Intervention de Réjane Sénac

Réunion du 1er juillet 2015 à 16h15
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réjane Sénac, présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh, chargée de recherche au CNRS et au Centre de recherches sur la vie politique française de Sciences Po, CEVIPOF, membre du comité de pilotage du programme de recherche et d'enseignement des savoirs sur le genre, PRESAGE :

J'ai écrit un ouvrage intitulé L'égalité sous conditions. Genre, parité, diversité, qui vient de paraître aux Presses de Sciences po. Il montre qu'on offre à ceux qui ont été exclus de la fraternité républicaine – les femmes et les populations issues de la diversité – une égalité sous conditions de performance de la différence.

En politique, on inclut des femmes avec une forme de résilience électorale. On choisit celles qui ont un profil particulier, en leur demandant de constituer un atout électoral. Elles doivent être là en tant que femmes, faire de la politique autrement, apporter une autre sensibilité, précisément parce qu'elles n'exercent pas les mêmes emplois, qu'elles ne sont pas socialisées de la même manière et qu'elles effectuent chez elles les trois quarts des tâches domestiques, avec une notion de performance au sens de mise en scène notamment. Les femmes n'ont pas leur place si elles ne « performent » pas leur différence.

La France est très habile pour devenir un exemple, même quand son comportement n'est pas exemplaire. De même que, depuis la Révolution, elle est devenue le pays des droits de l'homme, elle s'est appropriée l'idée de parité, qui s'est imposée dans des débats internationaux, au détriment des quotas, notamment lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue à Pékin. La France, premier pays à avoir dépassé les quotas d'un tiers de femmes dans les instances de décision politique, a ensuite été imitée, mais sa place a baissé dans le classement international, depuis le vote de la loi sur la parité. D'autres pays ont progressé plus vite qu'elle, particulièrement ceux d'Asie ou d'Afrique, où des sièges sont réservés aux femmes, le Rwanda arrivant en première position. Enfin, les quotas sont très efficaces en cas de scrutin de liste aux élections législatives, alors qu'ils ne fonctionnent pas si le scrutin est nominal.

On prétend souvent que les femmes sont adeptes de la servitude volontaire ou s'autolimitent. N'est-ce pas le cas de tous les dominés ? Les élèves socialement défavorisés ont une orientation scolaire moins stratégique que les autres. La reproduction des inégalités ne concerne pas seulement les femmes.

Il est cependant dangereux d'en attribuer la responsabilité aux intéressées, accréditant l'idée, conforme à une logique individualiste, voire néolibérale en vogue, que, si les femmes voulaient être plus présentes, elles le seraient. Selon certains, dès lors que les politiques publiques créent des moyens, des bourses sociales et des actions positives, les femmes et les fils d'ouvriers devraient se bouger davantage pour progresser.

Si l'on gomme la responsabilité sociale et structurelle pour ne retenir que la responsabilité individuelle, la seule réponse aux inégalités est le coaching : il faut apprendre aux femmes à oser et leur proposer des formations. C'est oublier que les responsabilités ne sont pas de leur fait. Il ne suffit pas d'oser pour être élue présidente de région ou chef d'État. Le rapport à la légitimité ne réside pas uniquement dans le moteur individuel de chacun. Il dépend aussi de ce qui est structurellement audible.

Nous devons tous nous penser comme égaux, mais ce ne sera possible que grâce à un changement des normes et des règles collectives. Veillons à ne pas inverser les responsabilités.

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