Je me souviens avoir dit que le fonds de garantie que nous avions construit pour préfinancer le CICE des TPE n'a pas été utilisé, puisque nous l'avons préfinancé nous-mêmes.
Début 2013, nous avions tenté un schéma – conforme à ce que faisait la BPI – qui était le suivant : pour les petites quotités, le réseau bancaire intervient et nous apportons notre garantie ; pour les plus grandes, nous intervenons en direct. Aucune banque ne s'étant saisie du préfinancement du CICE, nous l'avons organisé nous-mêmes, ce pour quoi nous avons recruté des intérimaires. En 2015, nous préfinançons le CICE de plus de 15 000 TPE. Personne ne le ferait si nous n'étions pas là.
Dès lors que nous intervenons nous-mêmes, nous n'avons pas utilisé le fonds de garantie doté par le ministère des Finances par le biais d'un abondement du fonds de renforcement de la trésorerie pour la croissance, la commission et l'emploi (RTCCE). En revanche, nous utilisons par définition tous les autres fonds de garantie. J'ai toujours dit, notamment au Président de la République, qu'on ne pouvait pas débudgétiser la garantie de Bpifrance. Il faut absolument que, chaque année, des dotations budgétaires alimentent ses fonds.
Fin 2012, quand je suis arrivé, la garantie avait été totalement débudgétisée. Elle représentait zéro dans le plan de l'État en 2013, 2014 et 2015. J'ai obtenu du Président de la République une dotation de 100 millions d'euros. Prise sur le Programme d'investissements d'avenir (PIA), elle nous a permis de tenir, avant que nous ne recyclions le dividende, que nous ne révisions le modèle de calcul des multiplicateurs des fonds de garantie et que nous ne trouvions le moyen de réaliser des économies. Heureusement que nous avons pu convaincre le Trésor de procéder au recyclage du dividende ce qui permet d'alimenter les fonds de garantie.
Il est un point sur lequel je suis moins inquiet qu'il y a neuf mois : la direction générale de la concurrence de la Commission européenne nous a indiqué par courrier qu'elle ne nous demanderait pas de notifier l'objet Bpifrance. Elle se range à nos arguments, selon lesquels l'établissement est un produit de l'histoire financière de notre pays, puisqu'il agrège des entités qui avaient déjà été notifiées : Sofaris, l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), la Banque du développement des petites et moyennes entreprises (BDPME), le Crédit d'équipement des PME (CEPME), le FSI, CDC Entreprises et le FSI Régions.
Cette décision constitue pour nous un grand soulagement. Elle écarte le risque de nous voir imposer les conditions auxquelles ont été soumises la British Business Bank, la banque publique d'investissement portugaise et toutes les banques publiques d'investissement qui émergent au sein de petits Etats, par exemple en Hongrie et en Roumanie. Celles-ci ont dû procéder à des séparations d'activités qui auraient rendu impossible de construire une banque « client-centrique ».
Nous nous réjouissons que ce risque soit écarté, même si la régulation des aides d'État reste contraignante. Elle nous encadre à tout moment. Réaliser certains investissements en fonds propres nous mettrait sous le coup d'une sanction de Bruxelles. C'est la raison pour laquelle nous avons renoncé à Kem One, sur la plate-forme de Fos-sur-Mer. C'est le Fonds de développement économique et social (FDES) qui l'a fait, ce qui oblige à présent l'État à notifier cette entreprise. Pour la même raison, nous n'avons pas pu intervenir pour Fagor ou Mory, parce que cette démarche aurait manifestement constitué une aide d'État. La régulation stricte est une discipline qui nous évite, sous l'effet d'un stress collectif important, de brûler du capital public. Nous ne cherchons pas à tout prix à respecter la règlementation d'aide d'Etat ; il peut nous arriver de jouer avec les zones grises mais on la respecte. Désormais nos relations avec la Commission européenne sont bonnes.
Il y a trois semaines, j'ai rencontré à Bruxelles le député du Parlement européen qui dirige la commission PME. Nous lui avons fait passer mille propositions. Nos propositions sur le plan Juncker ont été très écoutées. Ce n'est pas pour rien que Bpifrance est la première banque européenne à avoir annoncé une opération dans le cadre du plan Juncker.
Nous sommes également très écoutés par le conseil d'administration du Fonds européen d'investissement. Nous rencontrons régulièrement toutes les grandes directions de la Commission et nous sommes reçus au plus haut niveau. Quand nous avons rencontré M. Jyrki Katainen, il nous a demandé de faire un tour d'Europe. Il souhaite que nous rendions nos partenaires jaloux, afin de les encourager à nous imiter.
Je comprends l'analyse de Jean-Louis Beffa, mais, pour travailler au quotidien avec la Commission, je me réjouis du tour qu'ont pris nos relations, puisqu'elle nous finance bien et qu'elle écoute nos propositions.
Chaque fois que nous rencontrons les représentants de la KfW, ils nous disent que nous avons de la chance d'avoir accès directement aux clients. Ils tentent de développer un canal direct par le biais d'internet. Il est trop tard pour eux, en effet, pour développer un réseau physique. Le système actuel – qui fait bénéficier les Landesbanken de la garantie de la KfW – existe en Allemagne depuis cinquante ans, mais, pour ma part, je ne comprends pas comment on peut fonctionner quand on n'a pas accès aux clients. Nous devons à nos clients entrepreneurs français 95 % de notre intelligence de banquiers.
Je me réjouis que, depuis les années cinquante, mes prédécesseurs aient imposé le principe d'un réseau physique. La Caisse nationale des marchés de l'État (CNME) et le Crédit hôtelier ont eu leur réseau. Les créateurs de l'ANVAR ont eu l'intelligence de créer un réseau régional, dont la fusion est à l'origine de celui d'OSÉO puis de Bpifrance et qui est notre coeur de valeur. Chaque fois qu'on remporte un succès c'est parce que des chargés d'affaires innovation, bancaires, garantie ou investissement sont sur le terrain.
En matière de régulation, je n'envie pas tellement la KfW. Figurer parmi les treize banques systémiques françaises régulées par la Banque centrale européenne, confère à Bpifrance sur le marché d'une forte autorité, qui renforce sa dimension de banque de place vis-à-vis de nos partenaires. Nous procédons actuellement à une augmentation de capital, qui a intéressé nombre de banques françaises. BNP-Paribas, la Société générale, Crédit mutuel Arkéa et la Banque postale réinvestissent dans Bpifrance, signe que celle-ci est et reste vraiment une banque de place.
J'envie cependant la KfW sur un point : elle ne paie pas d'impôt, ce qui lui permet de stocker des fonds propres. Elle se ménage ainsi pour l'avenir une grande latitude dans le financement de sa mission d'intérêt général. La KfW jouit d'un statut très particulier. Les deux chefs de bureau du ministère des finances allemand, qui assurent sa tutelle, n'ont aucun pouvoir. Quand le Bund lui demande de faire des investissements en fonds propres – pour lesquels elle a une certaine aversion – la KfW lui demande de les garantir à 100%. Le Bund garantit à 100 % sa participation dans EADS. Le même taux de garantie s'applique à l'activité de fonds de fonds, que la KfW est en train de lancer, sur le modèle de la nôtre.
À l'égard de la BCE, nous nous sommes bien équipés, même s'il faut que nous continuions à recruter, ce qui nous prend beaucoup de temps. Un léger risque demeure cependant : la BCE pourrait ne pas admettre que la machinerie française des fonds de garantie est unique et constitue un métier assurantiel. Nous gérons des fonds qui permettent de prendre des risques statistiques. Parce que ce système n'existe dans aucune autre banque, la BCE nous pose mille questions à son sujet, ce qui suscite de notre part une certaine inquiétude.