Intervention de Antoine Homé

Réunion du 8 septembre 2015 à 13h30
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Antoine Homé, secrétaire général de l'Association des petites villes de France :

C'est la raison pour laquelle il m'a demandé d'intervenir devant vous au nom de l'association.

L'APVF fédère les villes comptant entre 2 500 et 20 000 habitants. Elle comprend des bourgs-centres situés en zone rurale mais aussi de nombreuses villes de banlieue comme ma commune de Wittenheim qui appartient à la communauté d'agglomération de Mulhouse Sud-Alsace dont je suis le vice-président.

L'état des lieux des finances des petites villes effectué en 2014 permettait déjà de faire plusieurs constats préoccupants. On notait une stagnation des recettes de fonctionnement, leur augmentation de 0,6 % correspondant à une légère baisse en euros constants. Cette évolution trouvait son origine, d'une part, dans un début de baisse des dotations – les « petites villes » y ayant participé à hauteur de 178 millions d'euros – et, d'autre part, dans une faible utilisation du levier fiscal qui n'a pas permis un rebond des recettes – elles ne progressaient que de 1,9 %. Nous observions aussi un ralentissement des dépenses de fonctionnement qui augmentaient en 2014 de 2,3 %. Je rappelle que cet indice prend de fait en compte une longue série de dépenses contraintes car, dans notre beau pays, les dépenses sont décidées au niveau central mais financées au niveau local, ce qui constitue un cas unique en Europe – d'expérience, l'élu transfrontalier que je suis peut vous dire que, dans les autres démocraties européennes, celui qui décide paie.

De plus, alors que la baisse des investissements du bloc communal était, en 2014, en moyenne, de 12 %, la chute pour les « petites villes » était d'ores et déjà très forte avec un recul de 16,4 %.

Si de nombreux membres de l'APVF sont conscients de la nécessité de participer à l'effort de redressement des finances publiques du pays, le problème vient de l'importance et de la rapidité de la baisse des dotations. Nous avons été pris de court par un phénomène extrêmement fort qui a des conséquences non seulement sur l'investissement mais aussi sur le fonctionnement de nos communes.

Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, l'APVF a saisi les plus hautes autorités de l'État pour demander un étalement des baisses de dotations sur la durée du mandat municipal ainsi que la garantie d'un retour à meilleure fortune en cas de reprise de la croissance.

Les disparités à l'intérieur des strates de collectivités sont très fortes, mais il ne s'agit pas d'opposer les communes urbaines et les communes rurales. Les critères qui servent aujourd'hui à mesurer la richesse des collectivités ne sont pas satisfaisants. Un travail est en cours auquel je participe concernant la DGF. L'APVF plaide pour que l'on renforce les critères de revenu par habitant et pour la prise en compte de l'effort fiscal concernant l'éligibilité et la répartition des dotations.

En 2014, la fiscalité locale n'a pas permis de maintenir les recettes. Les bases de la fiscalité économique et de la fiscalité des ménages sont obsolètes. En matière de fiscalité économique, la réforme en cours a montré l'existence d'effets de bascule entre les commerces de centre-ville et ceux de périphérie. Nous essaierons d'y remédier, mais ce qui est proposé aujourd'hui ne peut en tout état de cause être mis en oeuvre en l'état, sauf à aller à l'encontre des objectifs recherchés. En matière de fiscalité applicable aux ménages, nous ne disposons pas de véritables leviers. Dans un contexte économique et social difficile, les collectivités ayant des taux assez bas pour envisager une augmentation les impôts directs locaux sont bien peu nombreuses – il s'agit d'impôts dont la structure est de surcroît particulièrement injuste. En 2015, en moyenne, les taux des impôts locaux restent stables dans 75 % des petites villes. Moins d'un tiers des petites villes disposent encore d'une vraie marge fiscale et sont véritablement très en deçà des taux moyens de leur strate. À supposer que ces dernières décident de faire progresser les taux, les recettes fiscales globales des petites villes resteraient quasiment stables – elles n'augmenteraient que de 0,6 %.

Ces différents constats témoignent d'une situation de grand blocage, même si, comme toujours, on compte quelques collectivités qui font exception. Plus de 70 % des petites villes ont peu ou pas de marges fiscales.

En matière de fiscalité économique, la suppression de la taxe professionnelle n'a pas été digérée par le bloc communal, que la compétence soit exercée au niveau communal ou intercommunal, et la nouvelle fiscalité locale des entreprises est encore trop instable. Des débats sont en cours sur la part plus importante de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) que pourraient obtenir les régions – éventuellement au détriment des départements. Ces débats sont peut-être légitimes mais ils compliquent la donne pour ce qui nous concerne. Nous les suivons avec une certaine inquiétude.

Tout cela illustre bien la très faible autonomie fiscale du bloc communal.

En fait, l'autofinancement constitue le véritable problème auquel sont confrontées les collectivités locales. On nous parle d'investissements et de fonds d'investissement ; c'est bien. Mais si le fonctionnement n'est pas assuré et si l'épargne n'est pas au rendez-vous, les fonds d'investissement ne seront pas suffisants pour apporter les ressources propres nécessaires au bouclage des plans de financement.

L'APVF a fait plusieurs propositions. Avec Mme Laurence Tartour, chargée de mission pour les finances locales de l'Association, qui m'accompagne aujourd'hui, nous avons proposé une réforme du FCTVA pour permettre de manière pérenne un remboursement intégral et immédiat de la TVA. Depuis, le Premier ministre a fait des annonces en la matière et certains progrès ont été enregistrés. Nous avons également suggéré que les frais de gestion soient reversés au bloc communal, comme cela a été le cas pour les départements et les régions. Le montant de ces frais se justifie-t-il ? Il est en tout cas très élevé et permettrait d'amortir la baisse des dotations.

Nous sommes aussi favorables à une juste compensation financière des dépenses contraintes. Je suis un fervent partisan de la réforme des rythmes scolaires que j'ai mis en oeuvre dès 2013 dans ma commune – ce qui m'a valu pas mal de difficultés sur le terrain même si tout se passe bien aujourd'hui. Il n'en demeure pas moins que le coût restant à la charge de la commune demeure très important. Le fonds de soutien, qui a heureusement été pérennisé, ne couvre qu'une faible part des charges générées par la réforme. Je suis vice-président du Conseil national d'évaluation des normes que préside M. Alain Lambert, et nous constatons qu'en la matière les choses progressent très lentement. La loi prescrit souvent des normes pour d'excellentes raisons – Grenelle de l'environnement, agendas d'accessibilité programmée… –, mais ce sont ensuite les collectivités territoriales qui doivent les appliquer sur le terrain.

Aujourd'hui, nous avons de réelles inquiétudes concernant le financement et le fonctionnement des services publics. Nous constatons que des agents ne sont pas remplacés et que de grandes collectivités, de gauche comme de droite, ont joué la facilité en se séparant massivement de leurs personnels en contrat à durée déterminée. De très nombreux agents contractuels ont perdu leur emploi. Les départs à la retraite ne sont pas compensés, sinon parfois par les emplois d'avenir pour lesquels se pose précisément la question de l'avenir : quid de la pérennité de ces postes d'ici à trois ans ? Beaucoup de maires jouent aujourd'hui sur un effet report, mais qu'en sera-t-il demain ?

Nous constatons également des hausses de tarifs ainsi que des fermetures partielles ou totales d'équipements : équipements sportifs, crèches, structures d'accueil périscolaire ou de restauration collective… Le secteur de la culture est particulièrement touché : une centaine de festivals ont ainsi été supprimés en France. La vigueur culturelle constituant l'un des points forts de notre pays, il faut véritablement prendre la mesure d'une telle évolution.

De nombreuses charges contraintes pèsent sur les petites villes. Celles ayant des charges contraintes ou moyennement contraintes, charges mesurées selon le montant du revenu par habitant, sont au nombre de 2 221 sur 3 000 – pour toutes ces petites villes, le revenu par habitant est inférieur à 15 000 euros. Pour ces communes, non seulement la diminution des dépenses réelles de fonctionnement est beaucoup plus compliquée à mettre en oeuvre mais ces réductions s'opéreront au détriment de la qualité du service et pèseront sur le pouvoir d'achat des ménages sans même qu'in fine cela ait un effet vertueux sur l'économie nationale et la croissance – à vrai dire, nous sommes même convaincus que cela aura l'effet inverse.

La plupart d'entre vous le savent, les élus locaux sont actuellement déprimés. Ils s'inquiètent pour l'avenir financier de leur collectivité. Dans un climat anxiogène, par crainte que l'impasse budgétaire les concerne dans les années qui viennent, nombreux sont les maires qui réduisent leurs investissements, les rééchelonnent ou tout simplement y renoncent. J'ai moi-même différé dans ma commune la mise en place d'un équipement culturel pourtant bien nécessaire.

De surcroît, nombreux sont les maires et les adjoints qui constatent, au fil des années, l'existence de normes toujours plus lourdes, une réelle instabilité juridique, des contraintes financières toujours plus importantes alors même que les demandes des concitoyens ne faiblissent pas. Les élus en ont aujourd'hui assez. Je m'apprête à déposer pour ma commune le dossier d'Agenda d'accessibilité programmée (ADAP) : je ne conteste pas la nécessité de mettre en oeuvre la loi sur le handicap qui n'était pas appliquée, mais dans un contexte de baisse des dotations, cela représente un véritable choc financier pour ma petite commune. Je suis censé mettre en conformité une quarantaine de bâtiments pour un montant théorique de 9 millions d'euros ! Nous ne pouvons pas rester dans une telle situation et subir de tels effets de ciseaux.

Pour beaucoup d'élus, l'équation budgétaire est devenue impossible à résoudre. Si le rythme de la baisse des dotations se maintient, de nombreux maires se retrouveront dans l'incapacité de gérer leur commune et, assez rapidement, en capacité d'autofinancement nette négative.

De multiples rapports ont déploré « l'explosion des recrutements » dans les collectivités, l'importance des recettes fiscales, ou plus généralement une gestion dispendieuse des collectivités locales. Tout cela est finalement assez facile lorsque l'on s'exprime depuis les arrondissements du centre de Paris. Il est bon de rappeler que, contrairement à l'État ou aux organismes de sécurité sociale, les collectivités locales sont soumises à la « règle d'or » et qu'elles ne peuvent financer que leurs investissements par la dette.

Les collectivités locales ne refusent absolument pas de participer à un effort de maîtrise des finances publiques ; elles s'y emploient même depuis de nombreuses années pour la majorité d'entre elles. En revanche, il convient de ne pas minimiser le rôle d'amortisseur économique et social qu'elles assument. S'il fallait l'illustrer, vous constaterez que le ministre de l'intérieur vient de s'adresser aux maires pour accueillir des réfugiés. Ma commune recevra par exemple deux familles de Syriens. Les maires sont les véritables fantassins du service public : ils répondent présents lorsque l'on fait appel à eux. Il faut mesurer à cette aune l'incidence nocive des coupes budgétaires opérées sur les collectivités.

Dans le même sens, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales doivent être évaluées à la lumière des dépenses contraintes. La Cour des comptes semble avoir pris conscience de ce facteur comme en témoignera la prochaine édition du rapport sur les finances publiques locales selon ce que nous a annoncé son Premier président.

L'APVF est largement mobilisée concernant la baisse des dotations. Elle insiste sur le fait que les conséquences de cette baisse sur les investissements et le fonctionnement des services publics commencent à être ressenties par les entreprises et les usagers des services. Qu'elle concerne les subventions périscolaires ou celles accordées aux centres sociaux ou aux maisons des jeunes et de la culture (MJC), une telle évolution n'est pas sans poser de réelles questions quelques mois seulement après « Charlie ».

L'APVF entend bien poursuivre son action et sa mobilisation là où elle sera la plus efficace. Nous ne contestons pas la nécessité de maîtriser la dette, mais le rythme des baisses qui nous sont imposées et leur échelonnement méritent d'être discutés. On peut probablement trouver des compromis intelligents – j'ai évoqué des propositions relatives au FCTVA ou aux frais de gestion. Il faut profiter de cette période de préparation de la prochaine loi de finances pour explorer diverses pistes et en ouvrir un certain nombre.

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