S'agissant du processus de Minsk, j'ai eu samedi dernier une réunion positive avec mes homologues russe, ukrainien et allemand, à l'occasion de laquelle nous avons abordé la question du cessez-le-feu et celle de la préparation des élections dans le Donbass, préalable à la reconnaissance de la frontière. Plusieurs groupes de travail se sont saisis de ces sujets, dont un groupe politique présidé par M. Pierre Morel ; il est également prévu que les chefs d'État se réunissent en format « Normandie » le 2 octobre prochain. Souhaitons que le climat encourageant qui a prévalu à notre dernière réunion perdure.
J'en viens aux navires Mistral. Je rappelle que la décision de vendre deux bâtiments de projection et de commandement – les BPC – à la Russie a été prise en 2008, et qu'elle a abouti à l'accord intergouvernemental de 2011. La décision de vendre ces bâtiments destinés à la projection de force à un pays ayant récemment agressé un État voisin correspondait à une certaine analyse. L'évolution de la politique russe, l'annexion non reconnue par la communauté internationale de la Crimée et le plongeon du Donbass dans la guerre civile ont rendu incontournable le constat suivant : l'exécution du contrat était impossible. Dès lors, un travail important a été fourni pour éviter tout contentieux, dont les répercussions financières et politiques auraient été très préjudiciables. La Russie n'ayant pas souhaité aller au contentieux, nous avons décidé de négocier les conditions d'un règlement à l'amiable. Un accord a ainsi été signé au début du mois d'août, dont une partie requiert une autorisation parlementaire en vertu de la Constitution.
C'est un esprit de responsabilité qui a présidé aux négociations et à la décision qui en a résulté. Sur le plan international, tout d'abord, le conflit ukrainien, au coeur de l'Europe, a créé une situation exceptionnelle qui compliquait pour le moins la livraison des navires. Quelle aurait été notre légitimité pour contribuer au règlement de cette crise si nous les avions livrés, nous qui parlons si souvent de défense européenne avec nos partenaires de l'Union ?
Ensuite, la France devait faire preuve de responsabilité eu égard à ses engagements – ce pour quoi il était essentiel de privilégier la négociation avec la Russie. La France n'a donc violé aucun de ses engagements, puisque le différend est réglé à l'amiable et que le contrat et l'accord signés en 2011 sont remplacés par de nouveaux textes. J'ai entendu l'argument selon lequel nous nous serions pliés au diktat des États-Unis, mais j'ai bien du mal à comprendre comment cela pourrait être le cas s'agissant d'un accord signé avec la Russie.
Nous devions également exercer notre responsabilité en termes financiers. Or, la négociation avec la Russie nous préserve précisément d'une procédure d'arbitrage dont le résultat eût été hasardeux et certainement plus coûteux.
L'accord amiable qui a été obtenu est satisfaisant car il solde la question et éteint toute possibilité de contentieux. Il prévoit le seul remboursement à la Russie des sommes qu'elle avait engagées, et ce sans pénalités – la négociation a été bien conduite. L'accord permet à la France de disposer de la pleine propriété des navires, ce que ne prévoyait pas le contrat initial. La voie de leur probable revente est donc ouverte ; nous souhaitons qu'elle soit rapide.
Les négociations avec la Russie ont été menées avec discrétion, comme il se doit. Le Gouvernement fait néanmoins preuve d'une totale transparence : le Parlement a été immédiatement informé de la signature de l'accord, dont il est aujourd'hui saisi.
Cet accord comprend quatre textes. Le premier est un accord intergouvernemental qui met fin à l'accord de 2011, qui attribue la pleine propriété des deux BPC à la France et qui exclut tout recours entre les deux pays. Ce texte ne relevant pas de l'article 53 de la Constitution, il ne requiert pas d'autorisation parlementaire ; nous vous l'avons néanmoins communiqué car il forme un tout avec le texte suivant. Le deuxième texte, précisément, prend la forme d'un échange de lettres et prévoit deux dispositions essentielles qui justifient l'autorisation parlementaire : il indique le montant du remboursement et exclut toute indemnisation pour éventuel préjudice à l'égard des tiers. Si l'accord se compose de deux textes et non d'un seul, c'est en raison d'une demande formulée par la partie russe au cours de la négociation, mais cela n'a aucune incidence juridique sur l'ensemble. Le troisième texte est un avenant signé entre DNCS et Rosoboronexport, qui met fin au contrat initial entre les deux entreprises. Enfin, le dernier texte est une convention signée entre l'État et DCNS.
En application de cet accord, l'État a versé 950 millions d'euros à la Russie, dont 893 millions correspondent au remboursement des sommes versées par la Russie et 57 millions au remboursement des dépenses qu'elle a engagées afin d'accueillir les BPC. Le coût total imputable à l'État sera légèrement supérieur, car la COFACE indemnisera les entreprises françaises concernées pour les coûts induits par la réalisation du contrat, dont le montant dépasse celui des acomptes versés par la partie russe. Le montant total pour l'État sera donc de l'ordre de 1,1 milliard d'euros. Cela se traduira par le versement d'un dividende moindre de la COFACE à l'État. Enfin, la France ayant récupéré la pleine propriété des navires, l'objectif est de les vendre rapidement pour un bon prix, ce qui diminuera d'autant le coût final pour l'État.
Le Gouvernement a donc géré au mieux une situation pourtant difficile en préservant nos intérêts diplomatiques et financiers. Parmi les arguments formulés par les uns et les autres, j'ai entendu dire que nos ventes de matériels à l'étranger pâtiraient de l'affaiblissement de notre crédibilité ; or, jamais le montant de ces ventes, quoi qu'on en pense, n'a été aussi élevé. En somme, le contrat initial était fort complexe et contraignant, mais les négociateurs ont accompli un bon travail en aboutissant à un accord amiable avec la Russie pour éviter tout contentieux.