Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis le début de la crise ukrainienne, nous avons assisté, s’agissant de la vente des Mistral, à une valse-hésitation, jusqu’à l’annonce, le 5 août dernier, par le Président de la République, de l’annulation de l’accord du 25 janvier 2011. Cette annonce sonnait la fin d’une affaire qui a perturbé les relations franco-russes durant plusieurs années et suscité la désapprobation de certains de nos partenaires européens.
Mes chers collègues, sur ce dossier éminemment complexe, tant sur le plan politique que commercial, notre propos se doit d’être nuancé. Véritable bijou de technologie militaire, le bâtiment de projection et de commandement est le bâtiment le plus impressionnant de la flotte française, après le porte-avions Charles-de-Gaulle. D’une longueur de 199 mètres, ces navires de guerre polyvalents peuvent transporter 450 hommes de troupe, seize hélicoptères, soixante-dix blindés, deux blocs opératoires et accueillir un état-major complet. Détenir ce fleuron de la construction navale est pour un pays, quel qu’il soit, un atout indéniable.
L’annulation de la vente de ces bâtiments à la Russie est, dès lors, un acte fort et lourd de conséquences. Sur le plan politique et diplomatique, on peut craindre qu’une telle décision ne remette en cause la parole même de la France et ne mette en jeu la crédibilité diplomatique de notre pays et son image à l’international. Sur le plan financier, nous savons combien les exportations jouent un rôle important pour notre industrie. Cet accord de cessation touche aux intérêts économiques vitaux de notre pays et pourrait fragiliser l’ensemble des contrats d’armement en cours de discussion : je pense notamment à la vente d’avions Rafale.
Cependant, mes chers collègues, le contexte international n’a rien de semblable à celui qui entourait la signature de l’accord entre nos deux pays, en janvier 2011. Bien évidemment, à l’heure où Russes et Français s’accordaient sur la nécessité de cette vente, la livraison de ces navires à Moscou n’allait pas de soi. L’ensemble de nos partenaires européens souhaitaient créer les conditions d’une relation nouvelle entre la Russie et les pays occidentaux, estimant que le destin de l’Europe se jouait en partie dans ses rapports avec la Russie. La vente desMistral répondait à cet objectif de nouer un partenariat stratégique avec la Russie. En outre, les chantiers navals de Saint-Nazaire étaient dans une situation très difficile.
Avant d’envisager pour la première fois, en mars 2013, l’annulation de la vente, François Hollande n’avait d’ailleurs pas remis en cause l’accord prévoyant initialement la livraison des deux bâtiments en novembre 2014 puis en novembre 2015. Nous n’étions pas encore en présence de ce que la position commune du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008 définit comme « un risque manifeste que le destinataire envisagé utilise l’exportation de technologies et d’équipements militaires de manière agressive contre un autre pays ou pour faire valoir par la force une revendication territoriale. »
Aujourd’hui, la situation internationale est autre. La France s’est engagée dans les négociations afin de trouver une solution politique à la crise en Ukraine. Cela étant, la situation est loin d’être réglée et les sanctions décidées par le Conseil de l’Union européenne en juillet 2014 restent en vigueur. Pour une nation comme la nôtre, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, maintenir cette vente serait un mauvais signal, à la fois pour nos alliés d’Europe centrale, à l’heure où nous affichons notre volonté de construire une véritable Europe de la défense, et pour la Russie, pour qui le maintien de la vente pourrait signifier que nous approuvons son comportement. Dans un tel contexte, nous ne pouvions pas maintenir éternellement la suspension de la livraison du Vladivostok, décidée par le Président en septembre 2014, peu avant le sommet de l’OTAN.
Au-delà de la question de l’opportunité d’annuler cette vente, se pose désormais celle du contenu de l’accord, que nous devons examiner aujourd’hui dans cette assemblée. Quelles en seront les conséquences juridiques, économiques et financières ? Cet accord est avant tout une solution amiable, qui permet de régler l’ensemble des questions liées à la non-livraison des bâtiments de projection et de commandement. Chaque partie renonce à former quelque recours que ce soit à l’encontre de l’autre partie, notamment en matière de droit de propriété ou sur le plan financier. Le règlement à l’amiable entre les deux gouvernements permet d’éviter les frais importants liés à une éventuelle procédure arbitrale interétatique.
En outre, l’accord dont nous discutons permet de protéger la propriété intellectuelle des informations et technologies échangées entre la France et la Russie. Il précise, en effet, que les parties ne pourront transférer à des tiers, sous quelque forme que ce soit, les savoir-faire et transferts de technologies reçus de l’autre partie, sans l’accord préalable de celle-ci. Cette clause permet ainsi de se prémunir contre toute dissémination des technologies et savoir-faire français.
Ensuite se pose la question du coût de l’annulation de cette vente. L’accord prévoit le versement par la France à la Russie d’une somme de près de 950 millions d’euros à titre de compensation, qui correspond à la restitution des sommes avancées par la Russie, soit 893 millions d’euros, et à des dépenses occasionnées par la formation des équipages et le développement de matériels spécifiques par la Russie, soit 56,7 millions d’euros.
Cependant, quelques zones d’ombre subsistent. Nous ignorons le coût du démontage du matériel russe. En outre, une stipulation précise que l’application de cet accord n’ouvre aux tiers aucun droit à indemnisation, afin de prévenir l’éventuel développement de contentieux de la part de certaines sociétés commerciales. Toutefois, l’étude d’impact révèle que cette clause n’a pas pour effet de priver les sociétés françaises d’un droit à indemnisation. Ainsi, les industriels ne supporteraient pas de conséquences économiques à la suite de l’annulation de ce contrat. Pourrions-nous avoir davantage de précisions à ce sujet ?
Enfin l’entretien des Mistral a, lui aussi, un coût. Hervé Guillou, président-directeur général de la société DCNS, spécialisée dans l’industrie navale militaire, avait annoncé, en juillet dernier, que la société dépensait au moins un million d’euros par mois pour entretenir les porte-hélicoptères. Ces coûts pourraient encore augmenter si les Mistral étaient immobilisés suffisamment longtemps pour qu’un remplacement d’une partie de leurs systèmes à bord devienne nécessaire. La France devra donc rapidement trouver des acquéreurs.
Par cet accord, la Russie reconnaît qu’elle n’exerce aucun droit de propriété sur les bâtiments. En outre, sous réserve du versement des sommes prévues et de la restitution à la Russie des fournitures gouvernementales russes reçues pour la construction des deux navires, la France est libre de revendre les bâtiments à un État tiers, après simple information préalable de la partie russe.
L’accord offre donc les garanties juridiques nécessaires à cette revente, dont nous savons qu’elle intéresse quelques pays, notamment l’Égypte, avec le financement de l’Arabie Saoudite.
Mes chers collègues, dans un contexte international particulièrement tendu, il serait dangereux de provoquer un autre désaccord.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI ne s’opposera pas à ce projet de loi.