Intervention de Réjane Sénac

Réunion du 1er juillet 2015 à 16h15
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réjane Sénac, présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh, chargée de recherche au CNRS et au Centre de recherches sur la vie politique française de Sciences Po, CEVIPOF, membre du comité de pilotage du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre, PRESAGE :

Il a fallu l'ordonnance d'un général, prise à la suite de l'adoption d'un amendement du commissaire communiste Fernand Grenier, pour que les femmes soient éligibles et qu'elles aient le droit de voter. Cette situation nous invite à poser un regard critique sur la cohérence républicaine.

Si l'on veut comprendre le décalage entre l'égalité de droit et l'inégalité de fait entre les hommes et les femmes, il faut dépasser l'idée que le seul problème à surmonter est celui de la mise en oeuvre de beaux idéaux. Dans la citoyenneté française, la classe des égaux exclut les non-frères que sont les femmes et les non-Blancs. De plus, nous avons du mal à libérer l'égalité de la fraternité. Dans une période de crise de la cohésion sociale et nationale, on parle de faire vivre la fraternité. Mais nul ne mentionne la sororité, preuve que la démocratie a été exclusive et excluante.

La difficulté de penser une République égale entre les femmes et les hommes est inscrite dans l'ADN républicain. Il faut faire un travail qui relève de la psychanalyse politique pour adopter un regard critique mais constructif sur nos totems et nos tabous, notamment sur la Révolution française. Je n'ignore pas cependant que des voix dissonantes se sont élevées à cette époque, comme celle de Condorcet, pour souligner que ceux qui excluaient les femmes de l'exercice du droit naturel abjuraient eux-mêmes leurs droits, aussi sûrement que s'ils excluaient d'autres êtres, du fait de leur religion ou de leur race.

Ce rappel permet de comprendre notre héritage historique et théorique, conscient ou non. Dans l'agenda politique, la parité n'apparaît pas comme une priorité. Elle est parfois considérée comme une notion à laquelle on s'intéressera quand on aura supprimé les discriminations salariales ou les violences, dont le rejet est plus consensuel.

Si les femmes ont été privées du droit de vote ou de l'éligibilité, c'est parce qu'on leur a contesté le statut d'êtres de raison. Leur exclusion de la sphère publique et politique fait système avec leur infériorisation liée à l'idée qu'elles sont, face aux hommes, complémentaires mais non égales.

Penser une citoyenneté égale pour les hommes et les femmes, c'est déconstruire un système d'inégalité qu'il faut mettre en parallèle avec les violences de genre ou l'inégalité professionnelle. Le slogan féministe des années soixante-dix « Le privé est politique » rappelle que, contrairement à ce que pensait Rousseau, il ne faut pas faire sortir le politique de la sphère privée. Olympe de Gouges l'avait compris. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne évoque le contrat sexuel entre les femmes et les hommes : pour ne pas être dans une logique de domination, il faut aussi mettre du politique dans la sphère privée.

Nul ne conteste plus que le privé soit politique : il existe des lois sur la lutte contre les violences, le viol entre époux ou l'avortement. Mais il ne faut pas oublier que le politique lui-même est aussi politique, ce qui justifie les textes sur la parité.

Il faut une efficacité quantitative, qui consiste à se compter et à redistribuer les places, et une efficacité qualitative, c'est-à-dire une « reconnaissance à l'égalité » – pour citer une philosophe américaine, Mme Nancy Fraser. Il faut aussi reconnaître aux femmes une capacité à modifier les règles du jeu et le cadre. On tendra ainsi vers une égalité qui ne glisse pas vers la complémentarité.

Le terme de parité ne figure ni dans la Constitution, ni dans les lois relatives au partage des responsabilités politiques. Toutefois, il apparaît dans l'exposé des motifs, ainsi que dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche.

À la page 8 du rapport du HCEfh, figure un tableau qui montre comment est appliqué, en fonction du mode de scrutin, le principe d'un partage égal du pouvoir entre les hommes et les femmes. Là où prévalait une alternance par tranche de six, en fonction du nombre de tours, le système s'est homogénéisé. Prévaut désormais une alternance stricte femme-homme sur la liste au niveau des candidatures.

Nous recommandons d'étendre aux intercommunalités le principe de parité dans les exécutifs, qui s'applique au niveau régional et municipal. Il faut aussi travailler sur la continuité tout au long du mandat, pour qu'une personne qui démissionne soit remplacée par la personne du même sexe qui la suit dans la liste. Ce principe ne s'applique actuellement qu'au niveau des intercommunalités.

Une autre proposition concerne le rattachement des dissidents, qui explique en partie le différentiel entre le principe paritaire et son application. Ce différentiel est plus important pour les élections européennes, dans lesquelles il existe plusieurs têtes de liste.

En la matière, l'Assemblée nationale montre l'exemple, puisqu'elle prévoit que ceux qui se sont présentés en candidats dissidents ne pourront plus, une fois élus, être rattachés au groupe. Nous souhaitons que le Sénat adopte cette disposition, qui évitera certaines stratégies de contournement de la loi sur la parité.

Ces recommandations plaident pour une plus grande cohérence des lois qui se sont empilées depuis 1999, mais il ne faut pas oublier que l'objectif des lois est le partage du pouvoir. En matière d'égalité, Mme Nancy Fraser distingue trois versants.

Le premier est économique. Il s'agit de la distribution des places. Celle-ci a été effective dans les conseils municipaux, les communes de plus de 1 000 habitants, les conseils régionaux et la délégation française au Parlement européen.

Le second versant de l'égalité concerne la reconnaissance. On peut siéger dans une instance sans y exercer le pouvoir si les autres membres ne vous considèrent pas comme leur pair. Mme Nancy Fraser parle d'une parité de participation. Celle-ci est loin d'être acquise : très peu de femmes sont numéro un. Aucune femme n'a été Présidente de la République ni présidente de chambre et, dans un exécutif paritaire, les délégations sont réparties de manière genrée. Les hommes s'occupent de l'urbanisme et des finances, et les femmes de la petite enfance ou de la culture. C'est le cas dans le Gouvernement, où s'applique une répartition que l'on peut qualifier de « papa-maman ». Les hommes sont au ministère de l'intérieur, à la défense et aux affaires étrangères, tandis que les femmes sont dans le care, aux affaires sociales, à l'écologie et à la culture, partage qui se fonde sur une logique de complémentarité des sexes.

Dans les communes, les quatre premiers adjoints occupent des délégations dites masculines, comme le sont l'urbanisme, les transports et les finances. En politique, le papa est plus valorisé que la maman… La complémentarité des sexes est asymétrique.

Le troisième versant de l'égalité est la représentation. Posséder le pouvoir, c'est avoir la capacité de modifier le cadre, ce que peuvent faire les secrétaires fédéraux qui investissent les candidats. Leurs décisions se répercutent ensuite sur les têtes d'exécutifs.

Non seulement les femmes sont très rarement à la première place, mais elles sont sous-représentées à la deuxième. Il n'y a que 28 % de femmes premières adjointes. Nous souhaitons qu'une fois élue la tête de l'exécutif, la liste paritaire commence par un élu de sexe opposé. On évitera ainsi la concentration des hommes aux postes de président et de vice-président, ou de maire et de premier adjoint.

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