Intervention de Vincent Michelot

Réunion du 5 décembre 2012 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Vincent Michelot, directeur des relations internationales à Sciences-Po Lyon :

La politique étrangère est diversement orientée, mais elle reste quand même, quoique pas autant qu'en France, le domaine réservé du Président. À cet égard, une inflexion peut être détectée avec l'arrêt de l'exportation du modèle démocratique américain, notamment au Moyen-Orient. Democracy building, c'est fini ! Or cette notion de Democracy building portait en elle la projection d'une superpuissance américaine. Pour autant, les Américains ne se lèvent pas le matin en déplorant la perte de leur hégémonie. En disant très clairement halte à l'hégémonie américaine, Barack Obama nous a placés devant nos propres contradictions : d'un côté, on – en particulier l'Europe et la France – demande aux États-Unis de ne pas être hégémoniques et, de l'autre côté, on leur reproche de se désengager en divers points du globe. Mais on ne peut pas, en occupant une position de suprématie, être discret ni tolérer que d'autres puissances aient une zone d'influence. C'est pourquoi les États-Unis ont voulu ménager la zone d'influence de la Russie, pensant que c'était une condition indispensable pour obtenir d'elle qu'elle contribue à la résolution de la question iranienne.

Sur des dossiers comme l'Iran ou la Syrie, qui mettent en oeuvre un jeu de mécano extrêmement complexe entre la Chine, l'Union européenne et la Russie, les États-Unis doivent impérativement traiter avec chacune de ces puissances pour obtenir une position commune et complémentaire. L'Iran, en particulier, est très habile à détecter les divergences et à s'engouffrer dans les failles. Il compte sur la Chine et sur la Russie pour contrer l'hégémonie américaine, persuadé qu'il n'y a pas d'accord entre les pays et qu'il sortira de sa situation extrêmement difficile en creusant leurs différences.

Sur le plan intérieur, la falaise budgétaire n'est pas aussi abrupte qu'on veut bien le dire. D'abord, tous les mécanismes automatiques ne vont pas s'enclencher dès le 1er janvier. L'administration fiscale américaine peut très bien décider de retarder les hausses d'impôts. De la même manière, le Département de la défense peut négocier un rééchelonnement des contrats de défense de manière à ne pas subir d'un coup une coupe de 25 ou 30 %. Ensuite, le corps politique est de plus en plus persuadé que sauter la falaise aujourd'hui donnera par la suite au Président Obama des instruments de négociation. Une fois les hausses d'impôt mises en place, le parti démocrate aura beau jeu de conditionner une baisse d'impôt sur les classes moyennes à une hausse d'impôt sur la tranche marginale.

S'agissant de la question hispanique, il n'y a pas de dérive linguistique, pas de déterminisme démographique. Il est absurde de prétendre que les hispaniques ont fait des démocrates la majorité permanente aux États-Unis. Ils ont voté massivement pour le président sortant parce que les républicains ont systématiquement stigmatisé cet électorat, parfois de manière répugnante. Quant à l'avènement d'un État à majorité hispanique, il est en quelque sorte inéluctable puisque l'on sait que, en 2050, démographiquement, la population blanche sera minoritaire aux États-Unis. La deuxième génération hispanique est aujourd'hui totalement anglophone et si certaines zones sont occupées par des locuteurs hispanophones de première langue, sur la longue durée, l'acculturation touche autant les caractéristiques de la natalité que les habitudes culturelles. Précisément, l'enjeu de la réforme de l'immigration est la capacité des États-Unis à absorber les nouveaux arrivants de la même manière que la population qui y vit déjà aujourd'hui, qui y a été éduquée, et qui ayant reçu des diplômes d'enseignement secondaire et supérieur, s'y est intégrée, paie des impôts et a la nationalité américaine. Les Américains ne réfléchissent pas en termes d'identité nationale, comme on a pu le faire en France. Ils s'intéressent plutôt au mode d'intégration, qui est différent selon les vagues d'immigration. La capacité des États-Unis à absorber les vagues d'immigration venues du sud de l'Europe était l'objet d'un fantasme à la fin du XIXe et au début du XXe siècles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion