Intervention de Luc Vigneron

Réunion du 5 décembre 2012 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Luc Vigneron, PDG du groupe Thales :

L'entreprise Thales a connu une période difficile en 2009-2010. Aujourd'hui, nous sommes heureusement sortis de l'ornière et le groupe connaît désormais une belle dynamique de transformation. Thales est en effet un des fleurons technologiques et un des plus grands exportateurs du pays. Elle concentre une réelle capacité en matière de recherche et développement et de recherche technologique. En effet, le groupe se redresse avec des résultats redevenus positifs en 2011. Pour 2012, nous tenons les objectifs annoncés aux marchés et nous revenons à des niveaux de profitabilité historiques.

On mesure le redressement au fait que nos commandes se maintiennent bien dans un environnement pourtant chahuté. Avec 53 % de nos activités dans le secteur de la défense, nous souffrons pourtant du ralentissement de ces marchés dans le monde. Nous résistons néanmoins car nos activités sont bien en accord avec les attentes des clients en matière de renseignement, de surveillance, de mise en réseau des forces, d'aide à la prise de décisions et d'interopérabilité, domaines qui restent prioritaires dans toutes les armées en dépit des réductions de budget.

La répartition entre nos activités civiles et militaires nous permet d'équilibrer globalement nos résultats. Si l'entreprise Thales est bien connue sur le marché de la défense, il convient en effet de souligner que nous sommes également très présents sur les marchés civils. Nous sommes ainsi leader mondial sur le contrôle du trafic aérien civil, numéro 2 dans le domaine de la signalisation ferroviaire (métro et train), numéro 2 du multimédia de bord et numéro 3 mondial dans l'avionique de bord pour avions commerciaux. Ces positions sont remarquables pour un groupe français et nous sommes pleinement satisfaits du rebond de l'entreprise.

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'inquiétude pour les marchés de défense à l'avenir. On observe qu'il n'est pas si simple de compenser le ralentissement du marché domestique par l'export. En effet, certains marchés qui connaissaient pourtant des perspectives de croissance encourageantes sont aujourd'hui en phase de ralentissement, comme le Brésil par exemple. De plus en plus de pays réservent par ailleurs à leur industrie nationale une part croissante de leur budget de défense. Je crois pour ma part beaucoup à l'importance de la dualité civile et militaire qui nous permet de limiter les effets négatifs de la décroissance du marché militaire, notamment sur le plan social, sachant que 34 000 personnels de Thales travaillent en France sur un effectif total de 68 000 personnes.

S'agissant de l'évolution de l'industrie de défense française et européenne – que j'observe en tant que responsable d'une société de défense depuis 14 ans – je crois, après l'échec de la fusion BAEEADS, que la probabilité d'un grand « deal » européen diminue, en raison de la crise économique qui suscite de grandes peurs pour l'emploi et relance la protection des intérêts nationaux. Certes, la nécessité de consolider l'industrie européenne demeure. C'est sa mise en oeuvre au plan global qui est difficile. Dans son histoire, Thales a développé des approches pragmatiques, bottom-up, consistant à créer des ponts industriels entre pays européens, ouvrant ainsi une véritable voie à une consolidation européenne par secteurs, produits et niches : c'est le cas en matière de radar de défense aérienne avec la Hollande, de cryptologie avec la Norvège ou dans de nombreux domaines d'application avec le Royaume-Uni.

Il ne faut pas oublier qu'un groupe de défense comme le nôtre est une collection d'activités (radars, optronique, guerre électronique, systèmes de commandement, sonars…) très pointues sur le plan technologique, dont chacune doit conserver une taille critique pour que les ventes ne s'effondrent pas. Thales et ses homologues européens (Finmeccanica, Cassidian et Rheinmetall) n'ont pas l'homogénéité de plateformistes comme Airbus et Eurocopter. Je crois profondément que des voies s'ouvriront pour des accords de « consolidation à taille humaine » sur des sujets particuliers.

Cela pourra se faire soit par l'acquisition de sociétés, soit par la création de sociétés communes soutenue par les gouvernements, comme nous l'avons déjà réalisé à plusieurs reprises : avec le groupe italien Finmeccanica dans le domaine spatial, avec le groupe allemand Diehl dans l'aéronautique et les munitions, et, pour sortir d'Europe, comme nous le faisons également avec Raytheon aux États-Unis ou avec Samsung en Corée du Sud dans le domaine de l'électronique de défense. Il est en tout cas essentiel de pousser par des rapprochements à la rationalisation de l'offre. S'agissant de la France, mon sentiment est que beaucoup de rationalisations ont déjà été faites grâce au rôle du ministère de la défense en matière de politique industrielle et spécialement de la DGA. Les redondances entre acteurs français n'existent presque plus. Une des dernières qui subsistait, en matière d'optronique entre Safran et Thales, a finalement abouti cette année à la création d'une société commune qui a vocation à devenir le véhicule commercial pour tous les développements à venir pour les besoins de la défense en France.

Par ailleurs, Thales est présent au capital de DCNS, dans le cadre d'un partenariat orienté vers l'exportation. Notre proposition faite au Gouvernement vis-à-vis de Nexter procède de la même philosophie. Il s'agit de démarches pragmatiques qui visent à être plus efficaces sur certains prospects à l'exportation. Thales est un électronicien spécialisé dans les équipements électroniques que l'on met à bord des plateformes (avions, sous-marins, navires de combat et blindés). Les plateformistes sont dans un « business model » très différent. En effet, un plateformiste a besoin de liberté pour choisir ses équipements ; à l'inverse l'équipementier vend ses produits et systèmes à plusieurs plateformistes. Thales vend ainsi, dans le domaine naval, pour plus d'un milliard d'euros vers d'autres plateformistes navals que DCNS ; c'est grâce à cela que nous avons la taille critique.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que c'est toujours l'État qui, in fine, décide de l'évolution de l'industrie de défense dans tous les pays, y compris les pays les plus libéraux. En effet, l'État, premier client de cette industrie, est souvent impliqué au capital des entreprises de défense et dispose d'un pouvoir réglementaire important.

DCNS et Nexter ont toujours besoin de croissance européenne dans leurs métiers pour donner une taille critique à leurs bureaux d'études. La question de l'effet d'échelle dans leurs coûts se pose également en raison de la décroissance du marché domestique. Une réponse peut être trouvée dans une alliance européenne et on peut aussi imaginer un rapprochement entre DCNS et Nexter. DCNS et Nexter sont deux plateformistes et vous voyez dans d'autres pays des groupes industriels qui regroupent à la fois des plateformes terrestres et des plateformes navales.

Le Gouvernement a ainsi une large palette de possibilités de choix pour faire évoluer l'industrie nationale.

Thales se félicite de sa présence au sein de DCNS mais il va de soi que si le Gouvernement souhaitait que nous nous en retirions, nous le ferions. Je rappelle que l'essentiel en la matière demeure la compétitivité de l'industrie française à l'exportation.

J'en viens maintenant au Livre blanc. Les enjeux sont naturellement très importants. Je me contenterai d'évoquer trois d'entre eux.

La recherche et développement, tout d'abord. Elle est absolument fondamentale pour les industries de défense. C'est, si je puis dire, le nerf de la guerre ! L'un de ses aspects est particulièrement intéressant, c'est celui des démonstrateurs. La chaîne de production de valeur est très couteuse à chaque nouveau stade de développement d'un système d'armes. Or plus aucun pays, à l'exception des Etats-Unis, n'est capable de garantir à ses industriels d'aller jusqu'au bout du processus de production. Mais de nombreux pays sont aujourd'hui capables d'aller jusqu'au dernier stade de développement, à condition que nous l'ayons amorcé. Nous venons par exemple de conclure avec les Emirats arabes unis (EAU) un contrat qui prévoit, et cela est nouveau, qu'ils financent eux-mêmes une partie du développement et de l'industrialisation d'un nouveau matériel. Ils seront ensuite titulaires d'une partie des droits de propriété intellectuelle de cet équipement qui va venir enrichir la gamme de Thales. Or pour convaincre nos clients de financer un tel développement, il est très important de pouvoir leur présenter un démonstrateur. Ce genre de schéma est appelé à se développer dans les années qui viennent.

Ensuite, je voudrais évoquer le besoin de renforcer les coopérations bilatérales au niveau européen. Nous travaillons sur deux sujets très technologiques avec nos partenaires britanniques : les drones tactiques et la guerre des mines. Nous avons aussi d'importants partenariats avec l'Italie, les Pays-Bas – sur les radars, et nous devons approfondir nos relations avec l'Allemagne, y compris dans le domaine du spatial.

Enfin, il est important que la France continue à fournir des capacités à l'OTAN dans la décennie à venir pour continuer à y jouer un rôle important. Il faut pour cela valoriser les bijoux technologiques dont nous disposons, notamment en matière de défense aérienne (programme ACCS LoC 1) et dans le système de défense aérienne moyenne portée que nous développons avec MBDA.

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