Intervention de Hervé Guillou

Réunion du 15 septembre 2015 à 14h30
Commission des affaires étrangères

Hervé Guillou, président-directeur général de DCNS :

Je suis heureux d'avoir l'opportunité de faire le point devant vous sur la vision des industriels à ce sujet.

Il convient d'abord de rappeler l'histoire de ce dossier pour comprendre le déroulement des opérations et leur dénouement financier.

Tout commence en janvier 2011 par la signature d'un accord intergouvernemental (AIG) relatif à la construction de BPC, suivie, six mois après, par celle d'un contrat entre DCNS et Rosoboronexport (ROE), une société de droit russe ayant une licence d'importation et d'exportation de matériel militaire. Ce contrat entrait en vigueur le 1er novembre.

Ces dates ne sont pas sans importance au regard de l'analyse du contentieux et des discussions sur l'indemnisation de DCNS, car elles montrent que l'acte politique a largement précédé l'acte commercial. Il s'agissait d'abord d'une coopération franco-russe de gouvernement à gouvernement suivi par un acte contractuel.

De plus, le contenu de cet accord dépassait celui des accords habituels de gouvernement à gouvernement, puisque le Premier ministre, dans sa lettre de juin 2011, s'engageait à ce que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour que DCNS respecte et exécute ce contrat dans son intégralité.

En outre, le contrat commercial que nous avons avec ROE, qui est la déclinaison du contrat intergouvernemental, a été négocié sans compétition. D'ailleurs, DCNS et l'État ont été ensemble à toutes les étapes de la discussion.

Ce contrat prévoyait pour un montant de 1,12 milliard d'euros la fourniture de deux BPC – montant qui s'est ensuite élevé à 1,2 milliard en raison de l'ajout de quatre chalands de transport de matériel (CTM) et deux Landing Catamaran (L-CAT®), fabriqués par CNIM.

L'AIG prévoyait aussi – ce qui a été repris dans le contrat sous forme d'option – une licence pour construire des BPC supplémentaires sur place, avec un montant forfaitaire de 30 millions d'euros plus la fourniture exclusive par DCNS d'équipements pour la construction en Russie de deux BPC, tout en apportant toutes les garanties nécessaires pour faciliter le transfert de technologies et la documentation.

Le 21 septembre 2012, au début de la construction du premier bateau, a été signée la police d'assurance de la COFACE, qui était standard, avec un taux de couverture des coûts de 95 % – la police de la COFACE ne remboursant pas les marges, mais seulement les coûts.

La coopération avec la Russie a été exemplaire : beaucoup d'ouvriers français se sont rendus dans ce pays et beaucoup de marins russes sont venus en France. Nous avons, le 3 septembre 2014, présenté le premier bateau aux essais à la mer avec pratiquement un mois d'avance. Ce contrat s'exécutait tout à fait normalement quand, quasiment le même jour, dans le contexte d'annexion de la Crimée par la Russie, le Président de la République a indiqué que les conditions ne semblaient pas réunies pour la livraison du premier bâtiment, le Vladivostok.

La livraison était prévue contractuellement le 1er novembre, puis le 14 novembre, et, le 24 novembre, le Gouvernement a notifié à DCNS sa décision d'ajourner l'examen de la licence d'exportation de ce bâtiment.

DCNS s'est alors trouvée dans une situation compliquée : il nous a fallu la protéger d'une résiliation pour faute au cas où nous ne le livrerions pas. Nous nous sommes donc déclarés, au titre de l'article 14 du contrat, en état de force majeure. Si cela n'avait pas été le cas, nous aurions pu avoir à notre charge non seulement la construction à nos frais par un tiers des BPC, c'est-à-dire l'équivalent de 1,2 milliard d'euros, mais aussi les pénalités ; autrement dit, nous exposions la société à une perte de 1,5 à 2 milliards d'euros.

Ce cas de force majeure a permis de protéger la société pendant 183 jours, ce qui était pour nous l'essentiel, en attendant une expression plus formelle de l'État français.

Nous avons déclaré le 24 novembre un sinistre à la COFACE et avons dû contractuellement poursuivre à nos frais la fin des essais du premier bateau et la construction du second – le Gouvernement ayant alors ajourné, et non refusé la livraison – avec un tiers de confiance, le bureau Veritas, qui a en fait validé les certificats de réception qui auraient dû être signés par la marine russe.

À partir de février 2015, le SGDSN a été chargé par le Président de la République de négocier des conditions amiables d'interruption éventuelle du contrat. Sa lettre de mission prévoyait que DCNS et moi-même devions lui donner notre assistance. S'est ainsi tenue jusqu'à mi-juin une longue série de réunions avec les Russes à Moscou.

Je précise à cet égard que les Russes ont été extrêmement corrects, dans un climat constructif. Aucune des parties n'a cherché à abuser de la situation – on avait évoqué un moment des demandes de l'ordre de 1,2 à 1,4 milliard – et l'attitude des industriels a aussi été très correcte. Nous avons ainsi pu négocier un contrat de résiliation dans des conditions qui nous paraissent tout à fait raisonnables, sachant que nous n'avons d'autre obligation que de démonter les GFX, c'est-à-dire les matériels russes embarqués à bord, et de les renvoyer en bon état de marche en Russie. Moyennant quoi, les Russes nous ont restitué nos cautions bancaires, sauf une petite caution de 23 millions d'euros visant à garantir la bonne exécution de notre obligation de restitution de ces équipements, à démonter dans les 6 mois à partir du 5 août. En même temps, devait être entamée une autre série de discussions avec la COFACE pour que ces démontages, l'entretien des navires, le maintien des garanties, le gardiennage et diverses prestations soient assurés après le sinistre et nous soient intégralement remboursés.

Aujourd'hui, le Premier ministre a arbitré, moyennant la souscription d'une prime complémentaire, au mois de mai, le principe d'une indemnisation à 100 % de tous les industriels ayant contribué. Je rappelle les grandes masses de ce contrat de 1,2 milliard d'euros dont DCNS est maître d'oeuvre: 660 millions d'euros pour STX, 80 millions pour Thales et 40 millions pour CNIM.

Sur la partie construction, tous les industriels ont vu leurs paiements garantis, y compris leur marge, c'est-à-dire tous les sous-traitants, à la seule exception de CNIM, qui avait un contrat COFACE distinct. Mais nous avons encore des discussions sur les frais pouvant être inclus dans le périmètre de remboursement de DCNS, sachant que pour l'instant notre marge bénéficiaire est perdue : il faut savoir qu'elle représente un an de recherche et développement de notre entreprise.

Nous avons aujourd'hui un premier seuil d'accord avec la COFACE et l'engagement du Président de la République – qu'il m'a renouvelé en Égypte – que les industriels seraient remboursés. Il nous reste donc à terminer ces discussions pour nous faire rembourser à 100 % tous nos frais passés et à venir, y compris de recommercialisation.

Le risque d'absence d'accord avec la Russie était pour nous considérable, très supérieur aux 20 % du montant du contrat. En cas de rupture du fait de la France, on s'orientait vers trois ou quatre ans de procédure d'arbitrage plus ou moins publique et, selon nos avocats, des pénalités de l'ordre du milliard d'euros. Cette procédure amiable a évité ce risque, qui aurait incombé soit à l'État si les Russes l'avaient jugé fautif, soit à DCNS s'ils avaient considéré que nous n'avions pas exécuté notre contrat – ils ont d'ailleurs pendant plusieurs mois soigneusement entretenu l'ambiguïté à cet égard…

En termes d'emplois directs, nous n'avons rien perdu puisque nous avons continué l'exécution de notre contrat jusqu'au bout. Mais, en termes de préjudice direct, nous avons perdu une opportunité de recette de 30 millions d'euros et de fourniture d'équipements pour deux bateaux supplémentaires, que l'on peut estimer à 200 ou 300 millions, ainsi qu'une possibilité de construire deux navires câbliers.

Si aujourd'hui, certains mettent en cause la parole de la France, j'observe qu'on a signé un contrat de frégate FREMM en Égypte et que nous avons engagé des discussions en Malaisie ou en Amérique du Sud. Je n'ai pas constaté à ce jour de conséquence directe en tout cas sur le commerce.

S'agissant de la Pologne, je vois que l'affaire des hélicoptères est en train de se dénouer. Pour ce qui nous concerne directement, on n'a rien pu observer puisque le programme des sous-marins a été décalé.

Quant aux questions de revente, elles sont extrêmement confidentielles. Nous veillerons également à ce que, en cas de revente, DCNS puisse retrouver une partie de ses bénéfices. Nous en discutons en ce moment avec l'Etat.

En conclusion, j'estime que nous avons fait au mieux. L'entente avec le SGDSN a été excellente dans le contexte politique auquel nous étions confrontés. Mais si nous avons réglé, et très bien réglé la transaction avec les Russes, il faut nous assurer que l'industrie ne supporte pas de conséquences économiques. Nous avons des engagements : il faudra qu'ils soient suivis d'effets.

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