Intervention de Thomas Rougier

Réunion du 9 septembre 2015 à 16h30
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Thomas Rougier, directeur des études de la Banque Postale Collectivités locales :

Je tiens d'abord à vous dire combien je suis honoré d'avoir été invité par votre commission.

Il a été décidé de créer au sein de La Banque Postale Collectivités locales une section des études qui se consacre à plein temps à l'analyse des finances des collectivités locales. Elle dispose à cette fin de ressources diverses et variées – données de la direction générale des finances publiques (DGFIP), de la direction générale des collectivités locales (DGCL), de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) – complétées par les informations remontées de notre réseau. Notre vision est avant tout macroéconomique. Les tableaux d'ensemble que nous dressons recouvrent des réalités très contrastées et l'un des éléments centraux de l'évolution des finances locales sera précisément l'accentuation de la disparité historique des finances des différentes collectivités locales, compte tenu des enjeux posés par la baisse des dotations d'État. La situation des collectivités les plus en difficulté tendra à davantage ressortir.

J'imagine que votre commission s'est déjà largement penchée sur les premiers résultats de l'année 2014 ; c'est pourquoi j'ai choisi de m'intéresser ici aux estimations pour 2015, lesquelles sont appelées à être réajustées dans une nouvelle note de conjoncture le mois prochain.

Tout d'abord, quel impact a eu la baisse des dotations sur la fiscalité locale ? On a craint le pire : la presse a parfois un peu rapidement annoncé une explosion de la fiscalité locale. D'après nos estimations – nous travaillons à partir d'échantillons et une confirmation plus globale sera nécessaire –, l'effet « taux » tournerait autour de 1,3-1,5 %, en prenant l'ensemble des taxes sur lesquelles les collectivités, toutes catégories confondues, ont un pouvoir de taux. Pour les départements, la hausse de fiscalité se situerait aux alentours de 0,7 %, une dizaine d'entre eux ayant choisi une hausse plus marquée. Cette évolution s'écarte de la tendance très plate observée ces dernières années, notamment parce qu'en 2014 les départements avaient pu utiliser l'option sur les droits de mutation, ce qui avait quasiment stoppé toute augmentation des impôts fonciers. Pour le bloc communal, notre estimation se situe autour de 1,6 %. Cette augmentation est nettement plus forte que les années précédentes, pendant lesquelles la hausse moyenne de la fiscalité locale était très faible. Toutefois, elle s'insère parfaitement dans les cycles classiques de l'augmentation de la fiscalité et colle aux tendances observées au lendemain d'élections.

En aucun cas, l'évolution constatée en 2015 ne peut être assimilée à une explosion de la fiscalité locale sur décision des collectivités, comme cela a pu être redouté. Sur l'ensemble de l'augmentation du produit fiscal des collectivités locales, tous niveaux confondus, on estime qu'un quart serait lié à une décision des collectivités – taxe sur les ordures ménagères, taxe d'habitation, taxe sur le foncier bâti –, les trois quarts restants étant imputables à un effet classique d'assiette en augmentation.

La baisse des dotations d'État n'a donc pas généré une augmentation massive de la fiscalité. Il en résulte que le stock des recettes fiscales des collectivités locales est caractérisé, comme les années précédentes, par l'atonie : les recettes de fonctionnement n'augmentent que de 0,5 %. En 2014, cette hausse avait été de 1 %, mais si l'on enlève les nouvelles recettes perçues par les départements, on approche du pourcentage constaté cette année. Nous considérons que cette atonie est une tendance durable.

Du côté des dépenses de fonctionnement, depuis plusieurs années, le rythme de croissance diminue. D'après nos estimations – appelées à être révisées, je le répète –, la hausse se situerait aux alentours de 2 % pour 2015. Cette atténuation de la croissance est corrélée à des éléments extérieurs tels que la faible inflation mais surtout à des décisions des collectivités locales. Elles ont tiré les conséquences de la baisse des recettes de fonctionnement mais n'ont toutefois pas réussi à contrebalancer totalement ses effets par les dépenses.

En conséquence, l'épargne brute, à laquelle les collectivités sont très attentives, est appelée à diminuer à nouveau en 2015. Il est déjà arrivé que l'autofinancement global des collectivités diminue, mais nous sommes face ici à une situation totalement inédite car c'est la quatrième année consécutive que l'on observe une telle baisse.

À cela s'ajoute une diminution de l'investissement, variable la plus difficile à estimer. Depuis plusieurs années que La Banque Postale publie des notes de conjoncture, nous avons voulu alerter les acteurs sur l'évolution de l'investissement public local qui, au-delà de l'effet de cycle, a été affecté par la stabilité, le gel, puis la baisse des dotations. En 2014, cette diminution de l'investissement avait été de 5 milliards ; en 2015, elle se poursuit avec 3,9 milliards en moins. Si un tel phénomène correspond à une évolution somme toute classique liée aux cycles électoraux, son ampleur est en revanche sans précédent.

Pour ce qui concerne les budgets principaux des communes et des groupements à fiscalité propre, qui occupent votre commission, la baisse s'élève, selon nos estimations, à 13 % en 2014 et est estimée à 11 % pour 2015. Autrement dit, en euros constants, cette diminution aura été de 23 % sur deux années.

Pour répondre à la difficile question de l'impact de la baisse des dotations sur l'investissement, nous avons fait des comparaisons avec les cycles précédents en remontant assez loin dans le temps – l'exercice est difficile car cela implique de regrouper cycles et degrés de décentralisation disparates. Nos estimations – qui tiennent ici un peu du calcul sur un coin de table – nous ont permis de faire apparaître, en prenant la moyenne de diminution des investissements communaux et intercommunaux sur cette période, que cette baisse de 23 % est liée pour 60 % à l'effet de cycle.

Pour expliquer les 40 % restants, plusieurs phénomènes se conjuguent.

Il s'agit tout d'abord de la baisse de l'épargne brute, qui n'est pas seulement imputable à la baisse des dotations de l'État. Les collectivités ont été confrontées à un phénomène d'usure de la fiscalité locale et des tarifs : on n'utilise plus tout à fait ce levier comme on le faisait auparavant. De l'autre côté, la demande en matière de dépenses, du fait de la part croissante de volets comme la formation et l'action sociale, est devenue beaucoup plus difficile à contraindre.

Entre également en compte l'évolution du besoin d'investissement public local, très difficile à évaluer. Depuis les premières lois de décentralisation, un énorme effort a été consenti par les collectivités locales : leur patrimoine a été multiplié par trois ; l'équipement public local n'a plus rien à voir avec ce qu'il était hier. Il faut également tenir compte d'un effet « besoin », qui peut se traduire par une pause dans les réseaux de transport et les autres équipements, mais qu'il nous est très difficile de mesurer.

Enfin, il faut évoquer la situation financière des départements, qui est réellement un sujet d'inquiétude. Priés de se reconcentrer sur leurs compétences, ils ont réduit leurs subventions aux communes et EPCI ainsi que les investissements directs en leur faveur, par un effet cascade. Pour 2015, ceux-ci s'élèvent à environ 2 milliards d'euros, soit 1 milliard de moins qu'en 2007, où ces versements avaient atteint un niveau record. Autrement dit, en moins de dix ans, le bloc communal a perdu un tiers du volume de subventions et d'investissements précédemment perçu.

Les départements, bien avant les communes et les intercommunalités, sont entrés dans un cycle de réflexion sur la dépense, qu'il s'agisse des subventions et investissements en faveur de tiers ou des dépenses de fonctionnement, notamment en matière sociale. L'Observatoire national de l'action sociale (ODAS) a ainsi montré dans une étude récente, à laquelle nous avons contribué, comment ils ont dû adapter leurs dépenses d'action sociale – autres que le RSA, qui est à mettre à part – au nouveau contexte financier.

Un chiffre illustre les conséquences possibles d'une telle baisse : la part des subventions des départements dans les dépenses d'investissement des communes et des intercommunalités représente en moyenne 6 %, proportion qui s'élève à 17 % pour les petites communes de moins de 500 habitants. Autant dire que pour elles, la participation des départements est décisive : d'elle dépend, la possibilité ou non de monter un projet.

J'en viens à l'endettement des collectivités locales. Pour 2015, on s'attend à une hausse de l'encours de dette, mais moindre qu'auparavant : de l'ordre de 3 milliards à 3,5 milliards d'euros, montants à mettre en regard avec les augmentations de 6 à 9 milliards relevées entre 2007 et 2009. Ce ralentissement est heureux, compte tenu de la baisse des investissements ; nous n'aurons toutefois confirmation de cette tendance qu'à la fin de l'année, période où le recours à l'endettement est plus important. Il faudra également prendre en compte les ponctions sur la trésorerie, qui ont tendance à s'accentuer à la suite des fortes augmentations de stocks des années antérieures. Là encore, il est difficile de faire des estimations en cours d'année.

Après avoir évoqué les constats généraux, je vais m'attarder sur les projections que nous avons élaborées à partir d'une étude sur les petites villes réalisée en partenariat avec l'Association des petites villes de France. Je rappelle que les petites villes sont des communes de 3 000 à 20 000 habitants et qu'elles concentrent 30 % de la population française.

Dans cette étude, nous avons appliqué une méthode que nous avons mise au point avec nos équipes depuis quelques mois : nous nous sommes focalisés sur l'épargne brute plutôt que sur les niveaux d'investissement. Le service public renvoie certes à l'investissement, mais aussi aux dépenses de fonctionnement. Et je me suis rendu compte que plus nous répondions aux sollicitations extérieures concernant l'investissement, moins il était question des dépenses de fonctionnement, ce qui aboutit à occulter un pan entier des compétences propres des collectivités locales : l'observateur extérieur a par trop tendance à confondre dépenses de fonctionnement et dépenses administratives. Pour vous dire le fond de notre pensée, nous estimons que les investissements seront dépendants de la capacité des collectivités à inverser la tendance à la baisse de l'épargne brute.

Les collectivités ne peuvent plus être traitées à un niveau aussi macroéconomique qu'auparavant. Nous avons délaissé les visions générales pour établir des regroupements plus précis selon les dépenses et les recettes de fonctionnement.

Pour les recettes de fonctionnement, nous avons ainsi divisé les petites villes en trois catégories : celles qui peuvent utiliser leur pouvoir de taux, celles qui peuvent le faire modérément et celles qui ne peuvent plus le faire. Les simulations, qui ont tenu compte de la baisse des dotations et de diverses hypothèses, aboutissent à une tendance de 0,2 % de hausse de 2014 à 2017, cette moyenne recouvrant des différences entre groupes de communes allant de hausses de 0,6 % à des baisses de 0,1 % : autrement dit l'écart annuel est de 0,7 point selon que les communes peuvent ou non utiliser leur marge fiscale – sachant qu'entre disposer d'une marge fiscale et l'utiliser, il y a une différence et que ce que voit d'abord le contribuable, c'est l'augmentation sur sa feuille d'impôt. Afin de maintenir l'autofinancement, la croissance des dépenses de fonctionnement doit être plafonnée à 0,2 %, voire 0,3 % si le montant des recettes est plus important. Cela étant, il ne nous paraît pas judicieux d'anticiper une telle hausse des dépenses de fonctionnement des communes, quelle que soit leur taille, pour les prochaines années.

Pour les dépenses de fonctionnement, nous avons également procédé à des regroupements en fonction d'un critère que nous apprécions : le revenu par habitant – le revenu moyen, à défaut de pouvoir disposer du revenu médian. Dans notre modèle, nous avons soumis toutes les communes à l'hypothèse d'un ralentissement des dépenses, tendance que l'on observe aujourd'hui, et nous avons décomposé l'échantillon selon des taux différenciés d'efforts pour contenir les dépenses, l'effort demandé étant d'autant plus important que le revenu est élevé. Ainsi, nous avons élaboré trois groupes : un premier soumis à un effort de diminution de 1,5 %, un autre de 1 % et un dernier, celui où le revenu moyen est le plus faible, de 0,5 %. Pour l'ensemble des petites villes, le taux de croissance des dépenses de fonctionnement est de 1,3 %. Certains y verront toujours une croissance, mais pour moi, cela constitue un réel effort : rappelons que les taux observés ces dernières années qui étaient de l'ordre de 2,7 % par an en moyenne.

Avec une hausse de 1,3 % des dépenses de fonctionnement et de 0,2 % des recettes de fonctionnement, la baisse de l'autofinancement se poursuit, se situant aux alentours de 5,5 % par an. Une petite ville sur dix maintient son épargne ou la fait progresser entre 0 et 3 % tandis que neuf sur dix voient leur épargne baisser dans des proportions variables – un quart des petites villes du modèle affiche une baisse de 10 % de leur épargne brute. Ce n'est pas un sous-ensemble mineur : rappelons que les petites villes regroupent 30 % de la population française.

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