Intervention de Anne Paugam

Réunion du 7 juillet 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Anne Paugam, directrice générale de l'Agence française du Développement, AFD :

La situation n'est pas nouvelle et, si l'on veut changer les choses, il faut se demander si la totalité des règles qui nous sont applicables sont pertinentes au regard de ce qu'est l'outil bilatéral. Mais c'est là une question véritablement stratégique qui appelle l'ouverture d'un débat.

Pour ce qui est des Intended Nationally Determined Contributions (INDC), c'est-à-dire les contributions nationales des différents pays en vue de la COP21, nous avons approuvé en janvier une facilité qui a ensuite été mise en oeuvre avec le concours d'Expertise France pour vingt pays, dont la République démocratique du Congo (RDC). Les experts ont travaillé de fin mai à aujourd'hui : entre le moment où nous avons mis en place le financement et celui où Expertise France a été en mesure de passer les marchés avec les bureaux d'études, il s'est écoulé un délai incompressible de gestion. Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé avec la RDC, mais il n'est pas impossible que le processus n'en soit qu'à son début pour cet État. D'une manière générale, l'exercice était très contraint, car mettre au point une contribution entre janvier et septembre n'a rien d'évident pour certains pays. Notre objectif était donc d'aider ces pays à élaborer une première contribution, qui pourra toujours être améliorée – avec notre aide si besoin est – après sa présentation dans le cadre de la COP21 : la réflexion ne s'arrête pas là.

Sans être une afro-optimiste béate – on a parfois l'impression frustrante que l'histoire bégaye et que les choses n'avancent pas –, je constate que bon nombre de pays ne disposant pas de ressources naturelles très importantes – minières, notamment – présentent tout de même des taux de croissance tout à fait satisfaisants : je citerai par exemple le Burkina Faso, mais il en existe bien d'autres. Les fondamentaux de la croissance africaine me paraissent donc solides, et pas forcément ancrés dans l'exploitation des matières premières : d'ailleurs, les cours de ces matières fluctuent, ce qui bénéficie à certains pays et en freine d'autres, et n'empêche pas la croissance moyenne de se maintenir entre 4 % et 6 %. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l'importance d'une économie informelle, mal prise en compte par les statistiques.

Force est de constater qu'une classe moyenne, ayant souvent adopté un mode de vie urbain, s'est constituée en Afrique. Même si elle reste minoritaire dans de nombreux pays, elle prend constamment de l'importance et présente une capacité croissante à consommer. Par ailleurs, il existe également des gains de productivité en milieu rural : il nous revient de savoir accompagner ce phénomène. D'une manière générale, nous devons aller vers plus de valeur ajoutée dans les filières, qu'il s'agisse de l'agriculture ou de l'économie de services, qui se développe énormément en zone urbaine. Le formidable potentiel économique de l'Afrique se ressent lorsqu'on se rend dans les capitales africaines, pour la plupart très énergisantes. En résumé, il n'y a pas de fatalité africaine, même pour les seize pays pauvres prioritaires.

M. Loncle a raison de souligner la nécessité de pouvoir contrôler l'effectivité de notre action. Nous mesurons l'impact des projets que nous finançons, en dons, mais aussi sous forme de prêts, car nous ne voudrions pas nous faire reprocher d'avoir endetté tel ou tel pays sans résultat, alors que l'allégement de la dette contractée par un pays, le cas échéant avec l'intervention du Club de Paris, n'est jamais chose facile. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que même les prêts engagent les finances publiques de la France. Nous ne faisons donc pas de différence entre dons et prêts dans nos exigences de procédures, ni dans la mesure des résultats.

Entre 2012 et 2014, les projets que nous avons financés ont permis à 2,3 millions de personnes vivant dans des quartiers précaires d'améliorer leur habitat ; à deux millions d'enfants d'être scolarisés en primaire et au collège ; à 330 000 jeunes de recevoir une formation professionnelle, et à presque trois millions de personnes d'avoir accès à l'eau ou à l'assainissement.

Au départ, nous lancions nos projets en indiquant les résultats que nous espérions en obtenir. Ces projets mettant en moyenne quatre ans à s'exécuter, nous avons pris l'habitude de mesurer les résultats effectivement obtenus. En matière d'eau et d'assainissement, la comparaison entre les objectifs et les résultats a permis de constater que les deux étaient très proches, ce dont je me félicite. Ce contrôle est très utile, notamment en ce qu'il permet de montrer à nos concitoyens, qui sont aussi contribuables, que ce que nous faisons ne se perd pas dans les sables.

Nous nous réjouissons de la création d'Expertise France, qui rassemble plusieurs petits opérateurs français d'expertise. Son rôle et celui de l'AFD sont complémentaires : sitôt que le renforcement de capacité prévu par un projet financé par l'AFD consiste en une demande d'expertise publique – que nous ayons besoin d'un douanier ou d'un fonctionnaire hospitalier –, nous nous adressons directement à Expertise France, comme nous nous adressions naguère à France Expertise Internationale (FEI). Cette relation va se trouver renforcée : j'ai proposé à Sébastien Mosneron Dupin, le directeur général d'Expertise France, un projet de partenariat renforcé basé sur la complémentarité entre Expertise France, qui dispose d'un vivier d'expertise publique, et l'AFD, qui dispose du financement correspondant.

J'insiste sur le fait qu'Expertise France n'est pas une nouvelle agence de développement qui financerait également des projets. Cela nous ferait revenir à la situation antérieure à 1998, où plusieurs agences étaient susceptibles de proposer des projets d'aide au développement : or, il ne saurait être question de remettre en cause la réforme de 1998, qui avait précisément pour objet de regrouper les forces des opérateurs mobilisant l'expertise publique, notamment l'ADETEF et la FEI, et s'est révélée très efficace. La mission d'Expertise France consiste à aller chercher des financements européens, par exemple, en soumissionnant à des appels d'offres – ce que nous ne faisons pas, car nous sommes un financeur. Expertise France n'est pas un financeur, elle propose des services en matière de mobilisation d'expertise qui sont financés par l'Union européenne, par l'AFD en bilatéral, éventuellement par la Banque mondiale. Si nous parvenions à accroître les moyens bilatéraux en subventions dont nous disposons, une part conséquente irait directement à Expertise France, à qui nous demanderions de mobiliser de l'expertise publique sur des projets que nous ne pouvons financer aujourd'hui puisque nous n'en avons pas les moyens.

La bataille des normes que vous avez évoquée est absolument essentielle quand on veut influencer les modèles de croissance pour qu'ils convergent vers ce que l'on pense être bon pour la planète, ainsi que la paix et la prospérité, mais aussi pour la France et sa place dans le monde.

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