Intervention de Bruno Cotté

Réunion du 12 décembre 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Bruno Cotté, directeur général adjoint du groupe Safran :

L'Union européenne vient de suspendre la taxe carbone sur le transport aérien. Nous ne saurions bien sûr être opposés à l'instauration de cette taxe, mais ne pensons pas qu'elle aura valeur d'exemple. La Chine, qui assure 20 % du trafic aérien mondial, a clairement annoncé que, si cette taxe était instaurée en Europe, elle achèterait dorénavant ses appareils à Boeing, et non plus à Airbus. Je suis bien placé pour savoir qu'elle tiendra parole : toutes mes ventes en Chine ont été gelées à la suite de la visite du Dalaï-Lama en France. C'est un problème d'image, et d'équilibre entre les quatre types de clients que j'ai identifiés – utilisateurs, prescripteurs, financiers, politiques. Tous ont leur importance.

Si l'on peut envisager d'instaurer une taxe carbone à l'échelle mondiale, le faire seulement en Europe revenait à prendre le risque de ruiner le marché Airbus en Chine pour au moins cinq ans, avec toutes les conséquences que cela entraînerait. J'ai fait le calcul : ce sont 15 000 emplois directs qui étaient menacés en France, auxquels s'ajoutaient bien sûr tous les emplois indirects. Que l'Europe fasse donc attention lorsqu'elle prétend donner l'exemple… Mieux vaut se fonder sur un principe de réciprocité.

Permettez-moi maintenant de répondre aux questions concernant les délocalisations. Je le fais d'autant plus volontiers qu'avec 80 % de son chiffre d'affaires réalisé à l'export, mais les deux tiers de ses emplois en France, le groupe Safran est exemplaire.

Quatre raisons peuvent expliquer que l'on délocalise.

Prenons l'exemple de notre implantation à Querétaro, au Mexique. Une compagnie aérienne américaine ou du centre latino-américain peut-elle raisonnablement faire assurer la maintenance de ses moteurs d'avion à côté de Corbeil-Essonnes ? Une compagnie offshore américaine qui exerce dans le secteur pétrolier peut-elle raisonnablement faire assurer la maintenance de ses moteurs d'hélicoptère à Bordes, de l'autre côté de l'Atlantique ? C'est tout simplement impossible. Je dirais même que c'est grâce à la proximité que nous avons remporté le plus de marchés. En nous délocalisant à Querétaro, nous avons donc créé des emplois en France. Grâce au circuit de maintenance des moteurs d'hélicoptère de Turbomeca que nous avons implanté au Mexique, nous avons renforcé la confiance de nos clients, qui ont racheté nos moteurs d'hélicoptère – lesquels sont fabriqués à 100 % à Pau. Voilà une raison pleinement légitime de délocaliser.

Il peut aussi s'agir de pérenniser nos contrats. Nous sommes en effet toujours en compétition, et la présence locale est importante. Ainsi est-ce en ouvrant un centre de formation de mécaniciens en Chine que nous avons pu assurer un avantage décisif au CFM (le moteur de ces avions moyen-courrier) face à son concurrent Pratt & Whitney à chaque compétition. Et si nous avons formé ces milliers de techniciens de maintenance, qui seront 10 000 à terme, c'est aussi parce que la France finance un collège d'ingénieurs en Chine.

La troisième raison pour laquelle on peut valablement envisager de délocaliser est que nous n'avons pas toujours le choix. Pour des raisons d'offset et de compétitivité, nous sommes parfois contraints de nous implanter dans les pays émergents.

La quatrième raison est celle qui concerne le moins notre secteur, mais elle est bien réelle. Elle tient au coût du travail. Celui-ci ne suffit évidemment pas à expliquer les délocalisations – autrement, les entreprises étrangères ne s'implanteraient pas en France. Néanmoins, le coût du travail chez Safran en France est 25 % plus élevé qu'aux États-Unis, si l'on tient également compte du taux de change entre l'euro et le dollar. Comme nous sommes dans un secteur de haute technologie et que nous avons besoin de main-d'oeuvre à forte valeur ajoutée, nous sauvons la mise. Mais, pour un secteur à fort besoin de main-d'oeuvre peu chère, il est certain que le handicap est majeur.

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