Merci de ces nombreuses questions. Je ne réussirai certainement pas la mission impossible de répondre à toutes, et nous vous apporterons le cas échéant des précisions par écrit.
Je commence par dire que nous ne désespérons jamais, et que nous nous efforçons de demeurer constants !
Monsieur Bapt, nous nous réjouissons de l'approche pluri-annuelle de l'ONDAM, qui correspond à l'une de nos recommandations. L'association à une trajectoire sur trois ans des axes d'économie qui mettent sous contrainte l'ensemble des acteurs constitue un progrès. Nos interrogations portent sur les dispositions qui permettent d'atteindre les objectifs : les fixer ne suffit pas, il faut les respecter ! Nous souhaitons que soit donné un nouveau souffle à l'effort de réorganisation des soins, dont les ambitions se sont émoussées, et dont les instruments ont perdu en efficacité. Nous estimons en particulier qu'il faudrait fixer des normes d'activité, de fonctionnement et d'équipement dans les domaines qui en sont aujourd'hui dépourvus – la médecine ou la chirurgie par exemple. Nous pensons également que les dépenses de soins de ville devraient être plus fortement régulées : nous recommandons par exemple la fixation de forfaits par patient, d'enveloppes de prescription…
Nous constatons que la dépense relative aux analyses de biologie médicale est certes encadrée par une enveloppe, mais que celle-ci entérine en fait des tarifs excessifs au regard des gains de productivité réalisés par les laboratoires.
Nous recommandons aussi l'abaissement du seuil d'alerte, afin qu'il conserve son efficacité et son rôle de régulation de la dépense d'assurance maladie. Nous souhaitons des dispositifs plus complets de suivi et de régulation infra-annuelle des soins de ville.
Vous évoquez la CADES et l'ACOSS, et vous nous demandez si nous jugeons opportune une possibilité évoquée par les ministres dans leur réponse. En matière de déficits, les miracles sont vraiment exceptionnels, et la magie fonctionne très rarement. Le transfert à la CADES de la dette sociale dans la limite du plafond de 62 milliards d'euros pourrait en effet permettre de profiter des très faibles taux d'intérêt actuels et de limiter la part de la dette sociale portée par l'ACOSS. Mais, pour nous, cette mesure n'aurait vraisemblablement qu'un effet transitoire : en anticipant la reprise des déficits maladie et famille par saturation de l'enveloppe de 62 milliards dès la fin de l'année 2015, elle laisserait entière la question de la reprise des déficits prévisionnels vieillesse et FSV de 2016 à 2018, qui représentent tout de même 7,6 milliards d'euros. De même, il faudrait toujours prévoir la reprise des déficits prévisionnels maladie et famille de 2016 à 2018, soit 13,9 milliards. Par ailleurs, cela laisserait à l'ACOSS 7 milliards de déficits antérieurs en 2016. Ainsi, même en tenant compte du léger excédent prévisionnel de la branche AT-MP entre 2016 et 2018, il resterait de l'ordre de 26 milliards de dette sociale à l'ACOSS à la fin de l'année 2018. À cela, il faut ajouter les risques de déficit supplémentaire liés au cadrage macro-économique et aux éventuelles remontées de taux d'intérêt – on pourrait atteindre 4 à 5 milliards d'euros.
En définitive, vous le voyez, les déficits portés par l'ACOSS à la fin de 2018 resteraient proches de l'ordre de grandeur évoqué par la Cour dans son rapport – d'où notre proposition. Il ne sert à rien de repousser certains sujets à plus tard ; en tout cas, cela ne les règle pas obligatoirement à moyen et long terme.
S'agissant du CICE et des intentions du Gouvernement à son égard, notre rapport formule différentes interrogations. À niveau constant de soutien public, les arbitrages gouvernementaux devront tenir compte de facteurs qui jouent dans des sens opposés… C'est toute la difficulté de l'exercice.
S'agissant du tabac et de l'alcool, nous partageons entièrement les préoccupations qui ont été exprimées notamment par Mme Delaunay. Le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée a rendu un rapport sur ce sujet, de même d'ailleurs que la Cour. Nous allons nous-même y revenir dans notre rapport public annuel, et une évaluation du coût de l'alcoolisme est en cours. Il s'agit en effet de fléaux très coûteux, et il faut beaucoup de volonté pour réduire leurs effets catastrophiques pour notre société.
S'agissant des infirmiers et des masseurs-kinésithérapeutes, ne nous méprenons pas. La Cour ne cherche absolument pas à stigmatiser ces professions ! Nous reconnaissons au contraire leur rôle essentiel dans la chaîne du soin. Mais, malgré toute la sympathie que nous éprouvons pour ces professions, nous devons constater certains phénomènes : cela pose le problème de l'interprétation, voire de la surinterprétation de certains messages de la Cour. Notre récent rapport sur la masse salariale des fonctionnaires a également été l'occasion de quelques présentations caricaturales : il a été présenté comme anti-fonctionnaires, ce qui est d'autant plus absurde que la Cour des comptes est elle-même composée de fonctionnaires… Il s'agissait simplement d'expliquer que certaines situations méritent des réflexions, notamment de la part de la représentation nationale. Lorsque nous formulons des observations sur la durée du travail, nous ne disons pas que globalement les fonctionnaires ne travaillent pas, mais que dans beaucoup de situations la durée effective du travail est inférieure à la durée légale !
Pour les masseurs-kinésithérapeutes, il en va de même : nous constatons une augmentation sensible des actes qui n'est pas semble-t-il totalement corrélée avec le vieillissement de la population et les soins rendus nécessaires par les maladies chroniques. Nous constatons aussi des inégalités très fortes : là où il y a beaucoup d'infirmiers et de masseurs-kinésithérapeutes, les dépenses augmentent très sensiblement, alors que dans les territoires où ils sont absents, la dépense est beaucoup plus contrainte. Nous ne disons nullement que cette situation résulte d'une faute des professionnels concernés ! Mais nous formulons certaines recommandations, y compris à destination des prescripteurs, c'est-à-dire des médecins.
La question des tâches remplies par les uns et les autres a été soulevée : nous appelons aussi à une organisation plus coordonnée – le cloisonnement demeure fort entre les différents professionnels médicaux, para-médicaux et médico-sociaux.
S'agissant des séances de kinésithérapie qui reposent sur la pose d'électrodes, c'est une évolution importante qui peut tout à fait aller dans le bon sens, mais qui doit s'accompagner d'une évolution de la nomenclature. Nous soulignons plus généralement la nécessité de réformer en profondeur la nomenclature des actes infirmiers et masso-kinésithérapeutiques, qui nous apparaît obsolète.
Les transports constituent effectivement un sujet important – 3,8 milliards d'euros de dépenses. Les recommandations que vous avez formulées dans le cadre de la MECSS rejoignent pour beaucoup celles qu'avait faites la Cour des comptes en son temps. Nous avions estimé les économies possibles à 400 à 500 millions d'euros. Tout reste à faire, et il serait heureux que vos recommandations soient suivies d'effet.
S'agissant des établissements médico-sociaux, nous constatons en effet le développement des capacités depuis les années 2000. Celui-ci n'appelle pas de critique en lui-même, mais nous soulignons le faible degré de coordination avec la reconversion des activités hospitalières. De ce point de vue, le développement des capacités médico-sociales est comparable à celui du nombre d'actes de soins à domicile ou dispensés par des professionnels de santé libéraux, qui ne s'est pas accompagné d'un redimensionnement de l'offre hospitalière. Nous n'avons pas évalué précisément le nombre d'hôpitaux qui pourraient être transformés – c'est un sujet sur lequel nous pourrons travailler, d'autant que le projet de loi de modernisation de notre système de santé prévoit des mesures dans ce domaine.
Nous n'avons pas enquêté sur l'accueil des enfants et adultes handicapés, et je ne peux donc pas évaluer les enjeux budgétaires des questions évoquées par Mme Huillier. Nos pouvoirs sont d'ailleurs limités en la matière, puisque nous n'avons pas encore la possibilité de contrôler les établissements privés médico-sociaux. Un amendement au projet de loi de modernisation de notre système de santé, déposé par Mme Delaunay, tend à donner compétence à la Cour pour contrôler les personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social. Il a été adopté à l'unanimité, et même si cela représentera pour la sixième chambre de la Cour et pour les chambres régionales des comptes une charge de travail supplémentaire, nous nous en réjouissons. Nous pourrons ainsi vous offrir une vision plus globale de notre système de soins.
Le FSV est un fonds de financement du risque vieillesse non contributif ; il est insuffisamment financé. Nous formulons différentes propositions. Il faut commencer par éviter de lui retirer des ressources, comme ce fut le cas en 2009 ; il faut également éviter de lui transférer de nouvelles charges sans prévoir les ressources correspondantes ; il faut encore revoir les modalités de détermination des prises en charge de cotisations au titre du chômage indemnisé et non-indemnisé, de même que sa contribution au financement du minimum contributif. Il faudrait enfin prévoir une structure stable de financement par la CSG et par des impôts affectés.
S'agissant du RSI, il faudra sans doute étaler l'augmentation que causerait un alignement : cela représenterait me semble-t-il quelque 150 millions d'euros supplémentaires, et environ 4 % de la masse des cotisations vieillesse prélevées au titre du RSI. Pour assurer le caractère progressif de ce changement, un décret pourrait en effet prévoir une augmentation des taux sur plusieurs années.
S'agissant des pensions de réversion, nous ne formulons pas de préconisations ou de recommandations. Nous faisons quelques constats et suggérons des pistes de réflexion pour corriger des inégalités de situation. Il faut toutefois garder à l'esprit qu'en matière de retraites, ces économies attendues ou des corrections doivent évidemment s'apprécier à long terme.
Nous n'avons pas examiné la question de la modulation des allocations familiales. Sur le fond, nous nous interdisons d'ailleurs de formuler des appréciations sur une mesure qui relève d'un choix politique. Nous avions en effet noté que l'objectif de redistribution et de réduction des inégalités n'était pas atteint par les politiques publiques. Dans le cadre de notre mission de certification des comptes de la branche famille, nous examinerons les modalités de mise en oeuvre de la réforme des allocations familiales. C'est dans notre rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale de l'an prochain que nous pourrons mesurer les conséquences financières de cette réforme par rapport aux gains attendus.
Sur la comparaison, enfin, entre la France et l'Allemagne, nous ne disons nullement qu'il existe un modèle qui devrait s'imposer. Nous nous efforçons d'examiner l'un et l'autre système. Deux points me frappent particulièrement.
D'une part, l'Allemagne a un souci d'équilibre. Honnêtement, ce n'est pas mal ! C'est plutôt responsabilisant, y compris pour les responsables publics. Lorsque la Cour dit que le déficit des comptes sociaux est une anomalie, c'est parce qu'elle constate que ce déficit naît des dépenses courantes : on peut douter de la légitimité de faire financer une partie de ces dépenses par les générations futures, qui auront déjà suffisamment de mal à les financer pour eux-mêmes – et pour nous, qui allons vieillir… Si l'on peut concevoir que l'on tire des traites sur l'avenir pour un temps déterminé, en France, on s'est habitué aux déficits sociaux, et l'on est complètement anesthésié. La dette est cachée sous le tapis à la CADES, l'ACOSS joue un rôle qu'elle ne devrait pas jouer, on oublie les déficits et la dette sociale augmente : 158 milliards d'euros, je le rappelle ! Un principe d'équilibre, sur une certaine période, nous paraît donc assez pertinent. C'est peut-être une leçon à tirer.
D'autre part, il y a la question de la responsabilité, soulignée par M. Sebaoun. L'ensemble des acteurs sont mieux responsabilisés en Allemagne, prescripteurs comme assurés sociaux. L'organisation des prescripteurs est effectivement très différente – chaque pays ayant son histoire propre, tout n'est pas toujours comparable. Les pratiques sont également différentes : par exemple, le recours au générique est beaucoup moins contesté en Allemagne qu'il l'est en France.
Il ne nous paraît donc pas inutile de garder ces points à l'esprit.