Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, nous nous sommes vus en décembre 2014, puis en mars 2015, pour une audition consacrée spécifiquement au climat et aux pays en situation de crise ou de post-crise. Aujourd'hui, je vais vous rendre compte de la mise en oeuvre des orientations de la loi et du contrat d'objectifs et de moyens, qui décline les orientations de la loi pour 2014 et l'année en cours. À la veille de la conférence d'Addis-Abeba, j'évoquerai également le positionnement général de la France sur le financement du développement et son action bilatérale dans ce cadre.
En décembre 2014, je vous avais indiqué les chiffres prévisionnels de l'année 2014. Nous disposons désormais des chiffres définitifs et je suis donc en mesure de vous confirmer que la quasi-totalité des indicateurs du contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence française de développement ont été atteints pour 2014 : vingt-six indicateurs sur vingt-neuf sont atteints ou dépassés ; deux sont très proches de la cible ; enfin, en ce qui concerne le montant des financements outre-mer, nous avons réalisé 1 548 millions d'euros au lieu des 1 500 millions d'euros prévus – la cible est donc manquée, mais par excès. Des documents reprenant l'ensemble des indicateurs 2014 vous ont été distribués, et je me tiens à votre disposition pour les commenter ou répondre à d'éventuelles questions.
D'une manière générale, la loi que vous avez votée l'année dernière nous confie un mandat de contribution à la promotion du développement durable. L'AFD, outil bilatéral de la France, a pour mission de faire émerger et de financer de nouveaux modèles de croissance. Qui contribuent à assurer davantage de paix et de prospérité dans le monde – et donc davantage de paix et de prospérité pour la France – tout en luttant contre la pauvreté et les inégalités. Mais qui privilégient des trajectoires de développement plus sobres en carbone et plus résilients, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique et à la préservation de l'humanité – car, comme l'a dit récemment Erik Orsenna, ce n'est pas tant la survie de la planète qui est en jeu, mais celle de l'humanité.
Pour faire émerger ces nouveaux modèles de croissance, nous avons mis en oeuvre des partenariats différenciés, qui impliquent que l'on ne travaille pas avec les mêmes modalités, ni avec les mêmes outils financiers, avec tous les États : les leviers d'action que nous utilisons dépendent de leur niveau de développement et de leur proximité historico-géographique avec la France.
Concrètement, en 2014, sur un volume global d'autorisations de financement de 8,1 milliards d'euros, nous avons réalisé un petit milliard en Amérique latine et un milliard en Asie sur un mandat qui, dans le cadre de ces partenariats différenciés, est un mandat de « croissance verte et solidaire ».
C'est bien dans une logique de bénéfice mutuel que nous intervenons dans les pays émergents de ces régions - c'est-à-dire des pays à potentiel économique important et à croissance rapide - mais aussi dans les pays moins avancés (PMA), notamment le Bangladesh. Nous travaillons soit dans l'objectif d'avoir des impacts positifs sur le climat – 70 % de nos financements en Asie et en Amérique latine présentent un co-bénéfice d'atténuation au d'adaptation au changement climatique, en plus de leur impact de développement –, soit dans un objectif de promotion des normes sociales, en particulier des systèmes de protection sociale. Ainsi, l'année dernière, nous avons fait un prêt à la Colombie pour l'amélioration de son système de protection sociale, en particulier de l'assurance maladie. Je reviens justement de Colombie, où j'ai accompagné le Premier ministre et signé un prêt climat destiné à permettre à ce pays de financer des politiques répondant aux besoins économiques et sociaux tout en se rapprochant de modèles de croissance plus sobres en carbone.
Si l'aspect économique est important, lors de chacune de nos interventions en Asie et en Amérique latine, nous nous efforçons également de projeter l'expertise et le savoir-faire français car ces pays qui sont très en demande de France. Nous sommes un vecteur de la relation bilatérale et, autant que nos financements, c'est la relation avec la France et ses acteurs publics et privés que nos partenaires étrangers viennent chercher. Cela posera, dès 2016, la question du renouvellement de l'enveloppe de financement qui avait été mise à notre disposition par le ministère des finances dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens : cette enveloppe de 20 millions d'euros, intitulée « Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences » (FEXTE) nous a été allouée une fois pour toutes, à titre expérimental, et constitue la seule ressource de l'agence pour financer de l'expertise, de la coopération technique, des bureaux d'études privés ou des assistants techniques, en Asie ou en Amérique latine. Ces 20 millions d'euros sont engagés pour des projets pré-identifiés à hauteur de 16 millions d'euros et, dès l'année prochaine, va se poser la question d'un éventuel renouvellement de notre capacité de financement d'expertise, qui constitue le nerf de la guerre dans les géographies où nous intervenons.
Nous avons en Méditerranée une activité de longue date, pour laquelle nous mobilisons tous les moyens disponibles. Alors qu'en Asie et en Amérique latine, nous travaillons avec des prêts peu, voire pas bonifiés – l'aide aux très grands émergents ne mobilise pas un euro provenant du contribuable français –, en Méditerranée – exception faite de la Turquie, considérée comme un très grand émergent –, nous travaillons avec des prêts de concessionnalité moyenne, adaptés notamment au niveau de développement du Maroc et de la Tunisie, et avec des subventions pour les territoires en situation de crise ou de post-crise, comme les territoires palestiniens. Nous y poursuivons des objectifs de création d'emplois et d'insertion de la jeunesse sur le marché du travail – une thématique essentielle pour la stabilité, y compris politique – et travaillons également à la cohésion sociale et à la préservation des ressources naturelles. En plus de ces grands axes communs à tous les pays de la Méditerranée, il existe des caractéristiques propres à certains pays.
La Tunisie, un pays exemplaire du point de vue de sa transition politique, où l'AFD est restée constamment mobilisée depuis les printemps arabes, est actuellement soumise à de graves menaces terroristes, mais aussi à des tensions et des défis économiques et sociaux. Dans ce pays, nous travaillons à la poursuite et à l'approfondissement des dispositifs de formation et d'insertion professionnelle, mais avons également mis en oeuvre des projets d'appui aux collectivités locales, ainsi qu'un projet de développement rural à l'intérieur du pays ; ces deux types de projets visent bien à répondre à la disparité entre les territoires en favorisant la cohésion sociale et territoriale, notamment entre les territoires urbains et ruraux. En termes de volume, nous sommes en mesure de mettre en place en Tunisie des financements à hauteur de 170 millions d'euros de prêts souverains par an. Ce volume nous est permis par le renforcement des fonds propres que l'agence a reçus l'année dernière de la part du Gouvernement. C'est une évolution très positive par rapport à la situation antérieure, car nous étions complètement bloqués : compte tenu des règles prudentielles et bancaires s'appliquant à l'AFD, nous avons dû faire une année blanche en Tunisie en 2013, et aurions été limités à une cinquantaine de millions d'euros par an si le renforcement de nos fonds propres n'était pas intervenu.
Cela dit, à l'heure actuelle, nous ne pouvons pas aller au-delà de la somme de 170 millions d'euros en Tunisie – et il en est de même dans d'autres pays tels que la Colombie ou le Maroc –, les règles prudentielles qui s'appliquent à nous limitant le volume global de prêts que nous pouvons consentir en pourcentage de nos fonds propres. Avec 170 millions d'euros, nous faisons le maximum de ce que nous pouvons faire en Tunisie, et c'est bien plus que ce que nous aurions fait sans le renforcement de nos fonds propres.
Les partenariats différenciés, c'est aussi la priorité africaine. Notre mandat est large, puisqu'il va de la lutte contre la pauvreté à la promotion d'une croissance durable. Pour 2014, le montant total de nos financements en Afrique s'est élevé à 3,7 milliards d'euros, dont 2,5 milliards d'euros en Afrique subsaharienne. Ces montants sont en augmentation par rapport à l'année précédente et vont continuer à croître en 2015. Nous sommes donc bien sur le chemin que nous avions tracé et qui doit aboutir à un total de 20 milliards d'euros sur la période 2014-2018 pour le continent africain, conformément à l'engagement du Président de la République.
Outre les volumes, le deuxième élément traduisant la priorité africaine est celui de la concentration de l'effort provenant directement du budget de l'État, c'est-à-dire les subventions d'une part, les bonifications de prêts d'autre part, qui, conformément à la loi et au contrat d'objectifs, sont prioritairement dirigés sur l'Afrique. L'effort financier de l'État a été de 92 % en Afrique en 2014, c'est-à-dire plus que l'objectif de 85 % qui nous était assigné.
Tout ce que l'Agence peut faire en Afrique, elle le fait. Cela signifie que l'essentiel des dons va à l'Afrique, et que nous faisons feu de tout bois pour réaliser le maximum de volume en prêts. Le prêt n'est pas l'ennemi du don : il est bon pour les pays pouvant s'endetter de jouer à la fois sur le don et sur le prêt. Cependant, la capacité des pays à s'endetter a une limite. Certains, qui risquent de s'endetter trop lourdement, sont classés « orange » ou « rouge » au regard du cadre de soutenabilité de la dette et ne peuvent se voir accorder de nouveaux prêts en l'état, car il est hors de question que nous contribuions à les engager dans un nouveau cycle de surendettement et de désendettement.
Si nous ne faisons pas plus de prêts en volume à l'Afrique, ce n'est pas parce que nous faisons des prêts à l'Asie ou à l'Amérique latine, mais parce que les pays d'Afrique ne peuvent pas emprunter davantage : il n'y a pas de concurrence entre ce que nous faisons sur les différents continents. Aujourd'hui, la principale limite à notre activité en Afrique réside d'une part dans la taille de l'enveloppe de don, d'autre part dans la capacité d'endettement des pays concernés.
Le plus souvent possible, nous nous efforçons de nouer des partenariats permettant de projeter les acteurs et l'expertise française, y compris les acteurs publics. Récemment, j'ai signé un prêt avec la ville de Johannesburg pour un projet de développement urbain comportant des aspects sociaux et relatifs au climat, qui bénéficie du soutien des villes de Paris et Lille.
Il existe à l'intérieur de l'Afrique un sous-ensemble constitué des seize pays les plus pauvres, considérés comme prioritaires. L'objectif de concentration des subventions sur ces seize pays a été atteint, puisque nous avons consacré 71 % de l'enveloppe de subventions aux seize pays pauvres prioritaires (PPP), qui sont tous des pays africains situés au sud du Sahara, et quasiment tous francophones – cela représente 8 % de plus qu'en 2013. Les seize PPP, en plus des dons qu'ils reçoivent, bénéficient en plus pour certains de Contrats de désendettement et de développement (C2D), qui s'adressent cependant plutôt à des pays à revenu intermédiaire – par exemple, la Côte d'Ivoire et le Cameroun –, et de prêts. Au total, en 2014, notre activité auprès des PPP s'est élevée à 871 millions d'euros, en croissance uniquement grâce aux C2D et aux prêts – l'enveloppe de dons étant, elle, stabilisée. Nous ne pouvons pas augmenter les volumes d'intervention concernant ces pays, du fait des limites à leur capacité d'endettement et de la stabilité de l'enveloppe de dons.
Certains des pays en crise se trouvent parmi les seize pays pauvres prioritaires, et sont donc inclus dans les chiffres que je viens d'évoquer. D'autres n'y sont pas : chaque année, on en compte quatre ou cinq en plus des PPP, qui émargent sur l'enveloppe de dons du programme 209.
D'une manière générale, la loi nous invite à contribuer directement au rayonnement de la France. Nous le faisons au moyen de la contribution à l'influence économique. La feuille de route mise en oeuvre en 2014 et 2015 prévoit une concertation renforcée et systématique avec les entreprises françaises à tous les niveaux, de la direction générale jusqu'aux équipes techniques, au siège et en agence, au cours de rencontres thématiques. Hier, j'ai ouvert l'une de ces rencontres avec le Syndicat des énergies renouvelables et Business France, qui faisait suite à la conclusion d'un partenariat rapproché avec l'un et l'autre.
En pratique, nous avons atteint et même dépassé l'objectif de positionnement des entreprises françaises sur les appels d'offres internationaux que nous finançons. En 2014, 82 % des marchés financés par l'AFD et ayant fait l'objet d'un appel d'offres international ont donné lieu au dépôt d'au moins une offre française – et nous espérons être dans un trend croissant, même si nous sommes déjà situés à un niveau très élevé.
Cette contribution à l'influence économique se fait aussi en promouvant l'expertise. Comme je vous l'ai dit, nous avons quasiment utilisé en deux ans l'enveloppe de 20 millions d'euros dédiée à l'Asie et à l'Amérique latine. Ailleurs, c'est-à-dire en Afrique et en Méditerranée, le financement de l'expertise s'impute sur l'enveloppe de dons-projets de 200 millions d'euros, qui doit également aller aux seize pays pauvres prioritaires pour plus des deux tiers, et aux pays en crise pour 10 %.
Nous menons également une action très déterminée en matière de partenariats. Le premier exemple que je peux vous en donner consiste à développer des partenariats de recherche avec les acteurs français de la recherche en développement. L'année dernière, nous avons renforcé notre partenariat avec le Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), avec lequel nous menons des actions communes, à la fois opérationnelles et de recherche. Par ailleurs, je suis en discussion avec la nouvelle équipe à la tête de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) dans le but de renouer un partenariat plus substantiel. Cela ne nous interdit pas, tout au contraire, de travailler également avec les chercheurs du Sud ou d'autres pays européens.
Nous avons signé en 2010 une dizaine de nouveaux accords avec des collectivités territoriales et allons en signer autant en 2015, afin de valoriser leurs actions ou celles de leurs opérateurs. Là encore, notre action relève aussi de l'influence économique ou de la promotion de normes environnementales et sociales. Syndicats des eaux, agences d'urbanisme et parcs naturels régionaux sont autant d'acteurs publics répondant directement à la demande de nos partenaires, qui souhaitent être mis en relation avec des acteurs français.
L'influence de la France, c'est aussi celle qu'elle exerce sur l'agenda international du développement et auprès des autres bailleurs. En appui au ministère des finances et au ministère des affaires étrangères, nous apportons notre contribution à la structuration du Fonds vert, auprès duquel nous espérons être très prochainement accrédités en tant qu'institution pouvant servir de relais pour mettre en oeuvre les fonds du Fonds vert. Le cas échéant, nous mettrons ces fonds en oeuvre dans le cadre des priorités que vous avez fixées dans la loi en termes de géographie, de pays et de thématiques prioritaires.
Par ailleurs, nous contribuons à la modernisation des facilités européennes. L'Union européenne va annoncer à Addis-Abeba une augmentation probablement forte – on parle d'un quadruplement – des facilités, notamment celle pour l'Afrique ; j'y vois la preuve que ces facilités fonctionnent et créent des effets de levier à partir des financements provenant des dons de l'UE, mais aussi d'institutions publiques telles l'AFD ou l'une des agences allemandes d'aide au développement, la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW), ou encore d'autres institutions extra-européennes et de financements privés.
Plusieurs thématiques figurent au centre de la loi et concernent à la fois les sujets du développement durable et de la transparence. Notre objectif qu'au moins 50 % de nos financements en subventions et prêts dans les États étrangers aient un co-bénéfice climat est désormais atteint. Nous avons également renforcé notre approche « genre » : en 2014, plus de la moitié de nos projets avaient un objectif explicite sur le genre. Par ailleurs, comme elle s'y était engagée, l'AFD a mis en place un dispositif systématique d'avis « développement durable » dans le cycle d'instruction de ses projets, ce qui constitue une originalité par rapport à d'autres bailleurs.
Nous avons été certifiés A+ par le Global Reporting Initiative (GRI) pour notre politique de responsabilité sociale des organisations. De même, l'année dernière, nous avons été notés très favorablement lorsque nous avons procédé à une émission obligataire « climat ». Pour ce qui est de la transparence, nous avons engagé une politique de mise à jour très volontariste en accroissant considérablement le champ des informations fournies, d'ores et déjà données au format IATI (International Aid Transparency Initiative) sur l'Afrique et la Méditerranée. De ce fait, nous avons amélioré la note que nous attribue l'organisation Publish What You Fund (Publiez ce que vous financez), passée de poor (médiocre) à fair (correct), et nous espérons faire encore mieux après ce premier progrès.
Nous pouvons donc considérer nous être pleinement inscrits dans la mise en oeuvre des orientations de la loi. Nous l'avons fait avec un effort particulier de maîtrise du budget. Nous avions même un objectif de montant de résultat net, que nous avons atteint en 2014, avec une augmentation du résultat de 30 %. La mise en réserve de ce résultat à hauteur de 80 % nous permet de renforcer nos fonds propres et d'agir davantage en Tunisie, au Maroc ou en Colombie, par exemple.
Pour 2015, les tendances sont bonnes et s'inscrivent dans la continuité de nos résultats actuels. Nous visons une activité globale de 8,3 milliards d'euros. Les montants d'autorisations d'engagements inscrits en loi de finances 2015 sont stables pour les dons-projets. Comme vous le savez, il s'agit d'un arbitrage au sein d'un programme que vous votez globalement, l'une des lignes de ce programme nous étant ensuite attribuée. Les engagements de stabilité sur cette enveloppe pour la part qui nous est déléguée par le ministère des affaires étrangères ont été respectés ; quant aux enveloppes de bonification qui, elles, font partie du programme 110 du ministère des finances et de la ressource à condition spéciale (RCS), l'hypothèse sous-jacente du contrat d'objectifs et de moyens était que cette ressource resterait stable. En pratique, en 2015, il y a 50 millions d'euros de moins sur la RCS – 400 millions d'euros au lieu des 450 millions d'euros sur lesquels reposait le contrat d'objectifs et de moyens. La bonification, elle s'établit bien au niveau prévu, soit 250 millions d'euros.
En dépit des 50 millions d'euros qui nous manquent, nous avons réussi, au prix d'un travail d'horloger, à élaborer pour cette année une prévision d'activité qui remplira tous les objectifs, à savoir les volumes Afrique et les 20 milliards pour le continent, la priorité donnée aux seize pays pauvres prioritaires, et les objectifs climat. Je peux vous assurer que faire tout cela avec 50 millions d'euros de ressources de bonification en moins n'a pas été évident – et que si nos ressources devaient faire l'objet d'un gel, nous n'y arriverions plus, comme nous l'avons dit à nos deux ministères de tutelle, notamment à Bercy.
J'en viens à la conférence d'Addis-Abeba et à notre place dans le financement global du développement. L'année 2015 verra se succéder trois séquences d'événements : Addis-Abeba dans quelques jours, le sommet spécial de l'ONU sur le développement durable en septembre à New York, enfin la COP21 qui s'ouvrira à Paris le 30 novembre. La cohérence de ces trois agendas doit être soulignée. L'idée consiste à trouver des chemins de développement et de croissance répondant aux besoins économiques et sociaux – on ne parle pas de croissance zéro pour les pays du Sud –, d'une manière favorisant la cohésion sociale et tout en préservant l'avenir de la planète. En pratique, on peut concilier développement et lutte contre le changement climatique, comme le prouve toute l'action de l'AFD – je vous renvoie à notre réalisation de 53 % de projets à co-bénéfice climat.
Nous devons donc avoir une approche globale du financement du développement, intégrant l'aide publique au développement (APD) dans un ensemble plus vaste. L'ensemble du financement de l'agenda du développement durable comprend l'APD, mais aussi des financements bilatéraux et multilatéraux, publics et privés, du Nord et du Sud. Pour cela, nous devons nous appuyer sur les acteurs locaux et produire un effet levier optimal sur chaque euro du contribuable, afin de multiplier le volume des financements pour le développement. Les acteurs locaux, les collectivités locales, les États, mais aussi les banques locales et les banques régionales des pays dans lesquels nous travaillons, constituent des relais pour mettre en oeuvre un développement efficace au plus près des besoins, mais aussi pour produire la mobilisation et les effets de levier que nous recherchons.
Je vous ai parlé des mixages prêts-dons de l'Union européenne. Entre 2007 et 2014, 2 milliards d'euros de dons des facilités européennes ont mobilisé 19 milliards d'euros de financements d'institutions européennes telles que l'AFD, la KFW ou la Banque européenne d'investissement (BEI) et, parallèlement, 23 milliards d'euros de financement provenant d'organismes extérieurs, publics ou privés. Comme vous le voyez, les effets de levier sont bien réels, et doivent être mis en oeuvre dans tous les secteurs de l'aide au développement, y compris dans le cadre du Fonds vert. Il faut promouvoir une vision large des financements qui permet avec un euro du contribuable de mobiliser des financements publics et privés – à travers des partenariats publics privés ou l'entreprenariat social (sujet sur lequel nous avons beaucoup fait depuis 2014) ; une vision qui permet de valoriser et de s'appuyer sur l'ensemble des ressources et des acteurs.
Je suis convaincue que les priorités thématiques ou géographiques de la France ne peuvent être durablement portées dans le cadre de cet agenda international et sur le terrain que si nous disposons pour cela d'un outil bilatéral suffisamment fort. Aujourd'hui comme hier, notre action connaît un certain nombre de limites. La première limite concerne l'Afrique et réside dans la capacité d'endettement des pays : nous devons accompagner la croissance tout en restant prudents. La deuxième limite est la taille de l'enveloppe de dons : les 200 millions d'euros dont nous disposons doivent servir à tous les secteurs, qu'il s'agisse de la santé, de l'éducation, de l'énergie, de l'accès à l'eau ou encore de l'agriculture, dans les seize pays pauvres prioritaires et les quatre ou cinq pays en crise ne figurant pas parmi les seize. En outre, c'est sur cette enveloppe de 200 millions d'euros que l'on doit trouver les fonds pour financer des études, de l'expertise et de la coopération technique pour toute l'Afrique et la Méditerranée – étant précisé que les 20 millions d'euros réservés à l'Asie et à l'Amérique latine sont quasiment épuisés.
Il apparaît clairement que ces 200 millions d'euros ne sont pas suffisants au regard des enjeux. Si, dans le contexte budgétaire actuel, il n'est pas jugé possible d'accroître globalement l'enveloppe de dons sur le programme 209 – ce que je peux comprendre –, il faut s'interroger sur la répartition de l'enveloppe entre le bilatéral et le multilatéral. Pour mémoire, la somme des contributions françaises aux différents fonds verticaux « santé » représente plus de 500 millions d'euros par an. À mon sens, il existe un réel risque de décrochage, notamment par rapport à l'Allemagne (si je prends l'Allemagne c'est qu'elle est la plus comparable à bien des égards), qui vient d'annoncer une hausse substantielle de son APD. Pour un volume de prêts comparable au nôtre, la KFW dispose chaque année de 1,5 milliard d'euros de subventions – avant le renforcement de 500 millions d'euros qui va être effectué prochainement. L'autre organisme d'aide au développement allemand, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), dispose d'ores et déjà de presque 2 milliards d'euros. Étant réaliste, je ne rêve pas que nous obtenions des sommes de cet ordre, mais j'insiste sur le fait que l'AFD fait le maximum de ce qu'elle peut faire avec les 200 millions d'euros dont elle dispose : pour faire plus, et puisque nous ne pouvons endetter davantage les pays concernés, il faudrait disposer d'une enveloppe de dons bilatérale plus conséquente.
La France doit être fière de ce qu'elle a fait pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, auquel elle contribue à hauteur de 360 millions d'euros. À la fin des années 1990, elle a été pionnière dans ce domaine, alors même que certains pays affirmaient qu'il était impossible d'apporter des traitements au sud du Sahara – ce qui était faux et scandaleux. Nous avons montré la voie en aidant des pays qu'il était, pour nous, « hors de question de laisser tomber ». Aujourd'hui, la démonstration est faite qu'il était possible d'agir, et de nombreux bailleurs nous ont suivis. Il est donc permis de se demander s'il ne serait pas possible aujourd'hui de déplacer notre effort, par exemple vers le Sahel. Si la France ramenait ses contributions au Fonds mondial de lutte contre le sida de 12 % à 6 % – ce qui est le niveau habituel de positionnement de la France –, nous dégagerions 500 millions d'euros sur trois ans, qui pourraient être redéployés par exemple sur l'initiative Sahel.
Notre volume global d'action bilatérale toutes géographies confondues est très significatif : nous réalisons 6,5 milliards d'euros de financements par an dans les Etats étrangers, et pesons sur de nombreux agendas, nationaux et internationaux. Si nous voulions faire plus, il faudrait travailler sur deux aspects. Premièrement, le financement de l'expertise – c'est le nerf de la guerre en matière de renforcement de capacité dans les pays pauvres comme en matière d'influence, toutes géographies confondues – doit être plus important, car il est essentiel, pour servir nos priorités, de disposer d'instruments nous permettant d'exercer une influence indirecte. Deuxièmement, il faudrait envisager de revoir le cadre prudentiel s'appliquant à l'AFD, la taille de nos fonds propres délimitant à la fois un volume global de financement et un volume par pays. Notre capacité d'intervention s'est trouvée accrue du fait du renforcement de fonds propres intervenu l'année dernière, mais reste limitée.
En conclusion, pour peser sur l'agenda international et pouvoir atteindre les priorités que l'on s'est fixées, il me semble important de maintenir un outil bilatéral significatif et suffisamment fort pour pouvoir porter localement et globalement les priorités de la France.