Si nous avons pu unanimement nous émouvoir des atteintes portées au patrimoine et à la création – je m'indignais il y a dix jours des dégradations nauséabondes commises contre les oeuvres d'Anish Kapoor – il faut bien reconnaître que le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui ne masquera pas le vide de la politique culturelle du quinquennat de François Hollande. Souvenons-nous de la tirade de Dom Juan dans la scène II de l'acte V : « l'hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus ».
Madame la ministre, même si je suis scandalisé par la bêtise de ces tags au contenu révoltant sur le désormais célèbre Dirty Corner, alias « vagin de la Reine », restons pour autant lucides : ce n'est pas Anish Kapoor, artiste mondialement connu, dont l'inauguration de l'exposition a donné lieu à une invitation des plus fastueuses pour sept cents couverts, et à qui l'on a autorisé par une dérogation totalement inédite à faire un important terrassement dans le parc, qui est aujourd'hui le plus menacé dans sa création.
La principale menace, dont nous devons nous préoccuper en notre qualité de législateur, est la fragilisation actuelle des mécanismes qui ont fait la renommée de notre culture. Regardons les choses en face : le dispositif d'enseignement culturel imaginé par Marcel Landowski est fragilisé par la suppression des financements de l'État. La décentralisation, qui avait permis l'explosion des pratiques culturelles, notamment à travers la multiplication des festivals, est en panne du fait des nouvelles contraintes financières qui pèsent sur les collectivités territoriales. Le mécénat, mis en place par la loi de 2003, est en régression du fait de la crise. Le soutien à la création française des auteurs et compositeurs est fragilisé par les nouvelles règles du marché de l'art imposé par la « culture-business » et les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon. Le modèle que constituait la protection du patrimoine en France est directement remis en cause par la baisse des crédits d'État et l'engorgement des services.
Avec Christian Kert, qui s'est particulièrement penché sur la question de la création, et nos collègues du groupe Les Républicains, je vous invite à vous interroger sur les vraies raisons d'une telle fragilité, aujourd'hui, de la création, du patrimoine et de l'architecture.
Commençons par dresser deux constats. Le premier : depuis 2012, la culture n'est pas une priorité pour le Gouvernement. Si le budget 2015 a été stabilisé, il n'en demeure pas moins qu'il entérine une chute libre des crédits. Sur ces trois derniers exercices, les moyens dévolus à la mission culture sont en baisse de 132 millions d'euros – soit 4,8 % – et l'effort budgétaire est très largement supporté par le programme « Patrimoine », dont les crédits sont en recul de 117 millions d'euros, soit 12,6 %.
Second constat : à défaut de moyens, ce projet de loi devrait être un projet de combat, un projet imaginatif. Or nous avons du mal à saisir l'unité et la vision d'ensemble de ce texte. En l'absence de ce souffle, nos auditions – et je voudrais en cette occasion féliciter notre rapporteur pour son impressionnant travail, auquel je me suis associé tant que faire se peut – se sont transformées en une succession de revendications professionnelles, certes intéressantes, mais donnant au final le sentiment d'une politique culturelle sans créativité, le sentiment d'une période régressive. Plus inquiétant encore : sur ces quarante-six articles, nombre sont inspirés d'une logique défensive de l'administration de votre ministère, comme si, conscient qu'il n'arrivait plus à faire face à toutes les charges qui lui incombent, il cherchait à construire des digues de protection.
Notre souci, au moment d'aborder cette discussion, sera de dégager de ce projet de loi les grands enjeux du moment pour la politique culturelle en France.
Le premier de ces enjeux est celui du devenir de notre culture. C'est au fond le sujet qui est abordé à travers l'affirmation de la liberté de la création. Mais permettez-moi de penser qu'il est traité ici de manière quelque peu régressive. Depuis 2012, votre majorité nous a appâtés avec une grande réflexion sur l'acte II de l'exception culturelle, faisant notamment suite au rapport Lescure. Le bouleversement introduit par internet, dont les principaux acteurs aspirent à la domination sans partage sur la culture, ravalée au rang de contenu et de données, remet en cause toutes les régulations culturelles qui font la spécificité du modèle français. Sur ces grandes questions, le texte n'apporte pas une vision d'ensemble. Votre ministère doit au contraire composer avec un texte sur le numérique qui fait peser une lourde menace sur le droit d'auteur. Nous vous ferons des propositions.
Le deuxième enjeu, c'est celui du présent, celui de la démocratisation. Je ne crois pas trahir l'ambition de votre gouvernement en ce domaine que tous les gouvernements, de droite ou de gauche, partagent depuis Malraux, et qui prend une valeur toute particulière aujourd'hui alors qu'un nombre croissant de Français reste en marge de la culture. Malraux, lors de l'inauguration de la maison de la culture de Bourges, exprimait déjà ses craintes devant une humanité investie par d'immenses puissances de fiction. Il ne connaissait pourtant pas internet, mais seulement la télévision. Et Malraux, avec l'incroyable puissance visionnaire qui était la sienne, prophétisait : « ces puissances de fiction sont aussi des puissances d'argent. Et ces puissances d'argent utiliseront ce qui est le plus puissant sur les rêves des hommes, le sexe et le sang ». « Nous sommes dans une civilisation qui est en train de devenir vulnérable » écrivait l'auteur de L'espoir. Et de conclure son exorde en invitant la France à reprendre sa mission : apporter à tous un contact avec la culture. Nous vous invitons donc à prendre des dispositions claires en faveur de l'enseignement artistique aujourd'hui menacé.
Troisième enjeu : celui de la valorisation de notre passé. Cette loi inquiète, tous les acteurs du patrimoine que nous avons rencontrés nous l'ont dit. Au fond, la loi de 1913, le socle, est une loi exceptionnelle. Aujourd'hui, le projet de loi qui nous est proposé fragilise ce socle et inquiète tous les acteurs du patrimoine.
Au final, madame la ministre, je pense qu'il s'agit d'une occasion ratée. Mais au sein du groupe Les Républicains, nous sommes là pour être constructifs et nous allons essayer de vous aider à faire de ce texte un texte important.