Intervention de Lise Jacquez

Réunion du 5 décembre 2012 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Lise Jacquez, doctorante en sciences de l'information et de la communication :

Basant notre étude sur les médias de proximité, nous avons sélectionné le quotidien L'Indépendant, l'hebdomadaire La Semaine du Roussillon et la Clau, média transfrontalier en ligne qui cible l'actualité en Catalogne nord et sud. Souhaitant analyser l'information la plus accessible aux jeunes, nous avons également étudié les reportages télévisuels puisque taper « La Jonquera » sur Internet donne accès à des extraits d'émissions diffusées par M6, Direct 8 ou TF1.

Le phénomène prostitutionnel est plus souvent abordé par les chaînes nationales que par les médias locaux. Le journal L'Indépendant lui a consacré près de 70 articles entre 2010 et 2012. Si 35 de ces articles s'intéressent à la Jonquera, tous sont liés à l'ouverture du Paradise, le plus grand des clubs de la ville. Paradoxalement, les médias locaux donnent moins de détails sur le fonctionnement de ces clubs, et L'Indépendant est le seul à avoir adopté un point de vue distancié en laissant la parole aux militants abolitionnistes et féministes. Cela dit, tous les médias ont une attitude ambiguë face au phénomène prostitutionnel.

En ce qui concerne les médias télévisés, M6 a consacré deux reportages à la Jonquera, dans l'émission Enquête exclusive et dans un reportage sur la prostitution en 2011 et 2012 ; la chaîne Direct 8 a présenté une émission en 2011. France 4, dans le cadre de l'émission Génération reporter, a présenté un reportage sur les jeunes et la prostitution, sous un angle que l'on pourrait presque qualifier de sociologique.

Les médias évoquent les lieux de prostitution comme des lieux à part, en donnant à la frontière une fonction narrative fondamentale. Il s'agit pour les clients d'entrer dans un monde où tout est permis, un monde où ne s'appliquent pas les mêmes règles qu'en France, un monde traversé par des flux, un monde anarchique et symptomatique de la mondialisation et potentiellement un monde de violence. C'est toute l'ambiguïté du discours médiatique, surtout de la télévision, qui présente les aspects festifs de ces lieux à travers le point de vue des clients et des images fournies par le directeur du club, ravi de cette action de communication. La caméra suit donc le client dans la chambre et les femmes sont présentées de façon sensationnaliste. Selon un journaliste que nous avons rencontré, les numéros les plus vendus de La Semaine du Roussillon sont ceux qui contiennent un article sur la prostitution à la frontière et présentent en couverture la photo d'une prostituée.

Les médias abordent également la thématique des trafics et des violences, d'où un discours tendu entre valorisation des lieux et critique des trafics, entre logique libérale et consumériste et exploitation des femmes.

Je voudrais pour conclure vous présenter les différentes figures abordées dans les médias, en commençant par les pouvoirs publics. Ceux-ci sont quasiment absents dans les journaux français, ce qui peut se comprendre puisque le phénomène se déroule de l'autre côté de la frontière. Les journalistes de la télévision, en montrant ce qui se passe ailleurs – en particulier en Belgique et en Espagne – alimentent le débat public sur la réglementation de la prostitution. Quant aux pouvoirs publics espagnols, les médias français les présentent comme des organes démunis et impuissants face à ce phénomène endémique qu'est la prostitution de rue.

Les médias concentrent leurs articles sur la prostitution en club. Pour eux, les prostituées de rue n'existent pas. Le seul point de vue que nous ayons obtenu sur ces personnes est celui de la police. Les prostituées de rue ne sont pas considérées comme des victimes mais comme des parasites, assimilées aux vendeurs à la sauvette, tandis que les prostituées en club sont soit des objets de désir, soit des victimes. Seule la chaîne M6, car Bernard de la Villardière est un militant abolitionniste, ose évoquer la culpabilité des pouvoirs publics – accusés de s'enrichir sur le dos des prostituées.

Si la figure de la prostituée oscille entre objet de désir et victime, la figure du client, en revanche, n'est absolument pas critiquée. Les médias français critiquent la réglementation de la prostitution et déplorent le statut de victime des prostituées, leur discours s'apparentant alors au discours abolitionniste, mais ils ne critiquent jamais le client et ne présentent jamais le recours à une sexualité tarifée comme un acte problématique.

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