Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, un an après le déclenchement de l’opération Chammal, les barbares de Daech continuent de semer la mort sur la surface du globe. Sur notre sol, le massacre des journalistes de Charlie hebdo a suivi celui des enfants juifs de Toulouse. Là-bas, c’est un cortège de décapitations, de viols, d’épuration ethnique et d’atrocités sans fin. En détruisant Palmyre, symbole des influences arabe, grecque et romaine entremêlées, Daech s’est attaqué aux plus hautes oeuvres de l’esprit et a bafoué ce que la Méditerranée, creuset de toutes les cultures et trait d’union entre l’Orient et l’Occident, a de plus beau.
Ce fanatisme qui nous ramène aux pages les plus sombres de l’Histoire, les députés du Front de gauche sont résolus à le combattre sans merci et sans états d’âme. Nous sommes résolus à le combattre par la force car le dialogue, face à des monstres d’une telle brutalité, est impossible, par l’intelligence, car elle seule fournit durablement un rempart contre l’obscurantisme et la folie, et par la fraternité car cette barbarie n’a rien à voir avec la culture musulmane qu’elle trahit et instrumentalise. Dans cette lutte, nous avons toujours pris nos responsabilités, notamment lors de l’intervention au Mali. Pour autant, ce même esprit de responsabilité nous a amenés à formuler de fortes réserves lors du déclenchement de l’opération Chammal et à ne pas approuver sa prolongation en janvier dernier.
Pourquoi ? Parce que nous étions en désaccord avec notre diplomatie sur deux points majeurs. Nous ne partagions pas le signe d’égalité placé par la France entre Bachar el-Assad et Daech. S’il n’existe pas de hiérarchie dans l’horreur, on ne peut pour autant mettre sur un même rang un dictateur et une idéologie porteuse de l’anéantissement de l’humanité. Cette position, plus atlantiste même que celle des États-Unis, nous a menés à l’isolement et à l’impuissance diplomatiques, tout comme notre intransigeance sur le nucléaire iranien. Nous déplorions également que l’intervention militaire se déroule sous l’égide de l’OTAN, ce qui ne manquerait pas de raviver la thèse du choc des civilisations, sans même parler de nos interrogations sur l’efficacité de telles frappes aériennes à défaut de tout volet politique consistant !
Un an après, force est de constater que nos craintes étaient fondées pour l’essentiel. Nous nous trouvons aujourd’hui en situation d’échec. Militairement, Daech a consolidé son emprise géographique. Malgré les milliers de frappes aériennes, aucune ville irakienne n’a été reprise. Si 10 000 djihadistes sont tombés, le fanatisme a fait son oeuvre et de nouveaux combattants sont venus les remplacer. Les armées locales, notamment l’armée irakienne, demeurent incapables d’assurer la sécurité de leurs populations.
Sur le plan diplomatique, Erdogan a marchandé sa place dans la coalition de l’OTAN afin d’engager une répression inouïe contre les Kurdes qui sont notre seul rempart contre Daech. C’est un comble : le déclenchement de l’intervention américaine a affaibli notre seul allié fiable, laïc et progressiste de la région !
Du point de vue humanitaire, la persécution des minorités s’est accentuée, tout comme le drame des réfugiés. Notre continent a cru un temps s’en tenir à l’écart en érigeant une Europe forteresse et en se défaussant sur les pays frontaliers de la Syrie. Malgré notre opposition, les moyens de l’agence FRONTEX ont été considérablement augmentés. L’aide au développement a été sans cesse amputée. En fin de compte, la Méditerranée a cessé de représenter l’espoir d’une main tendue pour devenir peu à peu le cimetière de milliers de vies. Face à cette tragédie, les députés du Front de gauche réaffirment que les migrants sont une richesse et non une menace ! C’est pourquoi nous refusons tout tri des migrants au nom même de la fraternité qui fonde notre République !
Au sujet de la Syrie, notre position est claire. Nous soutenons avec détermination le principe de l’engagement d’une force militaire contre Daech pour autant qu’il s’inscrive dans le cadre de l’ONU et s’accompagne d’une feuille de route politique associant l’ensemble des acteurs régionaux. Hélas, nous regrettons que le plan proposé aujourd’hui par l’exécutif emprunte un chemin opposé ! En écartant les Russes, un cavalier seul de la France en Syrie ne ferait qu’éloigner la perspective d’une grande coalition contre Daech. Par ailleurs, une intervention hors de toute autorisation onusienne placerait la France dans l’illégalité au regard du droit international. Enfin, nous maintenons nos interrogations sur les véritables buts de guerre d’une telle opération. Initialement annoncée comme une mission de surveillance et de renseignement, elle s’est muée ces dernières heures en mission de bombardement. Le sentiment qui domine, c’est la confusion ! S’agit-il de combattre Daech ou d’affaiblir l’autorité du régime syrien sur son territoire ?