Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur – cher Michel Vauzelle –, chers collègues, je voudrais à mon tour replacer l’accord sur la cessation du contratMistral dans le cadre plus général de nos intérêts diplomatiques et politiques.
Les partisans de la livraison des bâtiments de projection et de commandement invoquent un argument que je trouve assez surprenant : celui de la crédibilité de l’offre française en matière d’armement. Selon eux, la parole de la France serait atteinte, voire ruinée parce que nous ne mettons pas en exécution le contrat. Le niveau exceptionnel atteint par les commandes d’armement à la France depuis un an suffit à démontrer en pratique le manque de pertinence de cet argument. Le président de DCNS, M. Guillou, que notre commission a auditionné, a confirmé qu’il ne constatait aucune difficulté de cette nature dans les négociations commerciales qu’il mène.
Mais il est vrai que la question de la crédibilité est essentielle pour la politique étrangère d’un pays. Aujourd’hui, la France est un pays qui compte, malgré le recul relatif de son poids économique et démographique, parce qu’elle a une politique étrangère qui lui est propre, une voix et donc une image différente. Ce poids, monsieur le ministre, s’est accru sous votre conduite et celle du Président François Hollande.
Si cette politique étrangère se démarque et se remarque, c’est parce qu’elle obéit à quelques constantes : la volonté de construire un ordre international fondé sur le droit ; l’engagement pour la paix, même s’il faut prendre des risques et parfois payer le prix du sang ; la fermeté, qui n’exclut pas la volonté de dialogue ; l’engagement pour l’Europe, une Europe qui ne soit pas seulement une zone de libre-échange, mais qui soit aussi une construction politique.
Au regard de ces engagements, pouvions-nous livrer les bâtiments de projection et de commandement à la Russie après l’annexion de la Crimée, alors que ce type d’annexion brutale et unilatérale est tellement contraire à tous les engagements internationaux que c’est – heureusement – un événement exceptionnel dans le monde d’après 1945 ? Pouvions-nous les livrer et prétendre continuer à promouvoir une Europe de la défense auprès de nos partenaires européens du nord et de l’est qui sont inquiets de l’évolution de la politique russe ? Pouvions-nous les livrer et rester dans une position de médiation crédible dans le conflit du Donbass, comme nous le sommes avec l’Allemagne dans le cadre du processus de Minsk, qui, heureusement, bien que difficilement, produit ses premiers résultats, grâce à l’initiative prise depuis la Normandie par le Président Hollande ? A chacune de ces questions, la réponse est non.
Certains objectent que ne pas livrer les BPC n’impliquait pas de chercher à dénouer immédiatement le contrat. Les travaux que nous avons menés au sein de la commission des affaires étrangères laissent penser au contraire qu’une sortie contentieuse par la voie d’arbitrages internationaux aurait été longue, incertaine et sans doute extrêmement coûteuse – cela nous a été confirmé par M. Guillou. C’est un fait que l’accord politique et le contrat commercial initial, qui, comme le ministre l’a rappelé, a été conclu entre 2008 et 2011, n’ont pas été négociés en tenant compte des risques politiques que faisait courir la Russie à la stabilité de l’Europe. Ils ne comportaient pas de clause de dédit politique, prévoyaient de lourdes pénalités en cas de retard ou d’inexécution et même une garantie formelle de bonne fin donnée par le gouvernement français d’alors. Étant donné ce que l’on savait de la Russie, au lendemain de sa guerre avec la Géorgie, peut-être aurait-on dû être plus prudent. Toujours est-il que le résultat était un risque contentieux majeur.
En dehors du risque financier, il y avait une autre raison évidente, beaucoup plus politique, de rechercher un dénouement amiable et rapide. Il s’agissait de libérer notre diplomatie de ce dossier qui aurait durablement empoisonné nos relations avec plusieurs pays, aussi bien certains de nos partenaires européens inquiets de la politique russe que la Russie elle-même.
Toutes les auditions l’ont confirmé : la négociation de l’accord avec la Russie s’est déroulée dans de bonnes conditions, bien que la partie russe, de fait, ait été – du moins au début – en position de force. Effectivement, un accord raisonnable a pu être trouvé rapidement. Je vois dans cette bonne volonté russe le même désir que le nôtre de solder un dossier difficile pour permettre à notre relation bilatérale de rester aussi bonne que la situation internationale le permet. C’est pourquoi je ne comprends pas ceux qui s’opposent à l’accord du 5 août en se disant amis de la Russie. Car, sauf à livrer les navires, ce qui n’était pas possible, ne pas dénouer le contrat et aller vers une solution contentieuse aurait sans doute servi les intérêts financiers de la Russie, si toutefois elle avait obtenu un arbitrage favorable, mais certainement pas ses intérêts politiques qui sont de garder, malgré les difficultés, les meilleures relations possible avec les grands pays européens, en premier lieu avec la France, compte tenu de l’amitié ancienne qui lie nos deux pays.
J’espère que cet accord obtenu finalement assez aisément permettra tout à la fois de consolider notre amitié avec la Russie et de développer dans le même temps des liens amicaux, politiques, économiques, et même dans le domaine de l’armement, avec des pays tels que la Pologne.