Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 22 juillet 2015 à 12h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je suis très heureux d'être avec vous ce matin. Avant de répondre à vos questions, madame la présidente, je souhaiterais dire quelques mots sur une initiative qui me choque : certains députés et sénateurs français envisagent, si j'ai bien compris, de se rendre à Moscou, puis en Crimée.

Il est regrettable que le Gouvernement ait appris ce projet de déplacement non pas par les parlementaires concernés, mais par les autorités russes, en l'espèce par les services de la Douma. Je considère que la visite de parlementaires français en Crimée serait pour le moins problématique du point de vue politique. D'une part, j'imagine, sans grand risque de me tromper, que les médias ne manqueraient pas d'instrumentaliser cette visite, qui ne serait donc pas positive pour l'image de notre pays, à laquelle, je suppose, chacun est attaché. D'autre part, notre pays, qui ne ménage pas ses efforts pour aider à la résolution de la crise ukrainienne – les plus observateurs d'entre vous ont dû le remarquer –, pourrait s'en trouver affaibli. Or, vous connaissez l'engagement personnel du Président de la République et le mien dans le cadre du format « Normandie » pour mettre fin aux atteintes à l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

Enfin et surtout, ce déplacement en Crimée constituerait une violation caractérisée du droit international – on pourrait attendre des parlementaires qu'ils aient une certaine connaissance du droit. En effet, l'entrée de parlementaires en Crimée via la Russie sans l'accord des autorités ukrainiennes reviendrait à reconnaître les prétentions territoriales de la Russie sur cette péninsule. Or, la communauté internationale ne reconnaît pas le rattachement de la Crimée à la Russie : le 27 mars 2014, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution condamnant cette annexion.

Pour toutes ces raisons, j'ai écrit au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat pour leur demander, dans le respect de la séparation des pouvoirs, d'utiliser leur influence afin que les parlementaires concernés renoncent à leur déplacement en Crimée, sauf, bien sûr, s'ils obtenaient une autorisation des autorités ukrainiennes.

Le président du Sénat a bien voulu me faire savoir oralement qu'il avait pris contact avec chacun des sénateurs concernés et que son intervention avait été efficace, à l'exception peut-être d'un sénateur.

Le président de l'Assemblée nationale a répondu à ma lettre en m'indiquant qu'il avait, à plusieurs reprises, pour des invitations similaires, appelé M. Thierry Mariani à la vigilance en soulignant les risques d'instrumentalisation par les États étrangers, qui peuvent placer les députés et, avec eux, l'institution elle-même, dans une situation délicate.

M. le président Bartolone m'indique avoir rappelé aux députés répondant à de telles invitations qu'ils ne pouvaient se prévaloir d'un mandat officiel de l'Assemblée nationale pour s'exprimer ; et que, très logiquement, aucune facilité matérielle ou logistique ne pouvait leur être fournie. S'agissant plus particulièrement de ce déplacement en Crimée, dont M. le président Bartolone n'avait pas connaissance, il a bien été déclaré, conformément à l'article 4 du code de déontologie des députés. Aucune instance ne peut donc s'y opposer car les parlementaires jouissent d'une liberté pleine et entière de déplacement dans l'exercice de leur mandat.

Néanmoins, compte tenu de la gravité de la situation, je comprends que M. le président Bartolone a pris contact avec les députés invités afin qu'ils soient parfaitement éclairés des conséquences de cette invitation.

Telles sont les données politiques et juridiques, ainsi que la position du Gouvernement. Contrairement à ce que j'ai entendu, je ne suis pas « défavorable » à cette visite : j'y suis hostile et opposé pour les raisons de droit international que je viens de rappeler. Les mots ont un sens.

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