Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 15 septembre 2015 à 14h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Nous sommes très heureux de vous recevoir, monsieur le président, car ce n'est pas sans mal que nous avons obtenu de pouvoir parler avec DCNS…

La façon dont le Gouvernement traite le contrôle parlementaire dans cette affaire est proprement indigne. La compensation du préjudice – j'emploie les termes de M. Gautier – a été versée à la Russie avant même que l'accord l'autorisant soit voté par le Parlement, ce qui fait de cet exercice une parodie de démocratie. Ou bien nous servons à quelque chose et nous approuvons un accord qui vise à régler une situation à notre détriment, ou bien nous ne servons à rien. Et c'est le cas : l'organisation de ce débat, ainsi que la nomination du rapporteur, à la dernière minute font partie de cette même improvisation permanente que je déplore.

Il est très difficile de nous prononcer sur les décisions prises par l'exécutif sans connaître le contrat que vous avez signé avec l'entreprise russe. Vous avez fait état dans votre présentation d'un article 14 concernant la force majeure dont je n'ai pas connaissance, et je ne connais pas davantage la clause d'arbitrage. « Nos avocats nous ont dit que… » On a déjà entendu cela dans d'autres affaires. On nous explique que, si notre pays était allé à l'arbitrage, nous aurions nécessairement perdu plusieurs milliards ; vous venez vous-même de le répéter. Or vous dites aussi que vous avez protégé votre entreprise en utilisant cet article 14 sur la force majeure. S'il y a force majeure du fait du comportement des États, votre entreprise est certes protégée, mais je ne sais pas non plus à quel niveau elle est assurée par la COFACE.

Le 7 septembre, le Président de la République a indiqué que nous nous orientions vers une solution à la crise en Ukraine et qu'il envisageait donc la levée des sanctions. Dans ce cas, il faut vendre les bateaux, reprendre les échanges agricoles, etc. Ou bien nous allons vers une solution ou bien le problème n'est pas près de se régler, mais je ne comprends pas l'attitude qui consiste à considérer que l'on a perdu d'avance, car ce qui oblige l'État français à bloquer la licence d'exportation, c'est le comportement de l'État russe, c'est le fait du prince, c'est un cas de force majeure. Pourquoi, dès lors, considérer que l'arbitrage est perdu d'avance alors que ni vous ni même l'État français n'êtes responsables de la décision ? Cela ne relève pas d'un arbitrage, mais de la Cour internationale de justice ! En tant que juriste, ces arguments me surprennent.

Comment voulez-vous, par ailleurs, que nous nous prononcions sur l'accord et ses conséquences pour votre entreprise alors que nous ne connaissons pas le bilan de celle-ci ni le coût d'une éventuelle revente ? Vous dites avoir la promesse du Président de la République d'être remboursé à 100 %. Fort bien, mais cela, nous ne le savons pas, et vous non plus : ce n'est encore qu'une promesse. En outre, combien cela coûtera-t-il au contribuable ? M. Gautier dit 57 millions : vous me permettrez de considérer que c'est une galéjade, car vous avez vous-même indiqué que la finalisation du premier navire et la construction du second avaient été réalisées à vos frais. Avec quel argent avez-vous donc abondé le programme 146 vidé par l'État ? Comme l'argent des Russes a forcément été absorbé par la construction, vous avez bien dû l'emprunter !

Quelles sont par ailleurs les perspectives de revente ? Combien pensez-vous que valent ces bateaux aujourd'hui ? Si cela ne vous coûtera rien, tant mieux pour vous, mais quid du contribuable ? Quel sera le prix de revente, et donc le différentiel qu'il devra supporter ?

Nos collègues Seybah Dagoma et Jacques Myard ont évoqué les transferts de technologie sous l'angle de la capacité d'exportation retrouvée par la France, mais quand on vend un bateau de guerre, on fournit également des centaines de kilos de documentation. Cette documentation a été envoyée en Russie et probablement traduite en russe. Les Russes ont donc tous les éléments sur le Mistral, de A à Z. Qu'est-ce qui les empêche de construire, demain, des Mistral et de les exporter ? Plusieurs responsables russes disaient déjà, au moment de la signature du contrat, que ce n'était pas la peine d'acheter ces bateaux à la France, ils étaient capables de les construire. Si en plus ils ont la documentation, c'est sûrement ce qu'ils vont faire. Que ferez-vous alors ?

Il sera difficile à notre groupe d'approuver l'accord dans de telles conditions. Nous pouvons comprendre, connaissant la situation politique, que la France n'ait pas souhaité livrer ces bateaux ; c'est après tout un choix légitime. Mais la façon dont l'accord a été conclu est discutable, et nous n'avons pas non plus été mis en situation de pouvoir le juger.

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