Intervention de Louis Gautier

Réunion du 8 septembre 2015 à 14h30
Commission des affaires étrangères

Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale :

Il est apparu, dans la discussion, que la partie russe n'avait pas une position uniforme. Avec mon interlocuteur désigné, M. Dimitri Rogozine, les relations ont été franches, parfois rudes, mais toujours extrêmement cordiales.

J'ai lu dans la presse que cette négociation durerait très longtemps. Tel n'a pas été le cas : elle s'est étalée sur un peu moins de cinq mois, avec environ deux mois consacrés à une discussion qui a permis de dégager les grands paramètres de l'accord et deux mois qui ont été utilisés pour négocier le contenu technique des textes, non seulement en franco-russe, mais aussi en franco-français, notamment sur les aspects relatifs à la COFACE. Cette durée n'avait rien d'extravagant s'agissant d'une négociation portant sur deux grands équipements militaires de cette nature, engageant des montants de cette importance et ayant des conséquences industrielles. Il est logique que l'on s'intéresse à tous les détails de tels accords, qui font plusieurs pages.

D'autre part, la discussion s'est déroulée dans un climat d'ouverture. Mon interlocuteur et moi avions l'obligation de proposer une solution à nos présidents respectifs. Nous revenions d'ailleurs régulièrement vers nos autorités pour faire valider les avancées de la négociation. Celle-ci s'est évidemment tenue dans un très grand degré de confidentialité, et nous avons voulu que les délais soient les plus brefs possibles.

Comme vous le savez, M. Rogozine n'était pas, à l'origine, très favorable à ce projet. Il a commencé par me rappeler, au cours d'une discussion un peu abrupte, qu'il ne souhaitait pas, pour sa part, cette coopération, que les chantiers russes étaient, selon lui, tout à fait capables de construire de tels BPC et qu'ils n'avaient d'ailleurs pas passé la commande optionnelle des deux autres BPC, qui devaient être construits en Russie dans le cadre de la coopération nouée par le contrat initial. Son point de vue était donc plutôt celui d'un opposant à l'exécution du contrat. Néanmoins, des représentants d'autres ministères siégeaient autour de la table.

Ces positions ont-elles joué dans les résultats que nous avons obtenus ? Je l'ignore. Je constate seulement que, dès le mois de mai, après cinq allers-retours en Russie, nous sommes parvenus à définir les bases d'un accord possible : une résiliation à l'amiable, l'abandon de tout contentieux, le fait que la France serait pleinement propriétaire de ces bâtiments dès lors qu'elle aurait remboursé les sommes dues à la Russie et restitué un certain nombre de matériels considérés comme des matériels de souveraineté – les GFX – et, enfin, qu'elle serait libre d'exporter lesdits navires, son seul engagement étant d'en informer la partie russe.

Au départ, le montant demandé par les Russes était beaucoup plus élevé. J'ai évoqué le chiffre de 1,2 milliard d'euros ; or nous aboutissons à une somme de 949,7 millions que je détaillerai tout à l'heure. Les Russes exigeaient aussi que la possibilité de réexporter soit soumise à leur accord. Ces deux points ont été finalement clarifiés et, à partir du mois de mai, nous avons travaillé dans le cadre de groupes de travail plus techniques, qui ont associé plus étroitement les représentants des industriels, notamment de DCNS.

Nous avons abouti à l'architecture que vous avez présentée, madame la présidente : un accord intergouvernemental, un échange de lettres valant accord intergouvernemental qui fait l'objet du projet de loi qui vous est soumis, un avenant industriel, ainsi que divers textes de nature unilatérale émanant notamment de la partie russe, indiquant que celle-ci fera son affaire de l'indemnisation de l'ensemble des sociétés russes qui ont été associées à la réalisation de ce projet de coopération. Les deux accords ont été signés simultanément le 5 août 2015. L'accord intergouvernemental est, au fond, un document général, qui abroge l'accord de 2011 et qui reconnaît à la France la pleine propriété des bâtiments dès lors qu'elle aura payé son dû et restitué à la Russie ses matériels. L'échange de lettres précise les choses en affichant le montant de la transaction, en indiquant très clairement que la réexportation sera soumise à une simple obligation d'information, et non à une autorisation préalable, et en prévoyant l'extinction des contentieux.

Quant à la clause limitant les possibilités de contestation par un tiers, elle ne s'applique qu'à l'échange de lettres, et non à l'accord intergouvernemental. L'échange de lettres porte sur l'indemnisation par la France du préjudice subi par la Fédération de Russie et ne contient donc rien qui puisse faire grief à un tiers. Quant à l'accord intergouvernemental, il prévoit les règles de propriété, qui pourraient éventuellement être contestées par des industriels français ou russes ayant été associés à cette opération, étant entendu cependant que, d'une part, les Russes ont donné l'assurance qu'ils feraient leur affaire de l'indemnisation de leurs sociétés et que, d'autre part, pour faire valoir leurs droits à indemnisation, les entreprises françaises se fondent non pas sur l'accord international, mais sur le refus de délivrer les licences d'exportation qui les empêche d'exécuter leur contrat et qui constitue le fait générateur du sinistre.

S'agissant de l'avenant entre DCNS et ROE, il constate une situation de droit nouvelle, à savoir que la Fédération de Russie a été indemnisée et qu'elle fait son affaire des débours de la société russe et que, dès lors, il n'y a plus de question de droit financier entre les deux industriels. En outre, ce protocole prévoit la mainlevée des garanties bancaires et organise la restitution des équipements militaires GFX, en précisant les pénalités qui pourraient s'appliquer en cas de non-restitution ou de contentieux concernant cette restitution.

J'en viens à la question des coûts. J'ai lu beaucoup de choses à ce sujet dans la presse et, souvent, les journalistes ont additionné des chiffres hétérogènes. En réalité, ce qui restera supporté par le budget de l'État et ce qui restera supporté par la COFACE sont des montants différentiels.

La somme de 949,7 millions d'euros ne comporte ni frais financiers, ni pénalités, ni indemnisation. Rien que sur ce point, nous avons obtenu un résultat satisfaisant. Dès le départ, nous avons rejeté un certain nombre de demandes reconventionnelles des Russes, qui demandaient que l'on finance l'aménagement des quais de la base d'Ouliss à Vladivostok pour accueillir les BPC ou encore la navalisation des hélicoptères Kamov qui devaient être embarqués à bord. Nous avons dit aux Russes que nous étions disposés à rembourser les 893 millions d'euros qu'ils avaient versés à DCNS au moment de la conclusion de l'accord, ainsi que 56,7 millions d'euros correspondant aux frais de formation de leurs équipages pour les rendre opérationnels sur les BPC et aux coûts de développement de matériels spécifiques qu'ils avaient fournis gratuitement pour équiper les BPC. Nous nous sommes engagés à restituer ces matériels qu'ils considèrent comme des équipements de souveraineté, mais dont ils n'auront toutefois pas l'usage en l'absence de BPC. Il était normal que nous restituions les 893 millions avancés par les Russes dès lors que nous ne leur livrions pas les bâtiments. En réalité, seuls les 56,7 millions d'euros constituent une charge nouvelle.

Concernant les bâtiments, il s'agit d'un actif, qui figure dans les comptes de la DCNS et, pour partie, dans ceux de la COFACE – dans les opérations de cette nature, la COFACE est usufruitière des actifs, les industriels en gardant la pleine propriété. Là encore, il s'agit d'un montant différentiel. Par ailleurs, de manière exceptionnelle, les charges liées à la construction de ces bâtiments ont été « cofacées » à hauteur de 100 %, contre 95 % généralement, de façon à ce que tous les industriels soient indemnisés, y compris les sous-traitants.

Ensuite, j'entends parler des marges. Sur ce point, il y a une discussion entre DCNS et la COFACE, qui relève du secret des affaires. Je suppose que vous recevrez le président-directeur général de DCNS. La COFACE pourra sans doute indemniser comme frais généraux une partie de la marge de DCNS liée à son rôle en tant qu'architecte de système. En revanche, elle n'indemnisera pas la marge commerciale, laquelle n'est jamais assurée dans les mécanismes de la COFACE. Là aussi, j'ai vu que l'on ajoutait des éléments qui n'avaient pas à l'être.

Le montant « cofacé » est non pas de 1,2 milliard d'euros, montant initial du contrat, mais de 865 millions. À cela, la COFACE va ajouter l'indemnisation des frais de gardiennage, soit 1 million par mois pour chaque bateau, et l'indemnisation des frais généraux, qui est aujourd'hui objet de discussion avec l'industriel. Au total, le coût de la garantie de la COFACE pourrait atteindre 1 milliard d'euros. Mais il ne s'agit pas là du montant du sinistre éventuel, qui ne sera constaté qu'au moment de la revente des bâtiments par DCNS. Là encore, c'est un montant différentiel : la COFACE défalquera le prix de revente – qui sera public – du montant indemnisable en fonction de l'accord initial passé avec l'industriel.

On dit que cette opération va impacter le budget de l'État, la COFACE bénéficiant elle-même d'une contre-garantie de la part de l'État. Cependant, cela va l'impacter non pas comme une dépense, mais comme une moindre recette, au titre des sommes excédentaires que la COFACE reverse chaque année à l'État. Cette moindre recette ne sera supportée que lorsque la revente aura été effectuée et que le sinistre aura été constaté, peut-être en 2016 ou en 2017.

Enfin, je souhaite apporter des précisions concernant les sommes qui font l'objet de l'échange de lettres. Le programme 146 de la mission « Défense » a été ponctionné pour payer les Russes, mais il a été recrédité dans les trois jours des 893 millions que DCNS avait reçus et sera réabondé en fin d'année des 56,7 millions restants. L'opération est donc neutre pour le budget du ministère de la défense. En revanche, elle ne l'est pas pour le budget général de l'État, qui reste sollicité à hauteur de 56,7 millions cette année.

Les accords sont entrés en vigueur au moment de leur signature. Le même jour, nous avons signé l'accord intergouvernemental, l'échange de lettres, la mise en paiement et l'avenant industriel – les Russes ayant donné à ce moment-là la garantie que leurs sociétés seraient indemnisées, sans quoi ROE n'aurait pas signé ledit avenant. En droit interne, l'accord s'inscrit dans l'architecture de textes que vous avez évoquée, madame la présidente.

Le reste, ce sont des commentaires spéculatifs. Je rappelle que cet accord amiable a été recherché autant par les Russes que par les Français. Je suis assez satisfait de ce résultat et des équipes qui ont travaillé pour l'obtenir. Je mesure aussi que lorsqu'on signe un accord, on est deux : l'un des objectifs de la négociation était de faire en sorte que cette question ne devienne ni un irritant ni un facteur bloquant dans la relation franco-russe. Si les Russes ont signé l'accord, avec les conditions qu'il prévoit, c'est qu'ils ont considéré qu'ils étaient convenablement traités au regard de leurs intérêts étatiques et de la juste indemnisation du préjudice qu'ils auraient pu subir.

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