Intervention de Louis Gautier

Réunion du 8 septembre 2015 à 14h30
Commission des affaires étrangères

Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale :

Je suis désolé, peut-être n'ai-je pas été suffisamment précis. J'ai parlé de risque de préjudice lié au contentieux si l'on avait laissé jouer les règles d'arbitrage sans aller vers une négociation et une résiliation à l'amiable. Un arbitre aurait forcément constaté un préjudice. C'est ce que nous avons voulu éviter. Et c'est ce à quoi aboutit ce texte.

Il n'y a pas de « gâchis industriel », au contraire. Ainsi que je l'ai dit d'entrée de jeu, les deux BPC ont été construits. Les sociétés françaises sous-traitantes sont allées au terme de l'exécution du contrat et le bassin d'emploi a été préservé.

S'agissant des éléments de coût, j'ai bien distingué deux choses : le sinistre indemnisable par la COFACE, dont on ne connaîtra le montant qu'au moment de la revente, et l'impact pour le budget de l'État. Ainsi que cela apparaît dans les documents budgétaires, DCNS a restitué dans les trois jours au budget de l'État sur le programme 146 les 893 millions d'euros qu'elle avait reçus des Russes. Dans la mesure où elle bénéficie d'une garantie de la COFACE, elle n'allait pas conserver ces sommes en surplus. En outre, afin que l'opération soit neutre pour le budget de la défense, le programme 146 sera réapprovisionné à hauteur de 56,7 millions d'euros en fin d'année, selon un mécanisme qui reste à déterminer, peut-être dans le cadre de la loi de finances rectificative. In fine, il reste un peu moins de 57 millions d'euros à la charge du budget général de l'État, donc du contribuable français. Cette somme ne correspond pas à un préjudice. Ce terme ne figure d'ailleurs pas dans le texte des accords, qui prennent simplement acte du fait que la partie russe avait engagé des frais en surplus que nous lui avons remboursés.

Il ne m'appartient pas d'apprécier – j'ignore d'ailleurs qui pourrait réaliser cette pesée – les effets de la résiliation de ce contrat acceptée d'un commun accord sur l'ensemble de la politique commerciale de la France en matière d'armement. Je ne vais pas faire la liste de tous les contrats d'armement qui ont été signés depuis lors. Cependant, un certain nombre de chiffres parlent d'eux-mêmes : la France a vendu à la Pologne cinquante hélicoptères Caracal pour un montant compris entre 2,5 et 3 milliards d'euros. Je ne pense pas que cet achat aurait eu lieu si nous avions livré le premier BPC à la Russie à l'automne.

C'est non pas au regard de la situation d'aujourd'hui qu'il faut examiner les choses, mais au regard de celle qui prévalait le 15 octobre 2014 : les accords de Minsk, dont l'encre était à peine sèche, n'étaient pas encore appliqués. La France a alors pris la décision de ne pas procéder à la livraison du BPC et s'est donc exposée, d'un point de vue contractuel, à des revendications russes. Ainsi que je l'ai indiqué, si les accords intergouvernementaux nous avaient permis d'invoquer les circonstances pour déroger à nos obligations, nous aurions saisi cette possibilité. Mais cette possibilité n'existait pas.

Deux d'entre vous m'ont interrogé sur les transferts de technologie. Sur ce point, il y a un effet d'aubaine car l'accord intergouvernemental signé le 5 août 2015 vient combler un vide. Il protège en effet mieux la propriété intellectuelle des industriels français, notamment de DCNS, que dans le cadre précédent. Aux termes de l'accord de 2011, les Russes auraient conservé la pleine propriété sur les transferts de technologie qui leur avaient été consentis, d'autant qu'existait la perspective de réaliser deux autres BPC, option qu'ils ont décidé de ne pas exercer, en 2013. Avec l'accord de 2015, nous ne remettons pas en cause ces transferts de technologie, les Russes ayant eux-mêmes participé à la fabrication des bâtiments dans le cadre de cette coopération. En revanche, nous leur interdisons de transférer les licences et les connaissances qu'ils ont accumulées à l'occasion de ce travail en commun.

Pour ce qui est des prospects, je n'ai pas mandat sur la revente des navires. Cela relève de la compétence du ministère de la défense et de son délégué général pour l'armement. Ainsi que la presse s'en est fait l'écho, des démarches sont en cours avec Singapour, l'Égypte, l'Inde et le Canada. Certaines sont informelles, d'autres sont plus avancées. Il y aurait une certaine facilité à revendre les BPC aux Égyptiens ou aux Indiens – s'ils persévèrent dans leurs intentions – compte tenu du standard de leur flotte et de leurs habitudes de coopération avec la Russie. En effet, si le coût de la « dérussification » est faible, de l'ordre de 2,5 millions d'euros, celui de la remise aux normes des bâtiments peut être plus ou moins élevé en fonction du standard de la flotte du pays auquel nous allons les vendre : il sera moindre s'il s'agit d'une flotte dont le standard est proche ou compatible avec les exigences techniques russes que s'il s'agit d'un standard de type OTAN.

La facture finale dépendra des coûts de gardiennage, du coût de démontage – faible, donc –, du coût d'adaptation au standard du client – variable, ainsi que je viens de l'expliquer – et de la décote éventuelle – mais non certaine - lors de la revente, que certains d'entre vous ont évoquée. C'est en déduisant l'ensemble de ces coûts du montant « cofacé » que l'on constatera l'importance du sinistre.

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