Intervention de Luc Poyer

Réunion du 11 décembre 2012 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Luc Poyer, président du directoire d'EON France :

Monsieur Denis Baupin, la transition énergétique constitue une opportunité, et c'est bien pour cela qu'elle fait l'objet d'une mobilisation au sein de la société allemande. Mais elle comporte une autre face : elle ne peut avoir lieu sans effort, sans tension, sans défi à relever. E.ON France – qui, je le rappelle, a repris l'héritage électrique de Charbonnages de France – doit aussi compter avec cette réalité-là, notamment avec les conséquences qu'entraîne la transition énergétique pour le corps social. À cet égard, je suis sensible aux remarques formulées au sujet de la centrale d'Hornaing, que je connais bien.

Les tranches charbon sont en effet contraintes de s'adapter. Certaines sont modernes, ou modernisables, et ont donc bénéficié d'investissements pour devenir moins polluantes : elles pourront fonctionner au-delà de 2020. D'autres, plus anciennes, ne sont plus conformes à la réglementation. Nous avons décidé d'échelonner leur fermeture : une seule tranche fermera en 2013, contre cinq initialement prévues.

S'adapter à la transition énergétique signifie également investir. Malheureusement, en France, nous avons dû abandonner les investissements en faveur de la technologie CCGT. Certes, nous avons achevé, pour un coût de 500 millions d'euros, la construction de la centrale « Émile Huchet », l'une des installations à cycle combiné gaz les plus importantes du pays. Mais – et tous les énergéticiens européens s'accordent sur ce point – les conditions économiques ne permettent pas de poursuivre dans cette voie. Nous avons donc fait le choix de convertir une tranche charbon en tranche biomasse. C'est une première en France.

Sur le plan social, notre secteur électrique et gazier est soumis à un statut particulier. Cela entraîne une gestion particulière des ressources humaines – un programme de départs volontaires fait actuellement l'objet de consultations – ainsi qu'une modernisation du dialogue social, de façon à pouvoir trouver des solutions pour chacun de nos salariés.

En l'absence d'un modèle économique clair, il est nécessaire que les grands acteurs du secteur nouent des partenariats, comme l'ont fait E.ON et GDF-Suez. Dans le monde pétrolier, de tels accords sont une tradition. Un grand industriel européen de l'électricité peut-il, aujourd'hui, porter seul des projets coûtant plusieurs centaines de millions d'euros, voire plusieurs milliards ?

En ce qui concerne le stockage du dioxyde de carbone, E.ON est impliqué dans les recherches en cours. Pardonnez-moi si j'ai pu laisser penser que la technologie n'était pas au point. Elle l'est, mais le modèle économique manque, sachant que l'investissement, par rapport à une centrale au charbon, est de 50 % plus élevé. En principe, les subventions permettent de compenser le surcoût, mais elles sont financées par la vente de quotas d'émissions, si bien que leur volume diminue à mesure que baisse le cours des quotas. Il existe donc un lien entre le fonctionnement du marché du carbone et le démarrage des technologies destinées à le stocker. Les innovations technologiques ayant entraîné une révolution industrielle ont toujours bénéficié du soutien des pouvoirs publics mais, dans le cas du CCS, la situation est d'autant plus bloquée que l'opinion a du mal à accepter cette technique peu connue. Les industriels n'ont peut-être pas suffisamment fait preuve de pédagogie, mais les politiques ont sûrement aussi un rôle à jouer. Pour l'instant, le captage, le transport et le stockage du CO2 sont sans doute moins attractifs aux yeux du public que le moteur à hydrogène, par exemple.

Sur l'hydrogène justement, E.ON est engagé dans le projet de stockage « power-to-gas » : l'hydrogène produit par électrolyse est mélangé avec du gaz naturel. D'autres utilisations sont possibles, comme le montre l'exemple que vous avez cité, celui de la start-up française McPhy. Les pouvoirs publics devraient se tourner vers ce secteur et entamer sur l'hydrogène une réflexion se nourrissant de l'expérience acquise en matière photovoltaïque ou éolienne. En tout état de cause, et sans être spécialiste, je constate que les choses bougent de l'autre côté du Rhin. On encourage la production d'énergie renouvelable, d'électricité verte, mais pas de l'hydrogène vert. Il existe deux façons de produire cet élément : soit par reformage d'hydrocarbures – qui émet alors du CO2 –, soit en convertissant l'énergie éolienne ou hydroélectrique. Dans ce dernier cas, on peut alors parler d'hydrogène vert. Reste le modèle économique à inventer.

On m'a interrogé sur l'évolution de la politique énergétique en Allemagne et sur le coût qu'elle fait supporter aux entreprises. Les conséquences de cette évolution sont de deux ordres. Tout d'abord, les entreprises telles que la mienne doivent assumer le coût de la fermeture accélérée des centrales nucléaires : 1,5 milliard d'euros en 2011, puis 1 milliard chaque année jusqu'en 2022. Ensuite, l'ensemble de l'économie allemande subit une perte de compétitivité en raison de l'augmentation des tarifs de rachat. L'équivalent allemand de l'UFE, le BDEW – Bundesverband der Energie und Wasserwirtschaft –, a publié en octobre 2012 une étude montrant que, sur les 20 milliards d'euros d'aides accordées aux énergies renouvelables, 6 milliards sont à la charge de l'industrie allemande. Les industriels jugent donc la transition très coûteuse. Cependant, d'autres interlocuteurs souligneront l'existence, pour les électro-intensifs, de dispositifs élaborés qui les exonèrent d'une partie du coût de rachat des énergies renouvelables ainsi que de certains coûts liés aux réseaux.

Pour conclure, j'ai relevé au cours du débat de nombreux sujets – comme l'hydrogène vert – pouvant faire l'objet d'une coopération franco-allemande. Pourquoi des pays situés au coeur de l'économie européenne ne pourraient-ils pas mettre en commun une partie de leurs dépenses publiques en faveur de la recherche et développement, notamment dans le domaine des énergies renouvelables ? Les efforts ne devraient pas être dupliqués de part et d'autre du Rhin.

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