Au premier semestre 2015, les prêts sans garantie accordés en comité d'investissement sont en légère baisse par rapport à 2014. Souvent, pour ces prêts nous sommes un peu trop chers, car la réglementation européenne sur les primes-plancher pour les PME européenne, place Bpifrance hors marché. Ce n'était pas le cas l'an dernier. Entre janvier et avril, nous avons subi la forte concurrence du marché bancaire – ce qui est un excellent signe. Cela signifie que les taux sont très bas, ce qui justifie le discours que nous tenons aux entrepreneurs, en leur disant que c'est maintenant qu'il faut s'endetter.
Concernant le projet de fondation pour l'innovation, nous essayons d'imaginer la suite. Il est malheureusement à craindre que le programme 192 du Budget Général (comme beaucoup d'autres) qui porte notamment les crédits budgétaires de l'innovation sera progressivement mais méthodiquement érodé dans l'ajustement structurel du budget de l'État. Comment faire pour sanctuariser les moyens que l'Etat consacre à quelques 3500 projets de premiers stades de l'innovation chaque année, comme nous avons sanctuarisé la garantie avec le recyclage du dividende ?
Une solution aurait été que l'État nous accorde une franchise d'impôt pendant trois ans, comme la KfW. On nous l'a refusé. Nous avons imaginé un autre schéma. Dès lors qu'il existe 90 milliards d'euros de fonds propres gérés par l'APE et 20 milliards d'euros de fonds propres gérés par Bpifrance, dont 25 %, soit 5 milliards, uniquement sur Orange, on pourrait placer 7 de ces 110 milliards dans une fondation – la fondation pour l'innovation – qui gérerait cet actif, recevrait les dividendes et injecterait chaque année 200 millions dans le financement des aides à l'innovation.
On sait déjà qu'en 2025, l'État ne vendra pas 110 milliards d'euros de capital. Il en aura probablement 130, puisque le montant aura fructifié. En isoler une partie dans une fondation qui générerait un rendement fléché vers un produit phare, historique, puisqu'il remonte à la fin des années soixante – le financement de l'innovation française –, serait une solution d'une visibilité très pure. La fondation pour l'innovation garantirait aux Français que, pendant les trente prochaines années, il y aurait toujours des aides à l'innovation. Les entrepreneurs demandent avant tout de la prédictibilité et de la visibilité. S'ils ont compris le discours de l'État sur la sanctuarisation du crédit impôt recherche, ils ne croient pas à celle des aides à l'innovation, puisque chaque année, auparavant en novembre, désormais en octobre, les guichets sont fermés.
J'ai parlé de la création de cette fondation pour l'innovation au Premier ministre, au secrétaire général de la présidence de la République, ainsi qu'à Emmanuel Macron et à Michel Sapin.
La semaine dernière, le comité exécutif de Bpifrance a organisé un séminaire stratégique. En conclusion de nos travaux, j'ai rappelé que Bpifrance est la banque de la reprise de l'investissement en France et du rattrapage du retard de l'investissement français. Puisqu'il existe un point de PIB à rattraper, nous devons nous considérer avant tout comme un catalyseur et une banque de croissance. La taille du bilan va continuer d'augmenter et la banque va se déployer. Nous n'allons surtout pas nous arrêter lorsque la reprise économique sera là, car si l'économie reprend peut-être grâce à la consommation, l'investissement fait toujours défaut.
Bpifrance est une banque du service public. Elle en a les valeurs et elle assume des missions d'intérêt général. Elle est fière de son appartenance au secteur public, mais cette situation est lourde de conséquences. Bpifrance n'accepte pas d'être débudgétisée et être lentement poussée vers la banalisation. C'est le pire qui puisse lui arriver. Il faut qu'elle puisse financer l'innovation et la garantie, continuer de gérer des fonds propres et disposer de toute la gamme des instruments qui font d'elle une banque publique.
C'est aussi une banque publique au sens où elle a des préoccupations de responsabilité sociales et environnementales claires. Peut-être serons-nous notés un jour par des agences qui évalueront la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) mais l'essentiel, c'est d'y croire. Bpifrance est sincèrement engagée dans la RSE. Bpifrance va se mobiliser très fortement sur la transition énergétique et environnementale. Au quotidien, elle exerce sa responsabilité sociale dans le choix des crédits qu'elle accorde et des investissements en fonds propres auxquels elle procède.
Notre banque a une relation unique avec ses clients qui vient d'un long historique de solidarité. Elle les a accompagnés dans les phases les plus difficiles. Parce qu'elle avait les moyens publics de le faire et que telle était sa mission, elle est restée au côté des entrepreneurs ; ce qui a créé une relation intime, émotionnelle, qu'il faut absolument entretenir. Les maîtres mots sont qualité et simplicité des produits, simplicité du comportement, intelligence, écoute, présence sur le terrain, accompagnement. Bpifrance se considérera de plus en plus comme un réseau social d'entrepreneurs, qui possède une banque au-dessus de lui.
Ensuite, il faudra réinventer une version moderne de la Banque française du commerce extérieur. Notre déficit commercial est insoutenable. Nos entrepreneurs ont toujours un rapport conservateur au monde, voire démodé : 50 % des ETI et 70 % des PME ne sont pas dans la mondialisation, ce qui est gravissime. Nous ne nous arrêterons pas tant que nous n'aurons pas changé cette situation, en faisant du porte-à-porte, en rencontrant les entrepreneurs les uns après les autres. L'Allemagne est bien plus mondialisée que nous.
Bpifrance est le canal du financement de l'innovation française. Il y a un petit frottement de territoire avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), que nous ne pouvons pas cacher. Si l'on veut être client-centrique, il faut traiter le sujet, car il est étrange qu'il existe deux guichets régionaux dans le secteur de la transition énergétique, de l'automobile et du transport.
Enfin, nous sommes une banque partenariale, qui ne souhaite pas devenir une grosse organisation. Avec nos 2 500 salariés, nous sommes une ETI de la banque. La beauté de Bpifrance réside dans sa flexibilité. Les décisions prises le matin sont exécutées le soir même, et l'entrepreneur en est informé le lendemain matin. Pour ne pas devenir une grosse organisation, nous refusons l'intégration verticale. Tout ce que nous faisons, nous le co-faisons : nous co-finançons, nous co-investissons, nous co-accompagnons. Nous travaillons avec des consultants privés, mais nous n'en recruterons. Devenir une entreprise tentaculaire n'entre pas dans le projet qui nous a été confié. Notre petite taille nous permet d'être dynamiques et de catalyser les énergies. Elle fait de nous l'Astérix de la place.