Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 21 juillet 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Pour répondre à M. Fasquelle, je commencerai par faire un « grand-angle » sur la situation économique, comme il me l'a demandé. La croissance française annuelle se situe entre 1 % et 1,2 %. En 2016, elle devrait atteindre 1,5 % à 1,8 %. On doit cependant rester prudent sur les projections à plus de dix-huit mois.

Je discerne le début d'une reprise. Quand on observe les cycles de l'économie française, on constate que celle-ci connaît généralement des récessions moins brutales que ses voisins et qu'elle repart plus lentement, compte tenu de l'importance du secteur public, qui joue le rôle d'amortisseur en cas de difficulté et de ralentisseur en cas de hausse. C'est ce type de reprise que nous connaissons actuellement.

On ne peut toutefois se satisfaire de la situation, même si nous recréons, à un taux estimé entre 1,25 % et 1,3 %, de l'emploi marchand, ce qui constitue le critère d'efficacité ultime d'une politique économique. Au niveau mondial, les cycles s'accélèrent. La reprise de l'économie américaine – grâce à l'exploitation à très bas coût du gaz de schiste, à la numérisation accélérée de l'économie et au traitement drastique de la crise, qui a permis un redécollage plus rapide qu'en Europe – contraste avec la situation du reste du monde et crée une divergence avec la zone euro. La croissance de celle-ci et de la France tourne autour des chiffres que j'ai cités. L'économie des pays émergents est fragilisée depuis plus d'un an par la volatilité des changes et des situations économiques disparates.

On ne sait pas combien du temps durera le cycle d'innovation industrielle et numérique, mais si l'on maintient une stabilité dans la zone euro, ce qui semble acquis depuis la réforme de l'union bancaire, les vingt-quatre ou trente-six prochains mois devraient offrir l'occasion d'une reprise conjoncturelle et d'une modernisation de l'appareil productif.

En un mot, nous constatons une reprise conjoncturelle, au moment où notre politique économique produit ses premiers résultats. Les marges des entreprises remontent après plusieurs années de baisse. Dans l'industrie, la hausse décennale du coût horaire du travail marchand a été enrayée, et le coût horaire du travail est, depuis la fin de 2014, moins élevé en France qu'en Allemagne.

Nous avons consolidé la situation en stabilisant le cadre macroéconomique grâce au pacte de responsabilité et de solidarité, ainsi qu'aux mesures visant à moderniser l'économie. La stratégie que nous menons depuis deux ans traduit un changement réel dans la politique économique de notre pays. Auparavant, les gouvernements de gauche comme de droite répondaient aux crises conjoncturelles par une politique de la demande. Le plan de 2009, qui n'était pas porté par la majorité actuelle, consistait à stimuler la demande. Ce plan de dépense publique, très classique en France, n'a pas été imité par nos voisins.

Depuis vingt-cinq ans, la France a une économie de moins en moins compétitive, puisqu'elle n'a pas réformé son appareil productif et qu'elle a moins investi que ses voisins sur la part privée. Dans les années 1990 et 2000, elle a raté la vague de modernisation par la robotisation.

En 2012, nous avons renoncé à répondre aux attaques conjoncturelles par une politique de la demande. Nous avons enlevé une partie de l'amortisseur, ce qui, au début, est économiquement et politiquement difficile. Cependant, nous avons modernisé l'appareil productif et l'offre grâce à l'allégement du coût du travail, au pacte de responsabilité et de solidarité, et aux réformes structurelles. Tel est l'objectif des lois de 2013, de celle que j'ai défendue, de la loi Rebsamen et de celles qui ont été annoncées. Le glissement vers une politique de l'offre passe par une modernisation du pays, qui doit devenir plus attractif et plus compétitif. Nous devons retirer rapidement les bénéfices de cette politique pour remettre l'économie à flot. En favorisant l'emploi marchand, nous créerons une demande saine, c'est-à-dire une demande qui n'est pas uniquement financée par les deniers publics.

Ma conviction est que nous vivons une période de léger redressement. Il faut intensifier nos efforts pour achever la transition vers un autre modèle. Il faut aussi assurer la stabilité du cadre macroéconomique sur le plan économique et fiscal. Enfin, nous devons nous focaliser sur le court terme pour faire redémarrer l'investissement privé productif, à l'arrêt depuis 2008. Pendant les dix ans qui ont précédé la crise, celui-ci se comportait bien, mais sa part concernant l'immobilier d'entreprise dépassait celle des pays européens, ce qui signifie que nous avons trop peu investi dans l'appareil productif proprement dit des entreprises. Nous opérons un retournement non seulement en stabilisant le cadre macroéconomique, en modernisant l'économie et en offrant de la visibilité aux entreprises, mais aussi en prévoyant quelques mesures conjoncturelles, comme le suramortissement fiscal.

Dans ce cadre, madame Erhel, l'Alliance pour l'industrie du futur est la matrice de la deuxième étape de la Nouvelle France industrielle, dont l'objectif est de transformer l'appareil productif français. Les neuf solutions préconisées permettront de mieux intégrer les PME et les ETI, et favoriseront les logiques de formation des salariés. Ce plan est le pendant du dispositif allemand Industry 4.0. La modernisation accélérée de l'appareil productif, qui passe par plus de numérique, permettra d'émettre moins de CO2 et de produire de manière plus rapide et plus proche du terrain, ce qui sera moins coûteux en logistique. C'est ce que fait la filière aéronautique, qui réalise plus vite des séries limitées. Les entreprises numériques qui travaillent pour Safran et Daher fabriquent de petits volumes à des coûts réduits.

Pour parvenir à ce résultat, il faut investir dans la robotique et le numérique. La Banque publique d'investissement (BPI) prévoit une enveloppe de prêts au développement de 8 milliards, avec un remboursement différé et des conditions de garantie très légères. Il faut aussi une politique de formation adaptée, filière par filière. Pour la mener, nous avons mobilisé, outre l'ensemble des filières, le Conseil national de l'industrie (CNI). Dans le secteur aéronautique, les formations dispensées par le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) ont permis aux personnels qui découpaient les pièces d'apprendre à programmer les robots ou à vérifier l'exécution des tâches.

Si nous avons raté, naguère, la robotisation, c'est sous l'effet d'une peur collective, qui poussait à concevoir le robot comme l'ennemi de l'emploi. L'industrie du futur permettra au contraire de relocaliser des tâches productives ou de les maintenir sur le territoire. Elle créera des emplois différents, plus qualifiés et moins pénibles. Il faut repenser la formation, l'ergonomie, le rapport de l'homme à la machine.

L'Alliance pour l'industrie du futur est pilotée par deux industriels, Frédéric Sanchez et Bernard Charlès. Elle associe toutes les familles professionnelles, qui jouent un rôle clé en matière de formation, les organisations syndicales et les régions. Nous avons clarifié nos objectifs et prévu un calendrier qui permettra, avant la fin de 2016, de sensibiliser au projet 15 000 PME et ETI, et d'en accompagner 2 000 sur le plan managérial. Il faut les former à la logique des filières, car, même si l'on met des financements à leur disposition, elles investissent rarement, parce qu'elles subissent la contrainte du court terme.

Dans l'aéronautique, les sous-traitants ont réussi l'internationalisation et la digitalisation parce que les donneurs d'ordres ont accompagné leur transition grâce au GIFAS. Ce n'a pas été le cas dans la filière automobile, où les donneurs d'ordres, pressés par la concurrence internationale, ont une culture de la strangulation par la centrale d'achat. Il a fallu attendre la crise de 2009 pour que les sous-traitants de rang 1 se réorganisent, dans une grande violence. En modernisant leur appareil productif, ils ont réduit leur dépendance aux constructeurs français, se sont internationalisés et ont augmenté leurs marges, qui sont devenues supérieures à celles des constructeurs. C'est ce qu'il faut faire, filière par filière, en s'appuyant sur les exemples vertueux.

Un budget de 160 millions d'euros a été mis en place par dix-huit régions pour accompagner 1 700 PME et ETI. D'ores et déjà, 400 d'entre elles sont engagées dans le processus. Dans le commerce artisanal et le tourisme, le programme « transition numérique » est organisé autour du réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI), sous la surveillance de la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie.

Les régions, qui n'ont pas attendu la mise en oeuvre nationale pour se mettre au travail, ont été associées hier au dispositif. Elles constituent un bon levier pour travailler avec les PME et les ETI. Mais la réflexion menée sur les territoires doit croiser la logique de filière. La filière nucléaire, par exemple, ne peut être envisagée seulement sous l'angle territorial.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur le calendrier du Gouvernement en matière numérique. Un premier texte déjà voté attend la décision du Conseil constitutionnel pour être promulgué. Il vise à moderniser l'économie en déverrouillant certains secteurs et à préparer leur transition vers le numérique. Nous avons notamment ouvert l'utilisation des données relatives aux transports, aux plateformes commerciales ou au registre du commerce et des sociétés (RCS).

Il y a quelques semaines, le Premier ministre a dévoilé la stratégie numérique du Gouvernement, qui dépasse le cadre d'une simple loi. Il s'agit de mobiliser les opérateurs publics et les collectivités pour travailler sur l'open data, de transformer les administrations et, sous l'impulsion du Conseil national du numérique (CNN) qui a mené un important travail de concertation et d'analyse, d'adapter une partie du cadre législatif.

Un projet de loi numérique, qui sera mis en ligne cet été, accompagnera la stratégie du Gouvernement. Il adaptera notamment les lois de 1978 et 1979 qui ont fondé la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous examinerons aussi les enjeux liés à la protection des données et la question de la neutralité du net en nous assurant de l'articulation de ces évolutions avec l'agenda européen. Il importe en effet de ne pas recréer de distorsions, à l'heure où l'on défend un marché unique du numérique.

Le 14 juillet, le Président de la République a annoncé une deuxième vague de modernisation de l'économie, qui vise à examiner toutes les nouvelles opportunités par l'approche sectorielle qu'offre le numérique, notamment en matière de santé, d'énergie, de transport et de mobilité. Un nouveau monde apparaît, qui n'a pas besoin de lois. Il faut préempter les adaptations sectorielles de notre cadre législatif pour que les progrès techniques soient non des risques mais des opportunités.

La relation entre les taxis et les VTC est un bon laboratoire d'observation de ces questions. La loi de 2014 a conduit à des aménagements paramétriques, mais le statut de taxi recouvre des situations très diverses. Le taxi parisien n'a rien à voir avec le taxi de province, qui travaille majoritairement pour les assurances et la sécurité sociale. En revanche, le taxi et le VTC parisien ont une situation comparable, avec un statut différent. Nous avons essayé de combiner ces données, mais le monde évolue plus vite que la loi. Il faut articuler toutes les formes de mobilité avec les statuts existants, qui ne permettent pas de les accompagner de manière satisfaisante.

Nous prendrons le temps d'élaborer ce texte, qui ne sera pas terminé avant la fin de l'année. L'objectif est non de multiplier le nombre d'articles mais de définir un cadre fixe et stable qui laissera advenir l'innovation et donnera aux acteurs de la visibilité, afin qu'ils puissent participer au changement. Au lieu d'opposer taxis et VTC, il faut comprendre comment l'innovation numérique et les nouvelles formes de mobilité transforment des professions. On doit aussi donner à celles-ci la possibilité de s'adapter et permettre à chacun d'exercer différemment. Qu'on le veuille ou non, les VTC ont accru la demande, en faisant accéder à la mobilité des gens qui ne prenaient pas de taxi. La transformation va donc bien au-delà du problème conjoncturel.

La première étape consistera à effectuer un constat. Après quoi, il faudra procéder de manière ordonnée, secteur par secteur, en discutant avec les acteurs afin de préparer le travail législatif. Il faut multiplier les échanges en amont car, si nous ne nous sommes pas d'accord sur les changements qui s'opèrent, les solutions – intelligentes ou non – seront perçues comme des agressions. On leur reprochera d'avoir été élaborées dans le secret d'un bureau ministériel, ce qui n'est plus une manière adaptée de faire la loi.

De même, en matière d'énergie, si l'on ne comprend pas que la production se numérise et se décentralise de manière accélérée, que le problème est de savoir non plus combien d'électrons on apporte au foyer, mais quelles solutions on lui propose pour gérer l'énergie, on se trompera sur la transformation des acteurs.

Madame Erhel, je ne reviendrai pas sur les prémices de la fusion Alcatel-Nokia. Si nous avons accompagné la transaction, c'est qu'Alcatel n'était plus en mesure de réaliser les grands investissements nécessaires à la transformation des équipements, c'est-à-dire d'investir dans la 5G, les small cells ou les éléments de la souveraineté numérique.

Il y avait deux options. L'une consistait à pleurer sur le lait répandu. La seconde revenait à bomber le torse en disant que nous n'accepterions jamais la moindre opération, et que nous préférions mourir tout seuls. Nous avons pris la bonne décision, conséquence d'une série d'erreurs stratégiques commises non par la puissance publique mais par les dirigeants du groupe. Je pense néanmoins que nous avons commis une maladresse en termes d'achat public. Il fallait être naïf pour laisser les opérateurs de télécommunication acheter massivement chinois. Les Américains n'ont jamais accordé cette liberté à leurs opérateurs. Or Alcatel-Lucent tenait à la fois par le marché américain et par le marché chinois.

La fusion permet de constituer un champion européen. Nous voulons que Nokia assure le même rôle structurant qu'Alcatel-Lucent dans la filière télécom, en animant la solution « Confiance numérique », l'une des neuf solutions industrielles. Philippe Keryer, directeur de la stratégie d'Alcatel-Lucent, conservera la même fonction dans le nouveau groupe. Il continuera à soutenir le monde académique, notamment mathématique. Nokia a confirmé ses investissements, y compris dans les centres de mondiaux de recherche et développement de Villarceaux et de Lannion.

Par ailleurs, nous lui avons demandé de prendre des engagements concernant notre souveraineté sur le plan du numérique et des télécom. Ces engagements en grande partie confidentiels, mais dont je garantis l'existence, ont été définis par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), dans le cadre de l'autorisation administrative. Ils comptent pour beaucoup dans la crédibilité du rachat.

Vous m'avez également interrogé, monsieur Fasquelle, sur le calendrier de mise en oeuvre de la loi pour la croissance et l'activité. Le Conseil constitutionnel devrait rendre sa décision dans la première quinzaine d'août. Une série de mesures entreront immédiatement en vigueur sans décret ni autorisation réglementaire. C'est le cas pour la possibilité de créer des lignes d'autocars ou d'ouvrir les commerces neuf dimanches par an dans les zones touristiques définies par les maires.

Pour les éléments de nature réglementaire, le ministère publiera les décrets en août. J'ai proposé d'inviter à Bercy les parlementaires qui ont composé la commission spéciale pour faire un point détaillé des mesures que nous arrêterons. Sur ces sujets, il est essentiel de maintenir une relation avec la représentation nationale.

La plupart des dispositions concernant les travailleurs détachés prendront effet à la promulgation de la loi. Je regrette cependant que la saisine du Conseil constitutionnel concerne aussi ces mesures, sur lesquelles j'avais cru distinguer un consensus transpartisan. Si le Conseil constitutionnel les censurait, les Républicains seraient sans doute amenés à le regretter dans leurs circonscriptions. Je comprends mieux leurs désaccords sur les dispositions relatives aux professions réglementées. Quoi qu'il en soit, je serai très vigilant quant à l'application du texte.

Dès septembre, nous disposerons d'une nouvelle évaluation menée par la commission d'étude des effets de la loi pour la croissance et l'activité, présidée par Anne Perrot. Cette commission poursuivra régulièrement ses travaux.

La signature de l'accord sur le nucléaire iranien est un point important pour la présence de la France à l'international. Mon homologue Sigmar Gabriel s'est rendu en Iran ce week-end avec des chefs d'entreprise allemands, réaction que son collègue des affaires étrangères a jugée un peu rapide. La levée des sanctions interviendra fin 2015 ou début 2016, après vérification par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de ce que l'Iran a respecté ses engagements. Pour avoir géré des dossiers de la BNP qui concernaient certaines activités en Iran, je souhaite bon courage à ceux qui devront faire face à un contentieux américain pour avoir signé des contrats durant la période intercalaire.

Gardons-nous de précipitation comme de naïveté. Nous devons être aussi vigilants que l'a été Laurent Fabius lors de la négociation finale avec nos homologues américains. Un point important pour conclure l'accord a été la conditionnalité de la levée des sanctions par les Américains. Dans les semaines à venir, Laurent Fabius se rendra en Iran. Après cette démarche diplomatique, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) se déplacera en septembre avec des entreprises. J'ai fait savoir au Président de la République que j'étais disponible pour accompagner à très court terme une délégation d'entreprises, mais son souhait est de procéder dans le bon ordre, en conférant la priorité à l'initiative diplomatique.

La levée des sanctions suscitera au Congrès un débat homérique, qui débouchera peut-être sur un refus pur et simple. Les Américains pourraient aussi se montrer plus cyniques et lever les sanctions pour leurs contreparties et non pour celles des autres. Nous devons avoir avec eux une discussion diplomatique et économique pour nous assurer que la levée sera effective sur les dossiers qui nous intéressent. Laurent Fabius a été très clair sur ce point, que j'ai évoqué avec Jack Lew aux États-Unis il y a quelques semaines. L'enjeu est important pour nos entreprises, notamment dans l'automobile, l'agroalimentaire, l'industrie de la défense et l'aéronautique.

Je n'ai jamais prétendu que l'opération General Electric-Alstom ne posait aucun problème. Mis collectivement devant le fait accompli, nous avons amélioré la donnée industrielle et stratégique qui nous était proposée, et nous devrons l'accompagner avec vigilance.

En économie, il faut toujours considérer le contre-factuel. Le marché des turbines à vapeur ne se porte pas très bien en Europe, où une ou deux commandes seulement sont intervenues cette année. J'ai fait valoir à Mme Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, que la concurrence sur le marché des turbines doit se mesurer au niveau mondial et non sur le seul marché européen, quasiment à l'arrêt en raison des dommages collatéraux liés au dossier du gaz de schiste et de la préférence accordée par l'Allemagne au lignite. Remettre en cause les décisions récentes favoriserait les Chinois. En termes de concurrence industrielle, la décision manquerait singulièrement de cohérence. Nous n'avons cessé de le répéter depuis 2012, en particulier au vu du rapport Beffa-Cromme.

Nos amis allemands sont neutres et fair-play. Les derniers échanges avec la case team de la Commission ont été positifs. Aujourd'hui, ils portent sur des questions techniques. La prise de décision devrait s'accélérer durant l'été.

Lors de la transaction, nous avons imaginé un plan B, mais ne nous mentons pas : celui-ci serait extrêmement compliqué à mettre en oeuvre. Quand le rapprochement a été décidé, l'entreprise en elle-même n'était plus viable, ce qui rendait la prise de commande pour des contrats très longs quasiment impossible. Démonter l'accord pour se retrouver un an plus tard au point de départ aurait un coût élevé.

Le plan B suppose des recapitalisations et des mécanismes de soutien public, ce que nous faisons valoir à la Commission européenne. Pendant la période intercalaire, où l'on pourrait identifier d'autres alliances industrielles et réactiver des schémas moins satisfaisants avec Siemens et Mitsubishi, il y aurait un coût financier, social et industriel : quand, pendant plusieurs mois, on démonte une opération pour en remonter une autre, on ne prend plus de commande.

Je me suis rendu à Belfort chez Alstom Transport, où j'ai obtenu confirmation de tous les engagements portant sur la partie énergie comme sur la partie transport.

Le premier problème à résoudre est la viabilité de l'entreprise. Le désendettement massif permettra de la consolider et en fera, dans un marché qui souffre, une entité solide. Bombardier et Siemens sont en situation difficile, comme leurs concurrents italiens. Nous sommes attaqués par deux grands groupes chinois. Les OPA hostiles sont difficiles sur un groupe comme Alstom Transport, qui reçoit une grande part de commande publique. Elles ne peuvent provenir d'aucun concurrent occidental et les Chinois ne s'aventureraient pas à faire une offre sur un tel marché.

Le second problème, plus important, qui se pose pour toute la filière, concerne le plan de charge pour les trois ou quatre prochaines années. Hier, avec M. Vidalies, nous avons fait le point sur ce sujet. Notre action comprend trois aspects.

Nous avons amélioré la visibilité sur les nouveaux investissements, notamment les programmes d'investissements d'avenir (PIA) et les TGV du futur, qui concernent la partie ingénierie d'Alstom. Nous avons accéléré les décaissements. Les appels d'offres, lancés début juillet par la SNCF, prendront effet avant la fin de l'année.

Nous avons intensifié l'effort à l'international en signant des contrats importants. Ceux que nous avons conclus avec le Maroc, il y a quelques semaines, seront structurants pour le site de La Rochelle. Vis-à-vis d'Amtrak, à Boston, nous renforçons notre action et nos financements. Sans optimisme excessif, on peut penser que l'export sera un levier de développement.

Enfin, au début du mois, M. Vidalies a annoncé les perspectives en matière de commande publique. Il a confirmé qu'une enveloppe de 1,5 milliard d'euros serait investie. L'opération qu'il engagera prochainement au comité stratégique de la filière (CSF) ferroviaire donnera de la visibilité à Alstom et à ses sous-traitants.

Madame Dubié, le débat parlementaire qui s'est tenu à l'Assemblée nationale et au Sénat a permis d'accélérer la mise en oeuvre de la couverture du territoire par le haut débit.

La couverture fixe relève du plan « France très haut débit », lancé au début du quinquennat. Si, en raison du rapprochement entre SFR et Numéricable, un retard a été pris au stade des appels à manifestation d'intentions d'investissement (AMII), nous avons mis fin aux interminables tractations entre Numéricable et Orange, auxquels nous avons demandé de tenir leurs engagements de 2010. Ils rattraperont le retard dans les prochains mois. Libre à eux, s'ils le souhaitent de déployer des doublons, pourvu qu'ils cessent de geler l'investissement. Par ailleurs, nous leur avons demandé de nous donner une meilleure visibilité – indispensable aux collectivités territoriales – en élaborant des conventions type sur leurs investissements en zone AMII comme en zone non rentable.

Par souci de rapidité, nous avons simplifié et standardisé le cahier des charges fin mai. Notre objectif est que 60 % des Français soient couverts par la fibre avant 2022. Je l'ai rappelé lors du dernier point d'étape. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a désormais la possibilité de sanctionner les opérateurs qui ne rempliraient pas leurs obligations.

Dans les zones dépendant des réseaux d'initiative publique (RIP), nous avons simplifié le cahier des charges et mis les bouchées doubles afin de permettre le traitement par la mission très haut débit. Nous avons aussi réclamé un calendrier pour mobiliser l'ensemble des opérateurs. L'observatoire du très haut débit et la mise en transparence sont des éléments de la réussite. La couverture du territoire par la fibre est un enjeu pour le numérique, l'emploi et l'investissement.

Dans la production de la fibre, des champions européens et de nombreux acteurs français ont, en quelques années, créé des milliers d'emplois. La loi pour la croissance et l'activité a allégé les contraintes réglementaires qui pesaient sur les copropriétés et sur les nouveaux logements, ce qui accéléra le déploiement.

Pour la couverture mobile, nous veillerons à ce que les quelques centaines de communes privées de la 2G y accèdent fin 2016. Nous prévoyons une couverture en 3G pour l'ensemble des communes en 2017. Sous ces deux points, je rappelle que la loi pour la croissance et l'activité a donné à l'ARCEP la possibilité un pouvoir de sanction.

Nous avons également ajouté au dispositif 800 zones prioritaires. Il s'agit de zones commerciales, touristiques ou définies par les collectivités territoriales, qui ne sont pas couvertes alors qu'elles sont situées à côté du centre-bourg. La liste remontera rapidement à l'Agence du numérique, ce qui permettra d'établir le plan de charge d'investissement. Le 21 mai, nous avons signé une convention inédite, par laquelle, sous la pression du législateur, les opérateurs se sont engagés à financer à hauteur de 1 milliard d'euros le déploiement des antennes-relais sur ces zones. La montée en charge se fera entre 2016 et 2020. De tels délais semblent toujours trop lents, mais je maintiendrai le principe de réunions de chantier toutes les six semaines avec les opérateurs. On évitera ainsi que n'interviennent de loin en loin des décalages, toujours justifiés par une bonne excuse.

L'Agence du numérique, qui amplifiera les actions sur le très haut débit, sera opérationnelle en septembre. Les collectivités seront associées à la gouvernance. À ce jour, quatre-vingt-sept dossiers ont été déposés. À mesure que le dispositif montera en puissance, l'Agence renforcera ses effectifs. Elle intégrera la mission French Tech, afin de faire le lien avec la labellisation et la valorisation des écosystèmes numériques. Pour des raisons de cohérence, elle intégrera aussi la Délégation aux usages de l'internet (DUI), qui accompagnera les populations vers le numérique et aidera les collectivités dans leur stratégie de services.

Mme Dubié et M. Tardy ont tous deux évoqué la censure du Conseil constitutionnel. Celle-ci porte sur le caractère disproportionné que constituerait, en termes de sanction, la nullité de la vente. Le point a également été souligné par la mission Dombre Coste. Il devait être rectifié. J'avais discuté, avant que le Gouvernement ne dépose son amendement, la fixation de la pénalité à 2 %. J'assume pleinement le fait que celle-ci puisse être intégrée au prix de la vente, car il faut que quelqu'un paie le coût d'une mauvaise information. Cela dit, la pénalisation de la transmission d'entreprise ne donnera pas l'esprit entrepreneurial aux salariés.

Quel est notre objectif ? C'est d'éviter qu'un chef d'entreprise n'arrête son activité ou ne dégrade celle-ci dans le cadre d'une transmission, sans que des salariés qui possèdent une volonté entrepreneuriale puissent l'exercer. En revanche, s'il veut vendre son entreprise pour de bonnes raisons, il n'y a pas lieu de le soumettre à des diligences disproportionnées. Dans la plupart des entreprises de moins de cinquante salariés, on distingue aisément les salariés qui ont une volonté entrepreneuriale.

Le plus simple est de prévoir la tenue régulière de réunions d'information sur la vie de l'entreprise. Dès lors que celles-ci seront formalisées, le chef d'entreprise n'aura pas à envoyer de lettre recommandée ou de courriel deux mois avant la cession. D'ailleurs, ce délai n'est pas approprié : il est trop bref pour susciter une volonté entrepreneuriale et trop long pour une entreprise en situation d'urgence.

La loi pour la croissance et l'activité a légitimement modifié la loi Hamon en substituant l'obligation d'une réunion annuelle à celle d'une information deux mois avant la vente. La mesure incitera l'entreprise à se diriger vers une certaine codétermination, c'est-à-dire vers un partage du projet entrepreneurial.

En l'absence de réunion ou d'information, l'amende de 2 % n'est ni dirimante ni disproportionnée. Ce pourcentage me semble bon : une sanction trop élevée menacerait la viabilité de l'entreprise.

Il y a quelques semaines, Mme Dombre Coste et Mme Pinville m'ont remis leur rapport sur la transmission d'entreprise. Plusieurs propositions pragmatiques font l'objet d'un examen interministériel. Elles donneront peut-être lieu à des mesures qui figureront dans la loi de finances ou la loi de financement de la sécurité sociale.

Le rapport préconise aussi d'accompagner davantage la transmission d'entreprise. La création de l'Observatoire, que nous avons annoncée, sera confirmée avant l'automne. Nous continuerons à travailler avec Mme Pinville tant en soumettant ses propositions d'aménagement social et fiscal à un arbitrage interministériel, qu'en examinant les mesures qui relèvent du mentorat. Enfin, nous avons demandé un rapport à l'Observatoire avant la fin de l'année, ce qui permettra un suivi des données.

M. Baupin m'a interrogé sur EDF et plus largement sur la transition énergétique. Notre stratégie dans ce domaine est cadrée par la loi du même nom. Le terme de transition traduit le choix non d'un passage brutal mais d'une progressivité. Qu'on le veuille ou non, la décarbonation de la production d'électricité française passe par le nucléaire. Nous n'avons pas suivi l'exemple allemand, qui consiste à subventionner le renouvelable et à recourir massivement au lignite, quitte à dégrader notre bilan en gaz carbonique.

Nous avons choisi de réduire lentement la sensibilité de notre économie à une électricité presque exclusivement issue du nucléaire, tout en réaffirmant que cette filière de cycle long n'est pas dépassée. Il faut donc examiner la chaîne en aval, nous interroger sur sa viabilité économique, sur ses conséquences, la moderniser et élaborer une stratégie à l'export pendant que nous développons les énergies renouvelables. Loin d'être concurrentes, les sources d'énergie sont complémentaires. Les modalités de transition, notamment en capacité, sont d'ailleurs pensées comme telles.

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