Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 7 juillet 2015 à 9h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Derrière votre question se cache sûrement un souhait ! Dès lors qu'il s'agit de géants mondiaux qui se jouent des frontières et conçoivent des stratégies planétaires, les autorités doivent s'adapter. Vous demandez donc comment répartir les enquêtes pour répondre au bon niveau et de la manière la plus coordonnée possible à tous les cas d'abus. Sur certains sujets, la Commission européenne apparaît mieux placée que les autorités nationales. Par exemple, l'investigation sur le moteur de recherche Google est évidemment plus efficace si elle est faite au niveau européen qu'à celui des vingt-huit autorités nationales. Nous avons bien fait de centraliser cette enquête.

Pour tenter d'imposer une discipline mondiale permettant de répondre aux abus de la manière la plus coordonnée possible, il faut d'abord poursuivre cet objectif en Europe, car les solutions européennes peuvent inspirer d'autres parties du monde – comme par exemple la Corée s'agissant de Google.

Même si les concepts et les finalités restent les mêmes, la façon dont le droit de la concurrence est appliqué en Europe et aux États-Unis diverge parfois car les autorités de la concurrence américaines – comme d'ailleurs leurs autorités de régulation – hésitent à intervenir sur la question des abus de position dominante. Le Sherman Act est assez proche du traité européen, mais les États-Unis tendent à considérer que c'est la corde de rappel du marché qui viendra corriger ces comportements. Ils ont donc plus de mal à intervenir. Le fait que la Federal Trade Commission (FTC), l'une des deux autorités de la concurrence aux États-Unis, soit en même temps chargée de la protection des données la conduit – on l'a vu dans l'affaire Google – à privilégier la protection du consommateur plutôt que le droit de la concurrence. La Commission européenne n'a pas cette facilité dans la mesure où la protection des données et du consommateur ne relève pas de son intervention au titre des articles 101 et 102 du traité, mais doit résulter de directives à l'adoption parfois difficile.

Malgré tout, le droit mondial de la concurrence dispose de fortes capacités de dissuasion. Les amendes anti-trust sont très élevées partout dans le monde et leur prononcé endommage, de manière parfois substantielle, la réputation des opérateurs ; ce droit est donc pris au sérieux, y compris par les opérateurs américains. Ainsi, lorsqu'une petite PME française s'est plaint des conditions dans lesquelles elle a été déréférencée sur AdWords, nous avons pu, en trois ou quatre mois, stopper la stratégie et imposer à Google une modification de sa politique mondiale des contenus sur ce service, l'obligeant à se montrer transparent sur les contenus qu'il accepte ou non. Nous lui avons reconnu une certaine liberté de choix, mais à condition que ces choix soient publics et assortis de mécanismes de préavis et d'information sur les raisons du déréférencement, de manière à éviter une application possiblement discriminatoire de ces règles. Nous y sommes parvenus sans nous appuyer sur un texte spécial, mais en faisant appel au droit commun de la concurrence. Cette décision a eu un effet mondial car Google ne pouvait pas modifier sa politique AdWords en France sans le faire partout ailleurs. Notre action vis-à-vis des plateformes de réservation hôtelière représente un autre exemple : avec les autorités italienne et suédoise, nous avons joué un rôle pionnier en Europe en négociant de manière commune, à trois, avec Booking.com. Dans ce cas, ce n'est pas la Commission, mais les efforts conjoints d'autorités leaders des pays membres qui ont permis d'imaginer une solution qui a vocation à s'appliquer dans toute l'Europe.

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