Intervention de Ségolène Royal

Séance en hémicycle du 22 juillet 2015 à 15h00
Transition énergétique — Présentation

Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie :

Il est important que vous repreniez cette disposition au cours de cette lecture définitive.

Après les territoires, j’en viens aux entreprises.

Le projet de loi va permettre de faire émerger de nouveaux secteurs d’activité. Plusieurs dispositions obligent à de nouveaux comportements ou à l’usage de nouveaux produits. Elles vont inciter les entreprises à conquérir de nouveaux marchés en leur donnant la sécurité nécessaire.

Le marché des véhicules électriques, par exemple, avec le crédit d’impôt pour la transition énergétique de 30 %, qui s’applique aussi aux dépenses engagées pour l’acquisition d’un système de recharge des véhicules électriques ; avec le déploiement massif des bornes de recharge ; avec les objectifs obligatoires, inscrits dans la loi, de renouvellement des flottes par des véhicules propres ; avec la mise en place du bonus écologique porté à 10 000 euros pour le remplacement d’un vieux véhicule diesel par une voiture électrique.

Autre exemple, celui du marché des sacs biodégradables et compostables créé par l’interdiction de la distribution aux caisses, à partir du 1er janvier 2016, des sacs plastiques non réutilisables.

Je citerai aussi le marché des services énergétiques pour mieux consommer et économiser l’énergie. Rénovation thermique des logements et des bâtiments, stockage de l’énergie, efficacité énergétique active, compteurs intelligents, effacements de consommation : autant de produits et de services qui permettront de faire baisser les factures tout en créant des emplois dans ces nouvelles filières.

Concernant le marché des réseaux électriques intelligents, un appel à projets a été lancé pour accompagner le déploiement dans les territoires et pour créer des vitrines technologiques.

Il s’agit également de mobiliser les filières pour le développement des énergies renouvelables. Le titre V du projet de loi étant consacré à la montée en puissance de ces énergies, je me permettrai de mentionner devant vous les dernières initiatives prises et les premiers résultats engrangés.

La part prise par les énergies renouvelables atteint désormais près de 20 % de notre consommation électrique. Elle dépasse pour la première fois la production thermique d’origine fossile, hors hydraulique. Il reste bien du chemin à parcourir, certes, mais l’éolien et le photovoltaïque repartent à la hausse, les projets se multiplient et c’est, pour la transition énergétique, une excellente nouvelle.

Les appels à projets lancés par le ministère de l’écologie portent leurs fruits, que ce soit pour les hydroliennes fluviales, pour les installations photovoltaïques de grande, moyenne et petite puissance, pour les installations solaires destinées aux outre-mer et à la Corse, qui allient technologies innovantes de stockage et solutions d’autoconsommation dans une perspective d’autonomie énergétique.

Dans le cadre du soutien apporté aux démonstrateurs d’énergies marines, l’hydrolienne expérimentale Sabella D10, l’une des machines les plus puissantes du monde, a été inaugurée en avril dernier. Le suivi de ses impacts environnementaux fait l’objet d’un protocole rigoureux avec le parc naturel marin d’Iroise.

Je viens par ailleurs de désigner quatre zones propices pour l’éolien flottant, au large de la Bretagne, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la région Languedoc-Roussillon. Un appel à projets sera lancé avant la fin du mois pour y installer les premières fermes pilotes. Financé par le programme des investissements d’avenir et par des tarifs de rachat de l’électricité produite, il permettra de lancer une nouvelle filière d’avenir prometteuse.

J’ai aussi saisi la Commission de régulation de l’énergie, pour lancer un nouvel appel d’offres sur la production d’électricité à partir de biomasse. Il permettra de développer des projets de petite taille, à fort rendement énergétique et bien adaptés à la ressource locale en biomasse.

Avec le ministre de l’agriculture, j’ai relancé la filière du solaire thermique, avec l’appel à projets « DYNAMIC Bois », qui permettra d’optimiser à la fois la biomasse issue de l’exploitation forestière et la séquestration du carbone par les arbres.

Dans le cadre du prochain projet de loi de finances, enfin, nous vous ferons des propositions sur la fiscalité des méthaniseurs pour permettre la montée en puissance de ce secteur.

Il y a là un enjeu climatique et économique de première importance. Notre pays doit valoriser tous ses savoir-faire, sur le marché national, bien sûr, mais aussi sur le marché international, puisque tous les pays devront s’engager dans la transition énergétique.

L’économie circulaire sera aussi matière à création d’emplois. En effet, le texte qui vous est soumis inscrit pour la première fois dans notre droit positif cette économie circulaire, qui fait des déchets des uns les matières premières des autres. Il fixe, en matière de recyclage, des objectifs précis par catégorie de déchets et par secteur d’activité, permettant là aussi des investissements productifs et rentables de la part des entreprises présentes dans ces secteurs.

Le titre IV a fait, dès le mois de juillet 2014, l’objet de plusieurs plans d’action que j’ai rendus publics. L’appel à projets pour des « territoires zéro déchet, zéro gaspillage » a rencontré un vif succès : 293 collectivités réparties dans toutes les régions et rassemblant plus de 7,5 millions d’habitants se sont engagées à participer à cette démarche volontaire de lutte contre les gaspillages et les déchets. Les plus ambitieuses d’entre elles se sont fixé l’objectif d’une réduction de plus de 10 % de leurs déchets, ce qui correspond à plus de 240 000 tonnes évitées et 43 millions d’euros d’économies par an.

Les cinquante-huit projets que j’ai désignés comme lauréats, tant dans l’Hexagone que dans les outre-mer, sont les plus aboutis et bénéficient d’un accompagnement financier via l’ADEME – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie –, qui leur apporte son expertise technique, son soutien financier pour l’animation de leur démarche et l’accès à des prêts bonifiés à l’investissement. Ces projets exemplaires témoignent de la créativité et de la réactivité des territoires dès lors que le cap est clairement fixé et que des moyens facilement accessibles sont mis en place. Voilà qui est d’excellent augure pour que la loi relative à la transition énergétique, après sa promulgation, aide à généraliser dans tout le pays cette économie circulaire qui a vocation à remplacer l’économie linéaire, en même temps que l’éco-conception des produits remplacera l’obsolescence programmée, dont le texte qui vous est soumis donne enfin une définition précise que vos travaux et vos débats ont permis de renforcer.

La lutte contre le gaspillage alimentaire, qui représente une dépense moyenne de 400 euros par an pour une famille de quatre personnes, constitue également l’un des points forts de ce projet de loi. À la demande du Premier ministre, Guillaume Garot a remis en avril dernier, au ministre de l’agriculture et à moi-même, un rapport sur la question. Il identifie précisément tous les freins à lever et formule des propositions concrètes, dont certaines trouvent leur place dans ce projet de loi. Un amendement du Gouvernement, adopté par le Sénat, crée ainsi une sanction, publiable dans les journaux locaux, interdisant la javellisation des invendus encore consommables.

Comme j’en avais pris l’engagement devant vous, et je tiens à vous en rendre compte, j’ai tenu à lancer sans tarder, en concertation avec toutes les parties prenantes, l’élaboration des textes d’application relatifs aux dispositions inscrites dans le projet de loi. Ces textes sont nombreux et je tiens à vous dire que 18 décrets, ainsi que les ordonnances correspondant à 27 habilitations, sont en cours d’élaboration ou de finalisation. C’est le résultat d’un travail considérable de l’administration de mon ministère, à laquelle je tiens à rendre hommage pour son engagement au cours de ces derniers mois. J’avais pris un engagement, et cet engagement sera effectivement tenu.

Cela concernera notamment le développement des transports propres. Les projets de décrets relatifs au déploiement de véhicules à faibles émissions dans les flottes publiques, des loueurs et des taxis seront mis en consultation à l’été, pour une saisine du Conseil d’État à l’automne. La publication de ces décrets interviendra donc avant la fin de l’année.

S’agissant de la lutte contre les gaspillages et de la promotion de l’économie circulaire, les premiers textes ont été présentés au Conseil national des déchets aux mois de mai et juillet. Ils visent à limiter l’usage des sacs plastiques ; à mettre en oeuvre la reprise des déchets du secteur des bâtiments et travaux publics par les distributeurs professionnels de matériaux ; à obliger les professionnels à trier les déchets qu’ils produisent ; à obliger, enfin, les opérateurs de traitement de déchets d’équipements électriques et électroniques à contractualiser avec un éco-organisme. Les projets de décrets relatifs à ces sujets étant prêts, ils seront présentés pour une saisine du Conseil d’État dès la promulgation de la loi.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, le projet de décret d’application relatif au complément de rémunération pour les énergies renouvelables sera présenté en juillet, pour une publication avant la fin de l’année. Le texte relatif à la procédure d’appel d’offres pour l’injection du biométhane dans le réseau de gaz est finalisé pour une saisine du Conseil d’État. Le décret fixant les budgets carbone et validant la stratégie nationale bas carbone sera quant à lui publié en novembre 2015, après avoir franchi toutes les étapes de la consultation. Les décrets permettant de mettre en oeuvre le chèque énergie sont prêts et feront, eux aussi, l’objet d’une saisine du Conseil d’État dès promulgation de la loi. Ce chèque énergie aidera les ménages disposant de revenus modestes à payer leur facture. Il sera mis en place en 2016, et une phase expérimentale précédera sa généralisation.

Mesdames et messieurs les députés, en évoquant la mise en oeuvre de quelques-unes des dispositions adoptées au cours des débats parlementaires, c’est-à-dire la traduction dans les faits des grands axes du projet de loi sur lequel vous vous penchez à nouveau, j’ai voulu illustrer et souligner le fait que le mouvement de la transition énergétique monte en puissance. Chacun, désormais, a compris que ce mouvement est irréversible. Il est fort d’acteurs motivés, de citoyens conscients des enjeux et prêts à participer, d’élus imaginatifs et décidés à agir, d’associations expertes et activement impliquées, et surtout d’entreprises, grandes et petites, qui sont de plus en plus nombreuses à faire le choix de la croissance verte, comme l’ont montré le Business and Climate Summit organisé à Paris en mai dernier et le sommet mondial climat et territoires organisé à Lyon au début de ce mois.

Ce mouvement est fort de mobilisations convergentes qui préfigurent l’élan que vous allez rendre possible dans la France entière. Nous voilà donc sur le point d’aboutir, après ces longs mois de travail, en mettant sur des rails solides une transition ambitieuse qui réconcilie l’économie et l’écologie, qui lie étroitement le local et le global, le progrès environnemental et le progrès social, la question énergétique et la question démocratique, le temps présent et les temps à venir. La France a soif d’une nouvelle frontière et d’un nouvel espoir. On dit que les portes de l’avenir sont ouvertes à ceux qui savent les pousser. Notre commune responsabilité, c’est d’en réunir aujourd’hui les moyens, pour réussir cette belle révolution de la croissance verte.

Permettez-moi, pour conclure, d’évoquer la conférence internationale des scientifiques du monde entier, qui s’est tenue à l’initiative de deux grands climatologues français, Jean Jouzel, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui en préside le haut comité, et Hervé Le Treut, membre de l’Académie des sciences, qui en préside le comité d’organisation. Je rappelle que le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix, et l’on comprend bien pourquoi : il a réussi à gagner la bataille des idées, puisque plus personne aujourd’hui n’est, ou n’ose se prétendre, climatosceptique.

Cette rencontre de haut niveau a réuni durant quatre jours plus de 2 000 chercheurs de toutes les disciplines, venus d’une centaine de pays, autour de la question du dérèglement climatique. Ce fut l’un des événements majeurs de la préparation du sommet de Paris, et il a également nourri notre réflexion sur la loi de transition énergétique. C’est, pour l’action législative de la France, un puissant encouragement, car le message de ces scientifiques est un message d’action : tous leurs travaux montrent en effet que le temps presse. C’est un message qui impose aux gouvernements, aux élus qui, comme vous, débattent et prennent des décisions, ainsi qu’aux acteurs privés et publics, de prendre leurs responsabilités.

Ces scientifiques insistent pour que le tournant vers une économie décarbonée ne soit pas vu comme une contrainte à subir, mais comme une chance à saisir : une chance d’innover, une chance de faire reculer la pauvreté et la précarité, une chance de prospérité nouvelle pour chaque pays.

Hier, lors du sommet des consciences, les autorités spirituelles ont rejoint les scientifiques en lançant un appel à l’action, afin de sauvegarder ce que l’encyclique du pape nomme la « maison commune ». Raymond Aubrac, ce grand résistant, a dit que l’humanité n’arrive à prendre en compte le long terme qu’après une peur intense. En matière climatique, la peur commence à se faire sentir, mais elle ne suffira pas. La peur est déjà là, dans les pays insulaires qui sont menacés de disparition, dans les pays qui connaissent une déforestation ravageuse, dans les pays où la progression des déserts entraîne des migrations climatiques massives. Mais la peur ne suffira pas, et si nous attendons qu’elle se répande partout, les 2 degrés de réchauffement seront dépassés et nous ne pourrons plus faire face aux catastrophes.

Nous devons donc trouver d’autres ressorts que la peur pour gagner la bataille de l’action car, comme le disait Henri Bergson, il faut « agir en homme de pensée et penser en homme d’action ». Ces ressorts, nous les avons, vous les avez : ce sont d’abord la créativité et l’inventivité humaines, mais aussi la soif de dignité. Je suis intimement convaincue que l’humanité peut trouver en elle-même une source de dignité nouvelle, et même une source de fierté : fierté d’un patrimoine commun, fierté d’une oeuvre collective à accomplir. Et elle doit s’en donner les moyens.

J’espère sincèrement que, lors de la conférence sur le climat, en décembre, l’humanité s’offrira un moment de fierté et de dépassement. Ce dépassement, nous l’avons déjà vécu au cours de nos débats, puisque, sur bien des sujets, nous avons su dépasser nos clivages politiques pour doter la France du modèle énergétique du futur, fondé sur de nouvelles valeurs.

Cette loi, et les actions qui l’accompagnent, représente la contribution de la France à notre destin planétaire, tout en contribuant, dès aujourd’hui, à l’emploi et au bien-être de nos concitoyens. Pour cet état d’esprit, pour ce travail de qualité, soyez profondément remerciés. Je crois que nous avons donné de la politique une belle et forte image.

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