Le Premier ministre ne s'est pas trompé en confiant cette mission à deux grandes personnalités rhônalpines, spécialistes l'une des questions de transport – Michel Destot a présidé le GART, le Groupement des autorités responsables de transport –, l'autre des questions de financement puisque Michel Bouvard est l'ancien président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts.
Le projet est ancien : le président François Mitterrand en parlait dès 1991. Il est au coeur des relations franco-italiennes depuis plus de quinze ans. Du reste, il bénéficie du soutien de la Commission européenne : il figurait déjà dans la liste d'Essen ; il est éligible au Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) ; il a fait l'objet au mois de mars à Innsbruck d'une déclaration commune des ministres des transports de l'arc alpin et de la commissaire Bulc.
Bien au-delà de sa dimension économique, ce projet majeur de transfert modal a pour ambition de réduire l'impact environnemental du transport routier dans le milieu fragile qu'est la montagne et de renforcer la sécurité après l'accident dramatique du tunnel du Mont-Blanc, en 1999. C'est aussi un projet géopolitique qui vise à inscrire le grand Sud-Est dans une euro-région délimitée par Lyon, Turin et Barcelone. Telle était en tout cas l'idée forte qu'un grand maire de Lyon, Raymond Barre, défendit à partir de 1990, lorsque le centre de gravité de l'Europe eut basculé vers l'Est.
Ce que l'on reproche à ce projet, à part son inutilité, c'est son coût et la manière de le financer ; il s'agit en effet de l'une de ses principales difficultés. Mais, en bons connaisseurs du sujet, vous montrez que nos voisins suisses, autrichiens et italiens ont, par des moyens différents, engagé des projets comparables et trouvé les ressources nécessaires, et que le coût de la part française du financement du tunnel de base n'a rien d'extravagant, comparé à celui de certains projets de ligne à grande vitesse en cours de réalisation.
Vous proposez un financement mixte qui mobilise trois ressources : le financement européen, à hauteur de 40 % – un peu plus en réalité, nous le savons depuis l'été, mais sur une assiette plus réduite que celle qui était envisagée pour la première part ; une taxation additionnelle au titre de la directive Eurovignette de 1999 modifiée en 2011, dont vous avez solidement étayé la faisabilité juridique par l'exemple autrichien, et que vous évitez, avec prudence et réalisme, de porter au niveau maximal autorisé ; le financement d'État enfin, qui pourrait transiter par l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).
J'aimerais d'abord vous interroger sur l'acceptabilité de l'augmentation des tarifs des autoroutes et des tunnels routiers, à l'heure où les transporteurs routiers sont confrontés à des difficultés préoccupantes et alors que l'affaire de l'écotaxe poids lourds a montré les limites du recours à la tarification de la route dans notre pays.
Ma deuxième question concerne les risques relatifs à l'évolution du trafic dans le tunnel, mais aussi sur les infrastructures routières taxées, ce qui nécessitera une compensation ; mais vous y avez déjà en partie répondu.
La troisième porte sur le financement par l'État dans le cadre de l'AFITF. De cette dernière, on attendrait aujourd'hui 600 millions d'euros. Or le triennal limite ses capacités d'intervention à 1,9 milliard d'euros, ce qui est à peine suffisant pour honorer les engagements déjà souscrits par l'État. L'Agence a ainsi pris du retard s'agissant du financement des lignes à grande vitesse et doit 600 millions d'euros à Réseau ferré de France. Il faudrait donc alléger la contrainte qui pèse sur elle pour lui permettre de financer le projet Lyon-Turin ou celui du canal Seine-Nord Europe, autre projet majeur à caractère européen et international. Voilà qui dépend d'une décision politique à débattre, notamment dans le cadre de la discussion budgétaire en commission des finances.
En effet, les études de soutenabilité financière conduites par l'Agence montrent que celle-ci a besoin de 2,6 milliards d'euros par an pour honorer l'ensemble de ses engagements déjà souscrits et à venir. Ces recettes sont-elles introuvables dans les délais qui nous sont impartis ? Ce n'est pas certain. La mésaventure de l'écotaxe poids lourds et son remplacement par la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ont montré qu'il était possible de mobiliser une recette dynamique, indolore à une période où le cours du pétrole est en baisse, et qui pourrait suffire à financer des projets tels que le Lyon-Turin ferroviaire, à condition de l'augmenter très modérément – d'un centime au cours des deux ans à venir, de deux centimes ensuite et pour la prochaine décennie. Cette évolution, tout à fait envisageable, serait également vertueuse puisqu'elle va dans le sens du rapprochement entre le prix des carburants diesel et celui des non diesel.