Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 16 septembre 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, président :

Madame la ministre, mes chers collègues, j'ai le plaisir de vous présenter ce matin mon rapport sur le projet relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, projet de loi qui figure à n'en pas douter parmi les textes les plus attendus de cette législature. Il affirme par sa structure même la nécessaire filiation qui existe entre la création et le patrimoine, entre les oeuvres de l'esprit d'aujourd'hui et l'héritage culturel de demain.

Le titre Ier a vocation à constituer le texte fondateur, attendu depuis de nombreuses années par les acteurs du secteur, de la politique de soutien à la création artistique. Sur le modèle de l'article 1er de la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui dispose que « l'imprimerie et la librairie sont libres » et de l'article 1er de la loi de 1986 relative à la liberté de communication qui dispose que « la communication au public par voie électronique est libre », l'article 1er du présent projet de loi dispose que « la création artistique est libre ».

Compte tenu des nombreuses remises en cause dont cette liberté fait régulièrement l'objet, cette disposition qui invite le juge à tenir compte de la spécificité de la démarche artistique au sein de la liberté d'expression aura une portée jurisprudentielle très concrète – rapidement, nous l'espérons.

En complément, afin de préserver la programmation accueillie dans de nombreux établissements et lieux culturels de possibles pressions et interventions et d'assurer ainsi l'indépendance artistique, l'article 2 consacre la liberté de programmation artistique.

Les articles 2 et 3 ont également pour objet de donner enfin – avancée historique – une assise législative au cadre d'intervention des acteurs publics en faveur de la création artistique. Ce cadre s'est en effet construit au fil du temps sur des bases juridiques éparses et n'a pour l'instant fait l'objet d'aucun dispositif législatif d'ensemble, ce qui est souvent source d'inquiétudes pour les acteurs culturels.

Ce volet doit également créer les conditions d'une amélioration de la cohérence et de l'efficacité de cette politique publique recentrée autour des objectifs fondamentaux de démocratisation culturelle, de traitement équitable des territoires, de développement des moyens de diffusion ainsi que de professionnalisation des auteurs et des artistes. Enfin, il a vocation à mettre en évidence la complémentarité de l'action conduite par l'État et les collectivités territoriales.

Il devra être complété et précisé, en vue notamment de reconnaître le rôle du milieu associatif et des lieux intermédiaires et indépendants ou d'inscrire des objectifs qui n'y figurent pas, tels que l'égalité entre les femmes et les hommes ou le soutien à la création contemporaine en langue française.

Il devra également être complété par des dispositions relatives à la coordination de l'action publique. Comme plusieurs d'entre vous, je proposerai par amendement des dispositions en ce sens.

Le titre Ier vise par ailleurs à assurer une plus grande transparence et un meilleur équilibre dans les relations entre les acteurs de la création artistique. La question du partage de la valeur créée par l'exploitation de la musique en ligne a fait l'objet de nombreuses discussions et de plusieurs rapports, lesquels n'ont pas, pour l'instant, permis d'aboutir à la mise en oeuvre de solutions satisfaisantes. Dans ce contexte, les dispositions proposées ont pour objectif de mieux encadrer et réguler les relations contractuelles entre différents acteurs – producteurs, artistes-interprètes, plateformes de musique en ligne –, ce qui passe notamment par la création d'un médiateur de la musique.

Ce volet du projet de loi pourra néanmoins être complété en fonction des résultats de la mission de concertation que vous avez confiée, madame la ministre, à M. Marc Schwartz, en vue d'un accord sur la répartition des revenus au sein de la chaîne de valeur et dont les conclusions sont attendues d'ici à la fin du mois, au moment précisément où débutera l'examen du projet de loi en séance publique.

Ces dernières années, le secteur du cinéma a lui aussi fait l'objet de controverses portant en particulier sur le manque de transparence de la filière. L'amélioration de la transparence économique de la filière, en particulier des comptes de production et d'exploitation des oeuvres, est donc au coeur des articles 8, 9 et 10 du présent texte. Les auditions ont été l'occasion d'évoquer une possible extension à l'audiovisuel des obligations de transparence introduites par ce projet de loi. Nous serons amenés à en reparler.

Le titre Ier comporte également un volet destiné à promouvoir la diversité culturelle et à élargir l'accès à l'offre culturelle. Il comprend une réforme très ambitieuse de l'exception « handicap ». Au-delà des dispositions très attendues sur la reconnaissance des pratiques en amateur, ce volet me semble pouvoir être opportunément enrichi, en particulier par des propositions visant à améliorer l'offre d'oeuvres audiovisuelles disponibles sur les réseaux numériques.

Autre sujet dont traite ce projet de loi : l'emploi dans le secteur artistique, qui comporte des spécificités justifiant également une attention particulière du législateur. À cet égard, je tiens à rappeler, en présence de notre collègue Jean-Patrick Gille, que la loi relative au dialogue social et à l'emploi du 17 août 2015, en confortant le régime d'assurance chômage de l'intermittence, constitue d'ores et déjà une avancée majeure de cette législature.

Dans le même esprit, plusieurs dispositions du présent projet de loi ont également vocation à conforter l'emploi artistique. La liste des artistes du spectacle est ainsi complétée pour permettre une meilleure application du droit du travail, en particulier de la présomption de salariat dont ces artistes bénéficient. Il clarifie ensuite leurs conditions d'emploi par les collectivités territoriales.

Enfin, à l'heure où l'État et ses partenaires sont de plus en plus confrontés à la nécessité de disposer d'informations précises, en particulier économique et sociale, en vue de l'évaluation des politiques publiques, le projet de loi ouvre la voie à la mise en place, avant tout par voie réglementaire, d'un observatoire de la création artistique et de la diversité culturelle.

Ce titre consacré à la création s'achève sur des dispositions relatives aux enseignements artistiques. Le projet de loi propose une profonde clarification du statut et des missions des écoles d'art auxquelles il étend l'autonomie, notamment via l'accréditation que nous avions définie dans la loi de 2013 sur l'enseignement supérieur et la recherche.

Il donne un indispensable statut d'étudiant aux élèves des classes préparatoires publiques aux écoles d'art, dont le suivi est souvent indispensable pour réussir à intégrer l'enseignement supérieur artistique, très sélectif, comme vous le savez. Des amendements nous permettront de prendre en compte tout le système public d'enseignement de la création, en garantissant l'avenir des cycles supérieurs des conservatoires et en consolidant le statut des écoles d'architecture.

Le projet de loi comprend un deuxième volet tout aussi attendu et tout aussi essentiel à la mise en place d'une politique culturelle globale sur le territoire, je veux parler du patrimoine culturel et architectural.

Acteurs majeurs de la décentralisation culturelle, les vingt-trois fonds régionaux d'art contemporain – FRAC – contribuent depuis plus de trente ans, à l'initiative notamment de M. Jack Lang, à la démocratisation de la culture et au développement de la création dans les territoires. Ces institutions méritent aujourd'hui la consécration de leur existence dans la loi, comme cela est proposé par le présent projet de loi.

Malgré d'importantes avancées en matière de protection du patrimoine, je constate, pour la déplorer, l'absence de dispositions concernant le régime des archives alors qu'un livre entier du code du patrimoine, le livre II, leur est consacré. J'ai donc proposé des amendements destinés à enrichir le projet de loi par des dispositions permettant d'adapter le régime des archives à la révolution numérique et d'améliorer ainsi la protection de ces documents essentiels.

Nous allons également nous pencher, à l'occasion de ce projet de loi, sur le patrimoine archéologique. En effet, la législation actuelle ne permet plus de répondre de manière satisfaisante aux nombreux enjeux qui caractérisent la discipline. C'est la raison pour laquelle, madame la ministre, vous aviez confié une mission à Mme Martine Faure, ici présente. Le texte que nous allons examiner comporte des dispositions permettant de renforcer le contrôle scientifique et technique de l'État sur les opérations d'archéologie préventive afin de mieux protéger le patrimoine archéologique. Par ailleurs, le régime de propriété des biens archéologiques mobiliers, aujourd'hui excessivement complexe, est utilement simplifié et unifié.

Surtout, ce volet du projet de loi, par son importance, fait écho aux grandes lois que la France a connues dans le domaine du patrimoine monumental depuis la loi fondatrice de 1913.

Au-delà de la réforme des abords qui apporte une simplification bienvenue, ce sont les cités historiques qui constituent le coeur du volet consacré au patrimoine de ce projet de loi. En remplaçant les secteurs sauvegardés – qui n'ont pas atteint, loin s'en faut, le nombre espéré en 1962 sous l'impulsion d'André Malraux – ainsi que les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager – ZPPAUP –, vouées à disparaître, et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine – AVAP –, les cités historiques devraient contribuer à rendre plus lisible le paysage juridique patrimonial tout en conservant – j'insiste sur ce point – le double niveau de protection qui assure la pertinence des dispositifs actuels.

Sur le fond, le transfert aux collectivités locales de la maîtrise d'ouvrage du plan local d'urbanisme (PLU) dit patrimonial comme du plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) a suscité des interrogations tout à fait légitimes, notamment de la part de nombre d'élus locaux. Qu'en est-il de l'assistance technique et financière de l'État ? Quel contenu donner au PLU dit patrimonial ? Quel contrôle de l'État sur ces dispositions ?

J'ai la conviction qu'il faut renforcer dans le texte le rôle, historique en ce domaine, de l'État. C'est d'ailleurs ce que fait un amendement du Gouvernement qui clarifie ses intentions en matière de soutien financier et technique aux collectivités dans l'élaboration de leur PLU patrimonial.

Il faut aussi préciser ce que sera le plan local d'urbanisme dit patrimonial afin d'apporter toutes les garanties de protection aux acteurs institutionnels et associatifs particulièrement actifs dans notre pays.

Je ne ferai qu'évoquer dans mon propos liminaire les dispositions de l'article 24 relatives à la protection des objets mobiliers, qui répondent opportunément à des questions qui se posent depuis plusieurs décennies, ainsi que celles de l'article 26, qui permettront d'instaurer un dialogue fécond entre les institutions et les propriétaires d'immeubles labellisés au titre du patrimoine architectural récent.

Je m'attarderai davantage sur ce qui permettra d'illustrer dans la loi la stratégie nationale pour l'architecture que vous avez souhaité lancer, madame la ministre, avec la détermination que l'on vous connaît.

À ce titre, le projet de loi offre une dérogation intéressante aux règles relatives au gabarit et à la surface constructible. Toutefois, comme elle ne concerne qu'un champ limité, celui des projets ayant déjà obtenu une dérogation au titre des zones denses, de performances énergétiques élevées ou de la diversification de l'habitat, il peut être utile de lui donner plus d'envergure. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai une série d'amendements visant à ne retenir que deux critères, au lieu de trois – la qualité architecturale associée à la création ou à l'innovation – et à porter à 10 % le bonus de constructibilité, actuellement fixé à 5 % dans le projet de loi.

Je proposerai également une série d'amendements qui mettent en oeuvre la partie législative des propositions de la mission d'information sur la création architecturale dont le rapport a été rendu en juillet 2014, mission dont notre commission a été, comme vous le savez, à l'initiative. Il me paraît notamment important d'abaisser le seuil au-delà duquel il est obligatoire de recourir à un architecte. Fixer dans la loi un seuil de cent cinquante mètres carrés de surface de plancher est une mesure à la fois d'incitation mais aussi de nécessaire simplification. Cela permettra en outre de remédier aux récentes turpitudes réglementaires que ce seuil a connues.

Afin d'encourager les particuliers à recourir à un architecte en dessous de ce seuil, il faut aussi conférer un avantage réel au fait de confier son projet à un architecte. À cet égard, un permis aux délais d'instruction réduits serait à la fois efficace et justifié.

Je souhaite également que le concours d'architecture soit consacré dans la loi et que le principe d'un dialogue entre les candidats et le maître d'ouvrage à un moment donné de la procédure soit posé pour mettre fin à certains effets négatifs et même pervers de l'anonymat qui peuvent porter atteinte à la qualité de certains projets.

En outre, j'ai souhaité déposer un amendement traduisant, par le biais d'une expérimentation, la nécessité de passer, en matière de normes, d'une logique de moyens à une logique de résultat, avec un seul objectif : libérer l'extraordinaire potentiel de la création architecturale dans notre pays. Je proposerai également par un amendement une disposition sur les zones franches architecturales qui permettrait au plan local d'urbanisme de déterminer des zones au sein desquelles les règles sont volontairement allégées et où les permis de construire sont délivrés sur la base de la qualité architecturale du projet et non du seul respect des règles d'urbanisme.

Après cette présentation, j'ajouterai que nous avons été amenés, dès la fin du mois de juillet, à procéder à de nombreuses auditions des acteurs directement concernés par les dispositions de ce projet de loi.

Il nous faut maintenant effectuer un travail utile en exerçant de manière dynamique et intelligente notre droit d'amendement pour que nous puissions dire après le vote du projet de loi : « J'y étais ! J'ai participé à un moment historique ! » (Exclamations diverses). Oui, chers collègues, car nous aurons inscrit pour la première fois dans la loi les objectifs de la politique publique de la culture dans notre pays, politique à laquelle nous sommes si attachés les uns et les autres et nous aurons permis d'assurer de manière plus cohérente et plus efficace la protection de notre patrimoine architectural.

Que nous vivions de la manière la plus sereine qui soit, comme c'est notre habitude à la commission des affaires culturelles, ce moment historique dans notre vie de parlementaire !

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