Intervention de Luc Poyer

Réunion du 11 décembre 2012 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Luc Poyer, président du directoire d'EON France :

Je suis heureux de pouvoir apporter la contribution d'E.ON à ce débat fondamental de la transition énergétique.

E.ON est un grand groupe énergéticien européen à capitaux privés, d'une taille comparable à EDF ou GDF-Suez. D'origine allemande, le groupe s'est très tôt aventuré hors de son marché national. Avec une trentaine de millions de clients, il est désormais présent non seulement en Allemagne, mais aussi en Grande-Bretagne, en Scandinavie, en Europe centrale, en France, en Espagne et en Italie.

Je commencerai par évoquer la transition énergétique telle qu'E.ON la conçoit et la met déjà en oeuvre. En France, E.ON a hérité de la capacité installée de Charbonnages de France en matière d'électricité, soit environ 3 GW : quatre centrales thermiques situées sur les anciens bassins miniers, qui regroupent sept tranches au charbon et deux cycles combinés gaz (CCG), des parcs éoliens et deux fermes solaires. Nous sommes un petit acteur en taille, mais nous jouons un rôle déterminant dans l'équilibre entre l'offre et la demande, notamment pour faire face aux pics de consommation – ce qu'on appelle un acteur de semi-base et de pointe.

Nous avons pris la transition énergétique à bras-le-corps, en engageant un effort d'adaptation de notre outil industriel, qui a commencé par la reprise des centrales de Charbonnages de France, dont un tiers doit fermer à l'horizon 2015 pour des raisons réglementaires. Nous avons, d'autre part, investi plus de 700 millions d'euros depuis 2008, et nous sommes prêts à engager la conversion d'une de nos tranches charbon à la biomasse. Ce projet, conduit en Provence et qui requiert un investissement de l'ordre de 200 millions d'euros, devrait porter la capacité installée de ce site à 150 MW, dans une région en déficit de génération d'électricité. Il contribuerait à hauteur de plus de 600 000 tonnes à la réduction des émissions françaises de CO2, tout en permettant une valorisation de la forêt méditerranéenne.

Nous sommes également engagés dans une démarche de valorisation de l'hydroélectricité française. Nous rachetons la production de petits opérateurs sortis du tarif de rachat qui doivent trouver un débouché ; nous leur apportons des solutions à moyen terme. Nous sommes par ailleurs candidats au renouvellement des concessions hydroélectriques en association avec les acteurs locaux.

Nous sommes aussi présents à l'aval, c'est-à-dire dans la commercialisation. Nous élargissons notre portefeuille de clientèle, aujourd'hui centré sur les grands industriels, aux PME-PMI, en leur proposant des offres compétitives sur le marché du gaz.

Notre vision de la transition énergétique concerne donc aussi bien l'amont que l'aval. Les groupes énergétiques sont des acteurs essentiels. La France a et aura besoin d'acteurs solides et performants, ce qui conduit à poser la question des possibilités de développement d'un opérateur européen en France. Nous sommes en concurrence avec les deux grands groupes français, mais cela ne signifie ni que le secteur électrique doive reposer sur les seuls acteurs privés, ni qu'il faille atomiser l'offre. La concurrence repose, à notre sens, sur deux piliers. En premier lieu, il faut que plusieurs acteurs soient en mesure d'investir dans la production, pour des raisons de partage des risques et de poids des financements, mais aussi d'incitation à l'innovation. Ainsi, la centrale biomasse dont j'ai parlé constitue une forme d'innovation en France, car nous n'avons développé d'installations de ce type qu'en Suède ou en Grande-Bretagne. En second lieu, les tarifs de l'électricité doivent refléter les prix de marché, et, pour cela, il faut un bon signal-prix sur la durée. Or c'est de plus en plus difficile d'y parvenir, en raison des renouvelables et du fait du trop faible prix des quotas de CO2. Une grande attention doit donc être portée à la qualité et à la stabilité du cadre réglementaire, afin de permettre aux opérateurs d'investir sur le long terme.

Trois paradoxes me semblent caractériser la transition énergétique.

Premier paradoxe : alors que nous souhaitons tous une baisse de la consommation, c'est-à-dire du nombre de mégawattheures consommés et donc produits, il nous faudra accepter un accroissement de la capacité installée. Ainsi, en Allemagne, plus de 50 GW renouvelables ont été construits en quelques années.

Deuxième paradoxe : l'effort d'investissement a un coût, qui implique lui-même une hausse des prix pour le consommateur, au moins par kilowattheure consommé.

Troisième paradoxe : alors que les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique sont au coeur des préoccupations, le marché du carbone ne fonctionne pas bien. Il faut remettre sur les rails le marché des quotas de CO2, innovation européenne indispensable pour que les opérateurs aient le bon signal-prix sur la transition énergétique. Je ne parlerai pas ici des déboires d'une technologie très importante pour modifier la donne en matière de génération d'électricité : le captage, le transport et le stockage du CO2.

Quels enseignements tirer de l'exemple allemand en matière de transition énergétique ? Le tournant pris en Allemagne consiste à sortir très rapidement du nucléaire mais aussi – ce qui est moins connu – à accélérer le développement des énergies renouvelables, qui devraient représenter plus de 80% de la génération d'électricité en 2050. Il s'agit également de modérer les consommations – de 25% d'ici à 2050 pour l'électricité – et de réduire les émissions de CO2 de 80% à 95% d'ici à 2050.

Les enjeux allemands sont au nombre de trois. Le premier est le financement des infrastructures de transport : environ 30 milliards d'euros sont nécessaires pour construire 4 000 kilomètres de lignes, alors que 200 kilomètres ont été construits durant les cinq dernières années. Le deuxième enjeu est le coût des énergies renouvelables : 20 milliards d'euros de subventions devront être versés en 2013 pour financer les tarifs de rachat, soit une facture annuelle de l'ordre de 900 euros par foyer en Allemagne, contre 660 euros en France. Le troisième enjeu est sans doute le plus complexe : c'est celui du maintien d'une capacité suffisante pour couvrir la pointe. Le marché de capacité sera nécessaire ainsi que des ruptures technologiques – d'où l'importance de l'innovation dans le stockage d'énergie.

E.ON contribue au changement en s'engageant massivement, depuis 2008, dans le développement des énergies renouvelables avec la volonté de tripler sa capacité installée à l'horizon 2020, et en mettant en oeuvre une politique de réduction du coût des énergies renouvelables pour sortir des tarifs de rachat. Nous rejoignons la préoccupation des pouvoirs publics et de l'opinion publique : les énergies renouvelables doivent impérativement devenir compétitives. Elles ne pourront pas être subventionnées ad vitam aeternam.

Notre deuxième contribution à la transition énergétique consiste à investir dans l'innovation. Je pense aux centrales hydrauliques de stockage, ou stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), que nous développons dans plusieurs pays, et à diverses avancées en matière de stockage. Nous avons développé à Falkenhagen, en Allemagne, une chaîne à partir de l'électricité produite par les éoliennes : nous la transformons en hydrogène par électrolyse, avant de stocker cet hydrogène dans des tuyaux haute pression de gaz naturel.

La transition énergétique doit être l'occasion d'une réflexion large, cohérente et ambitieuse, dans un cadre européen et à partir d'exemples réussis, en particulier dans la coopération franco-allemande. Il est nécessaire d'inventer un nouveau modèle propre à chaque pays, avec un bouquet énergétique plus développé, mais aussi d'organiser des interdépendances. Sans l'interconnexion franco-allemande, la France aurait connu un black out à l'hiver dernier.

Il faut enfin développer des partenariats, à l'exemple du projet de Provence 4, qui nous permettra, espérons-le, de revenir à la source de ce qui a fait le succès de la construction européenne, commencée par une coopération énergétique. Il s'agit, comme l'ont voulu Jean Monnet et Robert Schuman, de « réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait. »

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