Au nom du groupe Écologiste, je suis ravie qu'au bout de trois ans, nous débattions enfin d'un grand projet de loi sur la culture dans cette commission. Ce long délai a naturellement créé beaucoup d'attentes chez nous, vous vous en doutez.
Pendant longtemps, la précédente ministre a invoqué le rapport Lescure – en cours – pour justifier l'absence d'une telle loi. Ce rapport est paru il y a deux ans et demi aujourd'hui. Le rapport Lescure n'était pas exempt de défauts, mais il soulevait de vraies questions. Il attirait l'attention sur les limites atteintes par le mécanisme de la copie privée face aux évolutions numériques ; il appelait à assouplir la chronologie des médias pour accélérer la mise à disposition des oeuvres ; il envisageait la possibilité de mettre en place des régimes de gestion collective obligatoire pour les exploitations numériques des oeuvres.
Ce rapport prenait aussi en compte la question des nouveaux usages et il comportait une série de mesures de rééquilibrage : la promotion de l'interopérabilité et le contrôle de la gestion des droits numériques (Digital Rights Management – DRM) ; le développement d'offres de ressources numériques en bibliothèques ; l'extension des exceptions au droit d'auteur, notamment en faveur des usages pédagogiques et de recherche ou des usages transformatifs, tels que mashup ou remix. Il proposait aussi une consécration positive du domaine public et l'utilisation des licences libres, notamment pour les oeuvres subventionnées par de l'argent public. Nous souhaitons sincèrement que ces points soient ajoutés à cette loi. Certains de nos amendements vont dans ce sens, et nous en déposerons d'autres pour la séance.
En tant que chef de file du groupe Écologiste, je tiens cependant à vous faire part de nos regrets concernant le calendrier de ce projet de loi. Il est en effet difficile de préparer sereinement des amendements alors que les auditions du rapporteur ont eu lieu durant l'été, en dehors des sessions extraordinaires de juillet et septembre. Les articles sont nombreux, et traitent de manière technique de sujets très variés. Enfin, nous avons découvert hier de nombreux amendements du rapporteur et du Gouvernement. Nous espérons que la deuxième lecture nous permettra un travail beaucoup plus approfondi.
Votre projet, madame la ministre, consacre la liberté de création. C'est important. La créativité de nos compatriotes a une valeur inestimable. Certains l'ont très bien compris, et essaient de se l'accaparer, notamment par des contrats qui contournent les lois ou profitent de leurs angles morts liés à l'évolution technologique. Il est de notre devoir moral, éthique et philosophique de faire en sorte que les créateurs de demain aient accès à toute la création d'hier, sans contrainte. Nous sommes un pays connu grâce à ses artistes, quelle que soit la discipline. C'est pourquoi je vous proposerai une définition positive du domaine public. Si nous protégeons aujourd'hui le domaine public, nous offrirons demain au plus grand nombre un accès à toutes les oeuvres qui fondent notre culture commune.
J'attends également de cette séance de commission une clarification de la situation de l'INRAP dans le secteur de l'archéologie préventive. Dans un contexte où d'autres opérateurs publics et privés se partagent un marché de plus en plus réduit, il est crucial d'éviter que le moins-disant financier sorte le plus souvent gagnant des appels d'offres, et que l'étape de post-fouilles soit trop régulièrement bâclée.
Un autre point majeur de ce projet de loi est l'intégration de l'appellation « Cité historique » aux plans locaux d'urbanisme. Certains maires, y compris socialistes, se sont sentis abandonnés face à la simplification annoncée des protections actuelles du patrimoine urbain avec l'appellation unique « Cité historique » et la gestion de cette appellation par le plan local d'urbanisme. Didier Herbillon, maire de Sedan, explique : « Je ne suis pas un ayatollah du patrimoine. Mais si les collectivités choisissent seules les régimes de protection de leur patrimoine, elles iront au moins contraignant. C'est le vrai souci de cette loi. La décision doit rester celle de l'État. »
Ne perdons pas de vue que les élus locaux sont en première ligne face aux pressions des habitants. Le système actuel garantit une vraie indépendance des responsables de la protection du patrimoine. Pascal Planchet, professeur de droit à l'université de Lyon, précise : « Dans la nouvelle loi, il n'y a pas assez de garde-fous pour éviter que les communes affaiblissent le degré de protection de leur patrimoine. »
Madame la ministre, nous vous remercions de votre présence. Nous avons souvent vu des débats reportés à la séance dans l'attente d'une consultation du ministre concerné. Nous entamons une journée marathon, avec trois séances de commission prévues, pour débattre de quatre cent vingt-neuf amendements. Le temps que vous nous consacrez aujourd'hui sera une source précieuse d'efficacité.