Intervention de Charles-éric Lemaignen

Réunion du 1er septembre 2015 à 18h00
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Charles-éric Lemaignen, président de l'Assemblées des Communautés de France :

Mesdames, messieurs les députés, je ne m'attarderai pas sur la question de la baisse des investissements, qui a sans doute été largement évoquée par les personnes que vous avez auditionnées précédemment. Cette baisse, qui a été constatée dès 2014, alors que les dotations de l'État avaient diminué de 1,5 milliard d'euros, est confirmée par une étude de l'Assemblée des Communautés de France (AdCF) et de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP), qui fait état d'une diminution de plus de 20 % du nombre des marchés. La stabilisation observée depuis mars 2015 laisse à penser que l'effondrement des commandes publiques intervenu entre fin 2014 et début 2015 a atteint un palier, mais l'on ignore si celui-ci sera durable car les collectivités ont plusieurs motifs d'interrogation concernant leurs investissements.

Je concentrerai donc plutôt mon intervention sur les propositions que pourrait faire l'AdCF pour remédier à cette situation. Il ne faudrait pas, en effet, que nous connaissions une évolution à l'allemande. Je rappelle que l'investissement des collectivités représente entre 3 % et 3,5 % du PIB en France, contre moins de 2 % en Allemagne, la moyenne européenne s'établissant à 2,8 %. Que s'est-il passé chez notre voisin ? Entre 1992 et 2005, les investissements publics allemands sont passés de 47 milliards d'euros à 29 milliards d'euros, si bien qu'à partir de 2006, le patronat et les syndicats allemands s'en sont inquiétés. De fait, un rapport, publié me semble-t-il en 2010, révélait que 41 % des routes et 46 % des ponts étaient dans un état critique. Or, cette chute des investissements publics s'explique par la diminution des investissements réalisée par les Gemeinden, c'est-à-dire les communes allemandes, investissements qui sont passés, au cours de la même période, de 30 milliards à 14 milliards d'euros. Sachant que la qualité des équipements publics est incontestablement un élément très important de l'attractivité de la France, je ne voudrais pas que notre pays se retrouve dans la même situation.

Quelles sont les raisons de la baisse des investissements publics locaux en France ? Tout d'abord, l'incidence du cycle électoral est réelle, mais elle ne saurait être considérée comme la seule explication, dans la mesure où cette baisse des investissements ne concerne pas uniquement le bloc communal mais également les autres collectivités locales. Ensuite, il faut mentionner l'incertitude législative. En effet, une commune ou une intercommunalité qui ne sait pas quels seront, dans six mois, son périmètre et ses compétences ni celles de ses financeurs, région et département, ne se trouve pas dans une situation très confortable pour prendre des décisions pluriannuelles d'investissement. Il convient donc, et l'AdCF a toujours plaidé en ce sens, de stabiliser le cadre réglementaire dans lequel les collectivités exercent leur action. Enfin, les collectivités du bloc communal assument 80 % de la maîtrise d'ouvrage des investissements des collectivités locales, qui représentent eux-mêmes 70 % de l'ensemble de l'investissement public. Or, les communes et les intercommunalités se trouvent au bout de la chaîne : à la baisse des dotations de l'État s'ajoute la diminution des concours des régions et des départements. Entre 2007 et 2012, les investissements des départements sont ainsi passés de 4,3 à 3,4 milliards. Quant aux prélèvements réalisés sur les agences de l'eau ou la diminution des concours de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ils pénalisent également les collectivités locales, en particulier les intercommunalités, qui gèrent l'essentiel des compétences « grenelliennes ». Dès lors, il nous est extrêmement difficile de préserver notre autofinancement.

Les collectivités locales françaises – et c'est pourquoi nous n'avons pas apprécié que le ministre des finances brocarde leur gestion – appliquent pourtant depuis longtemps la règle d'or. Faut-il rappeler que, pour la première fois en 2014, leurs dépenses totales ont diminué ? En effet, si leurs dépenses de fonctionnement ont légèrement augmenté, leurs dépenses d'investissement ont, quant à elles, subi une forte baisse de 9,6 %. Encore faut-il préciser que la progression de 3,9 % des dépenses de personnel est due pour moitié, selon la Cour des Comptes, aux transferts de l'État non compensés – je pense à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) ou à la modification des rythmes scolaires. Ainsi, selon nos prévisions, les dépenses de personnel devraient progresser de 2,5 % en 2015.

En tout état de cause, nous nous efforçons d'autofinancer l'essentiel de nos dépenses, et il est fondamental que les collectivités préservent leurs capacités d'autofinancement. Or, toutes les études prospectives que nous réalisons prévoient, en 2017, une diminution de l'ordre de 25 % de cet autofinancement. De fait, une bonne partie des élus locaux ayant pris l'engagement de ne pas augmenter la pression fiscale, il est difficile de jouer sur les taux d'imposition, et les bases de la fiscalité n'étant pas très bonnes en raison de la crise de la mise en chantier de logements, la matière fiscale se stabilise.

Bien entendu, l'ensemble des collectivités, en particulier les intercommunalités, favorisent les mutualisations, mais cela prend du temps. Ainsi, les incidences financières du schéma de mutualisation des services fonctionnels que j'ai fait adopter par l'intercommunalité que je préside, la communauté d'agglomération d'Orléans-Val-de-Loire, ne se feront sentir que dans deux, trois ou quatre ans, car la rigidité des dépenses de fonctionnement est très importante.

L'AdCF considère donc que la baisse des dotations de l'État est à la fois trop brutale et trop forte. Certes, les collectivités doivent contribuer à la réduction des déficits publics : elles ne peuvent pas être un îlot de prospérité dans un océan de contraintes. Mais on aurait probablement dû répartir différemment la charge entre l'État, les organismes sociaux et les collectivités locales. Il eût été intéressant, par exemple, pour protéger l'investissement, de se focaliser sur les dépenses de fonctionnement de ces trois acteurs ; la baisse des dotations aux collectivités locales aurait été alors, non pas de 11 milliards, mais de 7,5 milliards. Quoi qu'il en soit, cette baisse étant trop rapide et trop importante, nous sommes aujourd'hui obligés, au moment où nous élaborons nos projets de territoire et nos programmes pluriannuels d'investissement (PPI), de freiner nos investissements.

Comment tenter de limiter la casse ? Tout d'abord, il est fondamental de stabiliser les règles fiscales. À cet égard, nous ne pouvons pas accepter la diminution de 500 millions du « versement transport », liée au relèvement de 9 à 11 salariés du seuil à partir duquel une société doit acquitter ce versement, dont je rappelle qu'il s'élève à environ 7 milliards d'euros, répartis à parts à peu près égales entre l'Île-de-France et les collectivités de province.

Ensuite, si l'on observe bien une volonté de diminuer les normes pesant sur les collectivités, force est de constater que cela ne se traduit pas encore par une diminution des dépenses. Certes, les Agendas d'accessibilité programmée (ADAP) permettent d'étaler un peu les charges, mais on reste, en la matière, dans le « toujours plus ». Ce phénomène n'est pas seulement le fait de l'État ; il est dû également aux fédérations sportives, à la sur-transposition des règles européennes et aux choix des parlementaires. Pour nous, au quotidien, c'est ingérable ! Il faut donc parvenir à un véritable moratoire qui permette de mettre un terme à cette inflation normative.

Par ailleurs, il faudrait mieux connaître l'investissement. Il est insupportable que la grande presse accuse les collectivités de financer sans cesse des ronds-points de prestige, en prétendant que cela représente 10 % de nos investissements, ce qui est absurde ! Mais il est vrai qu'il serait souhaitable de réaliser une analyse globale et détaillée des investissements ainsi que de leur utilité sociale, et de disposer, sans aller jusqu'à définir des coûts standards obligatoires, d'un code de bonnes pratiques concernant, par exemple, les modes de financement et les coûts de fonctionnement induits. La création, dans le cadre des Assises nationales de l'investissement, d'un observatoire des investissements au niveau national et régional permettrait probablement d'avoir une meilleure connaissance des investissements et de fournir aux collectivités locales un guide qui les aide à mieux cibler les investissements nécessaires.

Il nous paraîtrait également utile d'avoir une programmation plus systématique des investissements, dans le cadre des PPI, au niveau des intercommunalités. La plupart d'entre elles élaborent déjà des projets de territoire qui comprennent un PPI, mais il serait probablement utile que le PPI de l'intercommunalité et ceux des communes qui la composent soient, sinon regroupés en un seul programme, du moins coordonnés. Nous savons de toute façon que la contrainte financière continuera de peser après 2017, même si nous obtenons un étalement ou une diminution. Nous avons donc tous l'ardente obligation de réaliser des économies de fonctionnement en évitant les doublons. Il serait bon, du reste, que l'État ait la même préoccupation dans le cadre de sa structuration territoriale. Les PPI communautaires constituent une des pistes dont nous croyons qu'elles peuvent permettre d'améliorer les choses.

Enfin, encourager les collectivités à s'endetter au motif que les taux d'intérêt sont faibles, ou leur proposer un préfinancement à taux zéro plutôt que de leur faire des avances de TVA, c'est appliquer une rustine. Le problème, en effet, c'est l'autofinancement. Que les taux d'intérêt soient à 2 %, comme c'est le cas aujourd'hui, ou à 0 %, cela ne change pas fondamentalement la donne. Dans ma communauté d'agglomération, qui est endettée en raison de la construction de deux lignes de tramway, le PPI prévoit une réduction de la dette. On ne peut pas s'endetter n'importe comment pour des raisons purement conjoncturelles. Le ratio de l'encours de la dette par rapport à l'épargne est, pour nous, le guide essentiel de toute stratégie financière à moyen terme. Il ne serait pas raisonnable d'encourager les collectivités à s'endetter pour relancer la machine.

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