de la forêt méditerranéenne, nous ne devons pas baisser la garde en matière de prévention et de réparation car les succès d'aujourd'hui ne nous prémunissent pas tout à fait contre les grands feux de demain.

Je terminerai en soulignant que l'Office s'est déjà beaucoup réformé pour atteindre ses objectifs de politique publique. Il a connu treize ans de baisse continue de ses effectifs, ceux-ci passant de 12 000 à 9 000 entre 2002 et 2015, soit une diminution de 23 %, sans abandon des missions mais en restructurant son réseau. Il doit poursuivre de vigoureux efforts de réforme pour accroître ses recettes, rendre bénéficiaires les activités concurrentielles, réduire ses coûts, céder les actifs non stratégiques pour l'État et maintenir un haut niveau d'investissement en forêt publique, en particulier en forêt domaniale et réduire son endettement.

L'ONF peut le faire, j'en suis persuadé, avec un contrat d'objectifs et de performance 2016-2020 réaliste dont l'exécution est garantie par les trois signataires. Parallèlement à la stabilisation de ses effectifs – une novation –, il doit développer l'emploi de droit privé avec l'embauche de jeunes en contrat aidé pour modifier la pyramide des âges qui est, à mes yeux, l'un des principaux problèmes de l'Office. La majorité des agents, et c'est encore plus vrai des ouvriers, a plus de cinquante-cinq ans. Ce n'est pas un défaut, je le dis en connaissance de cause, mais il faut prévoir le renouvellement des générations et embaucher des jeunes.

L'Office doit développer une culture de gestion, en sus de sa culture technique, améliorer le dialogue social et mobiliser les agents autour du projet d'établissement que je souhaite conclure en mars 2016, après six mois de concertation et l'adoption du contrat d'objectifs et de performance.

Voilà mon analyse des principaux enjeux, ainsi que quelques perspectives susceptibles d'inspirer le mandat que vous voudrez bien, ou non, me confier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion