Intervention de Jacques Rapoport

Réunion du 12 décembre 2012 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Rapoport :

Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les parlementaires, de bien vouloir me consacrer du temps.

Je suis donc candidat à la présidence de RFF et j'envisage, si l'on me fait confiance, de placer l'action de l'entreprise dans un cadre très clair et très simple : permettre au système ferroviaire français de faire face aux immenses défis auxquels il est confronté.

Il n'est certes pas question de prétendre que de grandes choses n'aient été accomplies dans le passé, bien au contraire. L'histoire du système ferroviaire français date de près de deux siècles, de 180 ans exactement. L'un des tous premiers au monde, il est porteur d'une histoire fantastique et d'une tradition merveilleuse. Vecteur d'un professionnalisme hors pair, il a connu ces dernières années de grands succès comme le réseau TGV notamment, qui est le plus important de la planète. Le développement des transports de proximité a également pris un nouvel essor depuis l'intervention des régions, lesquelles ont investi considérablement dans ce domaine.

Les succès passés ne doivent pas nous empêcher de relever les défis à venir ou qui sont déjà devant nous, bien au contraire. Selon moi, ils sont de trois ordres.

Premier défi : des besoins d'investissement considérables.

La rénovation, tout d'abord. Depuis 2005 et l'audit de l'Ecole polytechnique de Lausanne, nous savons que notre réseau ferroviaire a vieilli, ce qui est tout à fait normal, et qu'il nécessite donc des investissements de renouvellement et de régénération très importants, lesquels sont d'ailleurs déjà en cours.

La modernisation, ensuite. Nous pouvons intensifier l'utilisation du réseau en faisant en sorte qu'un plus grand nombre de trains circule sur la même infrastructure grâce à un équipement technique de contrôle de commande des trains qui s'est considérablement modernisé suite à l'introduction de nouvelles technologies. Le développement des réseaux passe également par les nouvelles lignes, dont chacun connaît l'importance.

Deuxième défi : de graves déséquilibres financiers.

La dette de RFF dépasse 30 milliards d'euros cette année, celle de la SNCF étant bien moindre même si elle s'élève à plusieurs milliards. Toutes les projections financières qui ont été longuement examinées dans le cadre des Assises du ferroviaire ont montré qu'elle ne pouvait que s'accroître. De plus, 1 à 1,5 milliard font chaque année défaut à RFF pour couvrir les charges normales d'entretien et de gestion de l'infrastructure.

Troisième défi, enfin : l'ouverture à la concurrence.

Aujourd'hui, le fret et le transport international de voyageurs sont des secteurs concurrentiels mais, en 2019, ce sera également le cas de l'ensemble du transport de voyageurs. Or, dans un système ferroviaire de la dimension et de la complexité que nous connaissons, 2019, c'est demain. C'est donc maintenant que nous devons préparer l'ouverture à la concurrence.

Je suis évidemment très sensible à la confiance que le Gouvernement m'accorde en me proposant pour cette importante et difficile fonction qu'est la présidence de RFF. Si vous-mêmes et le Président de la République la confirmez, je compte exercer ma mission avec détermination et persévérance. Cela vous semblera banal mais, au fond, je ne crois pas que cela soit le cas.

Détermination, parce que face à de tels défis, la voie de la facilité consiste à laisser filer l'endettement et à laisser le réseau vieillir doucement. A court terme, il peut être en effet commode de ne pas relever les défis dont on ne s'avise pas immédiatement de l'importance. Les années passent, et la situation se dégrade vraiment. Il faut donc faire montre de détermination afin d'engager sans délai les actions nécessaires.

Persévérance, ensuite, parce que nous connaissons la lourdeur du système ferroviaire français. Ce n'est pas par des coups d'éclat ou des effets d'annonce que le problème sera traité mais par des actions continues dans la durée, pendant des décennies.

Exercice délicat, il m'appartient également de valoriser mon parcours.

J'ai toujours travaillé au sein du service public, dans l'administration des finances et l'administration sociale - dont je garde en particulier un souvenir très fort -, à la RATP, où j'ai exercé pendant quinze ans des fonctions financières et, surtout, opérationnelles à la tête du métro et des services techniques. J'ai eu en effet l'immense privilège de diriger les ingénieurs de cette entreprise qui, comme ceux de RFF et de la SNCF, je n'en doute pas, sont des gens formidables. J'ai aussi exercé des responsabilités en province, dans le domaine des transports, en l'occurrence à Lyon Keolis. Depuis cinq ans, enfin, je suis en charge du réseau des bureaux de poste, que j'ai essayé de transformer et d'améliorer.

J'ai donc une bonne connaissance du transport public, en particulier quant à sa dimension technique et humaine – je songe au service aux voyageurs et à la gestion sociale de cette population extrêmement attachante qu'est celle des travailleurs des transports.

Dans la fonction que j'occupe à La Poste, j'ai acquis une vision territoriale des problèmes qui se posent. J'ai également pris conscience du rôle des élus territoriaux ainsi que des enjeux d'équilibre et de préservation des territoires fragiles.

Je souhaite maintenant dire quelques mots sur le travail qui a été effectué ces dernières années.

Je connais le président Hubert du Mesnil depuis longtemps. Sous son mandat, depuis cinq ans, l'entreprise RFF et l'ensemble du système ferroviaire ont accompli des progrès considérables. M. du Mesnil a joué un rôle majeur dans la prise de conscience de la nécessité d'accélérer l'entretien du réseau. Il n'est certes pas le seul mais ses connaissances, ses compétences et son autorité ont beaucoup pesé dans la décision qui a été prise de doubler le rythme de rénovation. Ce doublement, comme l'a montré l'Ecole polytechnique de Lausanne, était absolument indispensable et le demeure puisque la mise à jour de l'étude réalisée montre qu'il est encore nécessaire non seulement de poursuivre les efforts engagés mais de les accentuer.

M. du Mesnil a également joué un rôle essentiel dans le lancement des quatre lignes TGV nouvelles actuellement en travaux.

J'insiste sur un élément, sans doute moins évident que les précédents, mais qui a considérablement contribué à la préparation de l'ouverture à la concurrence : le développement de la régulation, à travers la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires (ORTF) et la création de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), dont le rôle est et sera de plus en plus important tant d'autres développements sont nécessaires dans le domaine de la régulation. M. du Mesnil a joué un rôle majeur afin de convaincre chacun de la nécessité de mettre en place des régulateurs indépendants qui garantissent le bon fonctionnement des différentes structures et la performance technique de notre réseau.

Il a aussi contribué à renforcer le rôle des régions, autorités organisatrices territoriales dont le rôle est aujourd'hui reconnu par tous comme éminent et probablement appelé à se développer encore dans le cadre de la réforme en cours.

Enfin, pendant ces dernières années et ces derniers mois, M. du Mesnil a beaucoup milité en faveur d'une évolution structurelle fondamentale du système via la création d'un gestionnaire d'infrastructure unifié (GIU) dont M. le ministre des transports a donné le coup d'envoi le 30 octobre dernier.

Les défis sont donc considérables mais le travail fondateur de M. du Mesnil facilitera la tâche de son successeur.

Je tiens maintenant à insister sur quelques points qui me paraissent essentiels pour l'avenir.

Le premier d'entre eux, j'y ai fait allusion, est l'annonce faite le 30 octobre par M. le ministre des transports d'une réforme profonde du système. Nous savons fort bien, comme l'ont d'ailleurs montré les Assises du ferroviaire, que la séparation entre un gestionnaire d'infrastructures qui ne détient pas les moyens opérationnels de sa mission et un gestionnaire délégué d'infrastructures qui détient ces moyens-là mais pas la capacité de décision, constituait un facteur de « frottement » et d'insuffisantes performances. La mise en place du GIU constitue évidemment l'enjeu principal du travail du futur président de RFF.

On parle beaucoup de cette réforme, de ses objectifs, de son sens. Elle a selon moi deux fondements essentiels.

Le premier : le système ferroviaire français repose sur près de deux siècles de fortes et magnifiques traditions avec un niveau de professionnalisme, de maîtrise technique et d'implication des personnels de toutes catégories hors pair. Il revendique une seule place : la première. Cela me semble un point fondamental qu'il convient de préserver et de développer. Ce pôle d'excellence doit être conforté.

Le second : il faut aller plus loin dans le sens d'une amélioration de la performance du système ferroviaire tant en ce qui concerne les voyageurs – nous savons fort bien qu'ils pâtissent de nombreux incidents – que sur les plans technique – nous pouvons intensifier l'utilisation de notre réseau – et économique – le poids de la dette est terrible et nous devons rechercher tous les moyens afin de maîtriser les éléments financiers de notre système.

M. le ministre a donc annoncé une unification du gestionnaire d'infrastructures qui s'inscrit, a-t-il ajouté, dans le cadre d'un pôle public unifié (PPU) rattaché à la SNCF – ce que l'on a appelé d'une manière fort peu poétique « le GIU dans le PPU ».

Les deux logiques d'intégration et d'unification – non de division et de subordination – ont du sens. L'infrastructure, je l'ai dit, constitue une fonction essentielle du système ferroviaire, même si elle est loin d'être la seule, et elle doit être placée sous une responsabilité intégrée, aux deux sens du terme : la responsabilité des résultats obtenus et la mise à disposition des moyens et des leviers lui permettant d'être effective – d'où la perspective d'unification de SNCF Infra et de la Direction de la circulation ferroviaire avec RFF.

Si l'on n'y prend garde, une telle évolution pourrait conduire à une forme de fracture et de séparation entre l'infrastructure et les circulations ferroviaires. Comme j'ai pu le constater de très nombreuses fois lorsque j'exerçais des responsabilités au sein de la RATP, il n'existe pas de séparation claire et nette entre les trains qui circulent et l'infrastructure qui les porte. Les systèmes ferroviaires sont intégrés « solbord » avec des réseaux radio qui permettent la circulation de l'information entre l'un et l'autre. Considérer qu'il est possible de séparer l'infrastructure fixe et les circulations de trains est une vue de l'esprit qui ne correspond en rien à la réalité opérationnelle du système. D'où cette notion de PPU qui vise à conférer à la SNCF, forte de ses traditions, de son savoir-faire, de ses capacités techniques et de son dynamisme, la possibilité d'assurer la cohérence de l'ensemble entre les trains qui circulent – ce qui relève de la responsabilité de l'opérateur ferroviaire – et les infrastructures fixes qui, quant à elles, relèvent de celle de RFF.

Outre cet élément technique essentiel, la notion de PPU comporte un aspect social : dès lors que les cheminots seront répartis dans deux structures, il est nécessaire de bénéficier d'un pilotage social intégré. Dans l'esprit du ministre et dans le mien, il n'existe qu'un statut des cheminots, quelle que soit l'entreprise dans laquelle ils travaillent. M. le ministre a confié à M. Jean-Louis Bianco une mission visant à approfondir cette question et à en définir les éléments pratiques. M. Jacques Auxiette, président de la Région Pays de la Loire, est quant à lui chargé de définir le nouveau rôle qui pourrait être dévolu aux régions dans le développement du système ferroviaire.

En ce qui concerne RFF, le ministre a défini un certain nombre de chantiers et de priorités à mettre en oeuvre.

Tout d'abord, il s'agit de participer à la définition du GIU placé au sein du PPU rattaché à la SNCF. M. Guillaume Pepy, pour la SNCF, et les responsables de RFF apportent donc tout leur concours à la mission de M. Jean-Louis Bianco. La demande de M. le ministre est très précise et je suis très serein quant à notre capacité à y répondre : nous formulerons bien des propositions conjointes. Les deux opérateurs contribueront à l'élaboration du projet de loi sur lequel travaille M. Jean-Louis Bianco.

Compte tenu des procédures et des délais, la future loi devrait être applicable en 2015. Or, le système ferroviaire ne pouvant pas attendre, des progrès immédiats doivent et peuvent être accomplis en matière de coordination entre le transport et l'infrastructure mais aussi d'harmonisation sociale, de gestion du trafic et des incidents, d'immobilier et d'achats. Un grand nombre de secteurs relevant du PPU peuvent donc être développés immédiatement.

Je sais que bien des débats ont eu lieu entre RFF et la SNCF. J'ai rencontré M. Guillaume Pepy, que je connais d'ailleurs depuis fort longtemps, et je suis absolument serein : nous serons en mesure de formuler des propositions sur les deux plans, et quant à la contribution à la mission de M. Jean-Louis Bianco sur la réforme elle-même, et quant à l'accentuation, d'ores et déjà active, de la coopération dans les deux sens que je viens d'indiquer.

En outre, le futur président de RFF devra poursuivre et accélérer le plan de rénovation et de modernisation du réseau. Au printemps prochain, il devra présenter au Gouvernement un grand plan pluriannuel en ce sens.

J'insiste sur la distinction entre rénovation et modernisation car certaines infrastructures ont besoin d'être renouvelées et d'autres, rénovées. Les techniques, en effet, diffèrent selon le type d'équipements permettant d'assurer la pérennité des ouvrages et leur bon fonctionnement.

La modernisation, quant à elle, doit favoriser une meilleure circulation du fret, lequel passe aujourd'hui après le transport de voyageurs. Il est possible d'améliorer les possibilités de circulation des trains de fret en modernisant les équipements de contrôle-commande de manière à accroître la « productivité du capital », en faisant passer plus de trains sur la même infrastructure, ce qui nécessite le renouvellement des équipements ferroviaires avec des techniques modernisées. Cela a un coût, certes, mais c'est aussi une opération très importante.

Le problème n'est donc pas seulement de savoir si l'on procède d'abord à l'entretien du réseau ou à son développement. Il s'agit aussi de savoir si l'on procède à un entretien « point » ou à un entretien « modernisation ». En ce qui me concerne, je suis un ardent partisan de la modernisation, qui permet une meilleure utilisation des infrastructures existantes et de développer le trafic à un coût bien moindre. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas créer, parallèlement, des lignes nouvelles, mais il est possible d'améliorer la situation à partir du réseau existant.

J'ai conscience que dans le cadre de cette politique de rénovation et de renouvellement, les priorités doivent être bien définies. Des besoins considérables existent dans les zones très circulées, notamment en Île-de-France, où les travaux sont encore plus difficiles qu'ailleurs. Il est également nécessaire de préserver les équilibres du territoire et la possibilité d'être présent partout car le transport ferroviaire constitue un élément important de l'aménagement du territoire.

Enfin, l'ouverture à la concurrence, définie par l'Union européenne et la France, est en ligne de mire. Elle peut être la pire et la meilleure des choses.

La pire des choses, si elle n'est pas règlementée : le dumping sera dans ce cas-là au rendez-vous sur un plan social, certes, mais aussi sur un plan technique. « Demain, ça roule, et dans cinq ans, nous verrons bien ce qui se passera ! ». Une telle situation s'est produite très souvent dans les pays où des opérateurs privés ont réalisé de sympathiques résultats jusqu'au jour où des dépenses considérables sont devenues nécessaires parce que les travaux essentiels visant à pérenniser le système n'ont pas été assurés.

En revanche, la concurrence peut-être la meilleure des choses si elle est régulée via des autorités comme l'ARAF, si des règles garantissent l'équité tant sur le plan technique, en prescrivant un certain nombre d'activités d'entretien et de règles, que sur le plan social. D'où la détermination du Gouvernement et de RFF à élaborer un cadre social harmonisé permettant d'assurer une telle concurrence.

RFF est un acteur essentiel du développement et des lignes nouvelles, lesquelles font l'objet de débats très importants puisque les enjeux financiers sont considérables.

En l'occurrence, il importe de maîtriser la pertinence du calcul économique éclairant les décideurs. Les méthodes sont connues mais, en fonction des évaluations de trafics réalisées, on peut toujours dire ce que l'on veut. Il importe donc de disposer d'organismes s'assurant de la pertinence économique des travaux effectués dans ce domaine.

Le financement de projets peut également constituer un outil permettant de ne pas accroître la dette et, surtout, de maîtriser les risques inhérents à ces projets en les faisant partager avec les financeurs de manière à ce que les collectivités ou les entreprises publiques ne soient pas les seules à les supporter. Là encore, ce chantier doit être poursuivi et RFF devra y contribuer.

Nous devons réaliser d'importantes transformations de l'ensemble de notre système institutionnel en matière de priorités d'action, le système ferroviaire constituant un service public essentiel pour l'équilibre de notre territoire et pour satisfaire les besoins de la population. Nous devons garder à l'esprit… cet esprit de service public.

Après quinze ans passés à la RATP – nous sommes très fiers d'être le premier transporteur urbain au monde – je puis témoigner que la France possède une excellence ferroviaire, laquelle doit être préservée et développée. Nous disposons des moyens permettant de garantir la pérennité de notre système ferroviaire et de sa réussite dans le contexte concurrentiel à venir.

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