Après les auditions de M. Gautier, de M. Guillou et du ministre, je pense que nous sommes bien informés. Je me contenterai donc de rappeler brièvement pourquoi je soutiens l'accord du 5 août avec la Russie.
La décision de mettre fin au contrat Mistral est avant tout une décision politique, même si bien sûr les enjeux budgétaires et industriels doivent être pris en compte. Ce fait est encourageant pour l'avenir, car la politique est faite par des hommes et des femmes. Quand j'étais ministre de la justice, je tenais à ce que les décisions soient prises par des hommes et des femmes, les magistrats, et c'est pourquoi j'étais contre le principe des peines-plancher. La politique, comme l'a montré le général De Gaulle durant son parcours, c'est l'art de s'adapter, d'évoluer au mieux des intérêts du pays. Aujourd'hui, nous devons nous réjouir que le Président de la République et le gouvernement, sur le dossier qui nous intéresse, sachent faire évoluer leurs positions en fonction de la situation de l'Europe et des intérêts de la France.
La primauté du politique a donc été claire dès le début dans ce contrat. Je rappelle que le contrat commercial a été signé, en juin 2011, après un accord intergouvernemental de janvier de la même année où notre gouvernement d'alors avait formellement donné sa garantie à la mise en oeuvre du contrat et avait omis de faire figurer toute clause qui aurait permis un dédit en fonction de l'évolution de la politique de la Russie.
En 2011, il était sans doute envisageable d'envisager la vente d'un armement offensif à la Russie, car on ne pouvait pas prévoir les événements postérieurs en Ukraine. Mais le gouvernement d'alors ne pouvait quand même pas ignorer la guerre menée par la Russie en Géorgie en 2008. Il ne pouvait pas ignorer ce propos prêté au commandant en chef d'alors de la marine russe, selon lequel la possession de BPC aurait permis à la Russie de gagner la guerre de Géorgie en quarante minutes au lieu de vingt-six heures. C'est ce même gouvernement, je le rappelle, qui avait accepté en 2008 au sommet de l'OTAN à Bucarest que l'on donne une perspective d'adhésion, donc d'alliance militaire avec nous, à la Géorgie et l'Ukraine. Il y avait donc une prise de risque qui ne pouvait pas être ignorée et peut-être un manque de cohérence politique.
Je suis un ami de la Russie, ce à tel point que j'ai eu l'occasion de voter à la Douma ! J'avais été envoyé à Moscou par François Mitterrand au moment du coup d'Etat contre Mikhaïl Gorbatchev. Je me suis retrouvé assis dans la Douma au moment d'un vote et mon voisin, qui était Mstislav Rostropovitch, m'a dit qu'il fallait lever le bras ! Puis j'ai été propulsé sur le balcon, où j'ai été acclamé par des gens qui ne me connaissaient pas, ai scandé « Spaciba Rossia, Spaciba Eltsine ! » et ai été embrassé par ce dernier.
Mais l'amitié ne peut pas tout excuser. L'engagement pour un ordre international fondé sur le droit est l'une des constantes de notre diplomatie. Or, depuis février 2014, la Russie s'est engagée dans des actions qui, non seulement violent les grands principes qui sont contenus dans des textes tels que la Charte des Nations-Unies et auxquels elle a souscrit, mais violent aussi les engagements spécifiques qu'elle a pris il y a vingt ans seulement à l'égard de l'Ukraine, dans le cadre du Mémorandum de Budapest, lorsque celle-ci a adhéré au Traité de non-prolifération nucléaire. Annexer unilatéralement, après une opération militaire, le territoire d'un voisin n'est pas un acte anodin ; il n'y a d'ailleurs qu'un nombre limité de précédents depuis 1945 et ils n'ont pas été reconnus par la communauté internationale. Conduire sur un autre territoire de ce voisin, dans le Donbass, une opération militaire déguisée n'est pas non plus anodin.
Je suis aussi un partisan de la poursuite de la construction européenne et du rééquilibrage de sa dimension économique par une dimension politique, comme la majorité d'entre nous. Nous essayons aujourd'hui de convaincre nos partenaires d'accueillir plus de migrants – je viens de lancer avec une centaine de présidents de régions européennes la pétition « Nous sommes tous méditerranéens ». Y parviendrons-nous si nous ignorons leurs préoccupations, notamment quant à la Russie ? Nous devons aujourd'hui garder la capacité de rassembler les Européens.
Livrer les BPC serait allé à l'encontre de toutes nos positions depuis des années et aurait donc ruiné notre crédibilité, qui fait que la politique étrangère française est remarquée et remarquable.
Il fallait trouver une porte de sortie honorable. L'accord trouvé apporte la paix juridique et évite un double contentieux arbitral qui aurait été coûteux, incertain et surtout long, affectant pendant de longues années notre relation avec la Russie aussi bien qu'avec les pays d'Europe centrale et orientale qui sont les plus inquiets de sa politique actuelle. Il fallait rendre à notre diplomatie sa liberté d'action. Sans doute grâce aux relations personnelles établies entre les chefs d'État, notamment lors du 70éme anniversaire du débarquement, notre diplomatie vis-à-vis de la Russie est à un point d'équilibre qu'il faut conserver.
Le coût a été réduit au minimum : il n'est notamment pas question de frais financiers ou de pénalités, alors que le contrat initial en prévoyait, avec un risque théorique de plus de 200 millions d'euros. Nous ne faisons que rembourser à la partie russe ses avances versées sur le contrat, soit 893 millions d'euros, ainsi que 57 millions d'euros de frais qu'elle a consentis et qui sont directement liés au contrat, par exemple les frais de déplacement des personnels envoyés en formation en France. Ce coût pourra enfin être réduit du produit de la revente espérée des BPC, que l'accord rend possible, sans avoir à demander l'autorisation de la Russie, ce qui est un autre point fort du texte.
En interne, il y a bien sûr des débats sur les conditions d'indemnisation de nos entreprises et nous ne connaîtrons de toute façon le bilan exact de cette affaire, tant pour les finances publiques que pour les entreprises, qu'a posteriori. Mais nous sommes déjà certains d'un point : le fait que l'indemnisation de la Coface sera intégrale, au moins pour les coûts engagés, puisque le Gouvernement a décidé de la porter à 100 %, et le fait que le chantier de construction a été mené à son terme éviteront les conséquences directes pour l'emploi.
Enfin, l'accord ouvre des perspectives : je pense au développement de marchés militaires avec des pays qui n'auraient certainement pas envisagé d'acheter des armements français si les BPC avaient été livrés à la Russie – par exemple la Pologne, où nous espérons placer pour plusieurs milliards d'euros d'hélicoptères et de sous-marins. Il y a enfin le renouveau de la relation bilatérale avec la Russie, que les deux pays veulent garder aussi bonne que possible – je le rappelle, la Russie a fait preuve de bonne volonté dans cette négociation, alors qu'elle partait en position de force, car les deux exécutifs étaient l'un et l'autre désireux d'éviter que la relation bilatérale ne soit empoisonnée durant des années par cette affaire.