C'est bien volontiers que j'ai accepté de contribuer en tant que fondatrice de l'association Parité et ancienne élue régionale et locale, au débat que votre délégation organise aujourd'hui.
Créée en mars 1992, Parité a été l'une des premières associations se fixant pour objectif la reconnaissance institutionnelle du principe de représentation paritaire entre les femmes et les hommes dans les mandats et fonctions électifs.
En 1992, cette légitime revendication n'était pas inscrite dans le programme des principaux partis politiques malgré les pressions réitérées des militantes politiques et de quelques rares soutiens masculins, alors que la représentation parlementaire féminine stagnait aux alentours de 6 %.
Essentiellement porté par les associations féministes, soutenu par des personnalités politiques féminines, ainsi que par des sociologues, intellectuels et écrivains, le mouvement paritaire se déroulera dans l'indifférence générale, jusqu'au moment où les partis politiques prendront conscience qu'il est de leur intérêt de ne pas laisser se développer un mouvement qui prend de l'ampleur, grâce à l'appui d'une large majorité de la population.
L'expérience acquise dans l'exercice de plusieurs mandats électifs sera le deuxième fil conducteur qui inspire ma contribution. J'ai été élue à un moment où les lois sur la parité ne s'appliquaient pas. Il m'est arrivé d'avoir une investiture sur des terres dites « de mission », où la victoire semblait inenvisageable, ce qui permettait de les réserver généreusement à des femmes.
Cette double expérience de militante associative de la parité et d'élue me permet de mesurer le chemin parcouru.
Sur le plan quantitatif, le bilan est globalement positif.
Bien que l'objectif constitutionnel ne soit pas encore atteint en 2015, il est indéniable que le nombre de femmes exerçant un mandat électif a progressé après l'application successive des lois sur la parité. Les résultats sont cependant contrastés selon que les contraintes légales strictes, partielles ou incitatives s'appliquent ou non.
Le renouvellement des assemblées départementales en 2015 montre à quel point les mesures contraignantes sont efficaces pour améliorer la représentation féminine. Il met aussi en lumière le sexisme qui perdure dans l'attribution des vice-présidences et présidences.
Avant la modification du mode de scrutin instaurant dans chaque canton, au lieu du scrutin uninominal à deux tours, un binôme femme-homme, les femmes détenaient seulement 13,9 % des sièges contre 49,5 % aujourd'hui.
L'ensemble des dispositions législatives mises en place s'applique respectivement aux scrutins de liste, aux scrutins binominaux et aux exécutifs de ces mêmes assemblées. Il a permis des avancées incontestables même si la parité juste et parfaite en nombre n'est pas atteinte du fait que, dans la très grande majorité des cas, les listes sont conduites par des hommes. Globalement, les femmes sont devenues presque aussi nombreuses que les hommes au Parlement européen, dans les conseils régionaux, départementaux, intercommunaux et municipaux des communes de plus de 1 000 habitants.
Au-delà de ces avancées quantitatives, le concept de parité a eu un effet boule de neige, impactant des pans entiers de la vie économique et sociale, sur tous les terrains publics et privés. C'est ainsi qu'en 2008, l'article 1er de la Constitution disposant que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a été élargi aux responsabilités professionnelles et sociales. Depuis lors, les lois Copé-Zimmermann, Sauvadet, Fioraso et Vallaud-Belkacem se sont succédé. D'autres avancées sont attendues. Elles nécessiteront que la volonté politique soit au rendez-vous.
Sur le plan qualitatif, toutefois, le bilan laisse à désirer.
En poursuivant l'examen des résultats départementaux de 2015, on constate que, si le nombre de vice-présidences détenues par des femmes est passé de 17,8 à 48,6 %, le sexisme est toujours de mise dans les conseils départementaux. Selon une enquête de TV.INFO, la répartition des fonctions et des délégations serait déséquilibrée. On compterait 11,6 % de femmes dans le secteur des infrastructures, routes et voirie, et 21,9 % de femmes responsables des questions financières, économiques et budgétaires. Dans le domaine de l'enfance et de la famille, elles seraient 82,3 % ; dans celui des personnes âgées, 85,3 %.
Quant au nombre de femmes présidant l'une des 101 assemblées, il passe laborieusement de six à dix. « Elles auront emmagasiné l'expérience et l'assise politique pour enfin être élues à la tête de l'exécutif... en 2021 » se sont empressés de pronostiquer certains de leurs collègues masculins.
Le déficit de femmes constaté à la tête des exécutifs départementaux se retrouve à tous les niveaux de l'architecture institutionnelle. La présidence de l'Assemblée nationale et du Sénat est exercée par des hommes. Une seule femme est présidente de région. On compte seulement 10 % de femmes présidant un conseil départemental, 8 % de femmes présidant une intercommunalité et 16 % de femmes maires. Six femmes sont maires d'une des quarante et une villes de plus de 100 000 habitants.
Ce bilan contrasté, mais néanmoins positif, est-il définitivement acquis ?
Des élues nous ont fait part de leurs inquiétudes. Le contexte politique évoluant, certaines mesures électorales qui favorisent la parité ne risquent-elles pas d'être remises en question ? Il en va ainsi du binôme pour les élections départementales, du scrutin de liste pour les départements qui élisent trois sénateurs au moins et de l'application en 2017 de la loi sur le cumul des mandats, compte tenu de la marge d'incertitude liée à l'hypothèse d'un changement de majorité gouvernementale.
Notre association formule des propositions en vue d'inscrire la parité dans la durée. Aux élections législatives, nous suggérons de supprimer toute dotation publique au titre de la première fraction pour les partis politiques ne respectant pas la loi, et d'introduire une part de proportionnelle. Lors des scrutins uninominaux majoritaires, on pourrait attribuer au candidat un suppléant de sexe opposé. Il est également possible de limiter un même mandat dans le temps, d'étudier les moyens susceptibles de corriger la présence hégémonique des hommes à la présidence des régions, départements, intercommunalités et mairies, et enfin de rendre obligatoire la parité pour les communes de moins de 1 000 habitants ou dans les exécutifs intercommunaux.
Au-delà de ces propositions concernant strictement la parité politique, des mesures sont indispensables pour inscrire durablement l'égalité entre les femmes et les hommes dans notre société. La mise en oeuvre de façon intégrée et transversale de la politique visant à réduire les inégalités et les discriminations, comme celle initiée par Mme Najat Vallaud-Belkacem, doit être poursuivie sans relâche dans tous les domaines. Par ailleurs, il faut promouvoir et soutenir les initiatives visant à déconstruire les stéréotypes de genre, dont on mesure chaque jour la toxicité véhiculée par nos tout-puissants médias, veiller à un meilleur équilibre et partage des temps de vie – objectif qui a tendance à faire du sur-place – conduire une politique de mixité de tous les métiers, notamment ceux de la petite enfance, et encourager le développement des réseaux de femmes élues, que ce soient les réseaux professionnels ou les lieux d'échange et de solidarité.
Il faut maintenir l'exigence de vigilance qui anime l'action de votre délégation. Vous exercez cette mission avec toute la rigueur qu'attendent les femmes de notre pays, injustement discriminées en raison du fait qu'elles sont des femmes. L'attention que vous portez à la préservation et au développement des acquis allant vers plus d'égalité entre les femmes et les hommes constitue aussi l'une de nos priorités. Toutefois, la diffusion du principe de parité sur tous les terrains de la vie politique, sociale, institutionnelle, publique et privée, aussi juste et indispensable qu'elle soit, ne saurait être une fin en soi.
Parce qu'elle contribue au renouvellement de nos pratiques démocratiques, la parité est partie prenante dans la démarche plus globale d'une construction démocratique jamais achevée, et parfois menacée. À ce titre, les militantes de la parité sont concernées lorsque des symptômes inquiétants, tels le populisme, l'abstention et le vote protestataire se multiplient et gagnent du terrain.
Pour surmonter ce déficit démocratique, cet éloignement des valeurs du pacte républicain, la mission de réflexion sur l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine propose de rendre le vote obligatoire. Mais peut-on obliger avant que de tenter de convaincre ? Parce que nous répondons à cette interrogation par la négative, nous proposons d'inscrire le renforcement de la démocratie participative à tous les niveaux de l'organisation territoriale, dans ces lieux de proximité que sont les communes, les intercommunalités, les départements et les régions.
La parité devrait ainsi s'enrichir de nouvelles raisons d'être dans un espace démocratique plus ouvert à la participation citoyenne.