Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 15 septembre 2015 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Ce dossier était en effet très difficile. En toute franchise, monsieur le ministre, je ne vous ferai pas le reproche de ne pas avoir vendu ces navires au beau milieu d'une crise qui n'est d'ailleurs pas encore réglée – comme je l'ai dit publiquement à l'époque en soutenant la position du Président de la République. Il n'était en effet pas concevable de vendre ces navires alors que venait de se produire la première invasion d'un pays européen souverain depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. En outre, nous avons effectivement des obligations vis-à-vis de nos partenaires européens.

Je ne reviendrai donc pas sur le fond, que nous avons abondamment évoqué au fil des auditions. En revanche, vous avez longtemps exercé un mandat parlementaire, monsieur le ministre, et le moins que l'on puisse dire est que la façon dont nous avons eu à traiter ce dossier en urgence est quelque peu contestable. Nous n'avons pas pu prendre connaissance des éléments financiers et juridiques figurant dans les contrats signés par DCNS, ce qui nous a empêchés d'estimer précisément le coût de cette affaire pour la nation, ni celui des autres options. Vous avez certes écarté celle de l'arbitrage, mais j'ai entendu tout à l'heure le patron de DCNS expliquer qu'il avait lui-même dû recourir à la clause de force majeure pour protéger son entreprise. Comment, dès lors, prétendre que dans un tel cas de force majeure – ou plutôt, en l'occurrence, du fait du prince Poutine –, les chances juridiques de la France auraient été nulles ? Quoi qu'il en soit, je regrette que nous n'ayons pas disposé du temps nécessaire pour traiter convenablement ce dossier, d'autant que l'on nous demande de voter le projet de loi après que l'argent a été versé ; j'y vois un problème d'ordre constitutionnel, mais c'est ainsi.

Au fond, je ne comprends guère votre démarche politique. J'ai suivi le fil de vos déclarations successives : pacta sunt servanda, avez-vous déclaré en pleine crise ukrainienne, époque à laquelle vous avez également rappelé que la France n'avait de leçons d'indépendance à recevoir de personne. Puis vous avez brutalement changé d'avis et bloqué la vente des navires. Quelle cohérence existe-t-il donc entre l'accord du 5 août et les propos tenus par le Président de la République le 7 septembre dernier, selon lesquels les accords de Minsk seraient en bonne voie d'application et la crise devrait être réglée avant la fin de l'année ? Si nous devons sortir de cette affaire par le haut, c'est-à-dire par la levée des sanctions – que nous souhaitons tous, comme le savent d'ailleurs bien les Ukrainiens, ne serait-ce que pour soulager notre agriculture –, pourquoi ne pas aussi sortir par le haut de l'affaire des Mistral ? Pendant cette période, difficile il est vrai, le Gouvernement a tergiversé, avant d'aboutir à un règlement précipité au mois d'août, suivi d'une déclaration contradictoire du Président de la République.

Je peine à comprendre la cohérence politique de tout cela. De deux choses l'une : si les accords doivent être respectés et que la France est aussi indépendante que vous le dites, il fallait vendre les navires ; au contraire, si la solidarité européenne et atlantique primait – et tout y invitait – alors il fallait en suspendre la livraison. Vous avez longuement hésité au fil de la crise et, in fine, la France s'est mise dans la situation de réparer un préjudice – ce pour quoi je n'ai guère été satisfait par les explications que nous a données M. Louis Gautier. La France n'a en l'occurrence aucun préjudice à réparer ! Si nous avons bloqué la livraison de ces navires, c'est parce que la situation politique la rendait impossible, non pas du fait de la France, mais de la Russie. Il n'y avait aucun dédommagement à consentir ; or, c'est ce que nous avons fait. Vous estimez, monsieur le ministre, que la négociation a été parfaitement menée, mais permettez-moi de penser que l'on aurait pu faire les choses autrement. J'y insiste, le fait générateur de cette crise ne vient ni de la France, ni de vous, ni du Président de la République : c'est l'annexion de la Crimée et l'entrée dans le Donbass de moyens militaires russes – où se trouveraient encore aujourd'hui neuf mille soldats russes environ.

Loin de toute polémique, j'ai bien conscience de la difficulté de ce dossier. En pleine crise, les navires ne pouvaient être vendus. Cependant, si vous aviez laissé s'achever le processus de Minsk, dans lequel vous vous êtes beaucoup impliqué, nous aurions peut-être pu aboutir à une solution politique plus positive qui, de surcroît, aurait eu le mérite de créer un climat de confiance dans lequel d'autres questions – la Syrie, en particulier – aurait pu être abordées avec la Russie. En clair, le groupe Les Républicains éprouve certains doutes quant au coût réel de cet accord pour la nation, car nous l'ignorons encore, mais aussi quant à celui des autres options possibles. C'est pourquoi nous ne pourrons pas soutenir la conclusion de l'accord en question.

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